vendredi 13 octobre 2023

Le Château des Rentiers », d’Agnès Desarthe


Le fil conducteur du dernier roman d’Agnes Desarthe, « Le Château des Rentiers », est ce projet, né au sein d’un groupe d’amis alors qu’ils n’avaient que 25 ans, de conception d’un habitat collectif qui les accueillerait, le jour où ils seraient vieux ; une sorte de phalanstère, à l’image de cet immeuble du XIIIème arrondissement que les grands-parents de l’auteure, avec tous les amis qu’ils sont parvenus à convaincre d’investir, ont fait construire dans les années 70, au 194 de la rue du Château des Rentiers. 

Autour de ce fil conducteur - projet qu’elle porte seule, un peu secrètement - Agnès Desarthe vient greffer une série de récits puisés dans ses souvenirs d’enfance, dans l’histoire de sa famille (une famille juive, avec le tragique que chacune porte en elle et tout le « patrimoine culturel » traduit dans la cuisine, les rites, les éléments de langage, etc.), mais aussi dans ses relations amicales, son vécu d’écrivain et les anecdotes associées à des rencontres à l’occasion de la présentation de ses œuvres. Elle convoque régulièrement le fantôme de ses aïeux, et en particulier sa grand-mère, Tsila, qu’elle interroge, comme elle interroge « Alterego », son double, dans des dialogues introspectifs et souvent oniriques. « Le Château des Rentiers » ce « moment-lieu où il est possible de vivre en espérant », Agnès Desarthe l’a imaginé pour conjurer la vieillesse et la mort : « Quand j’allais manger du gâteau au noix au Château des Rentiers, je croquais la génoise de l’immortalité », écrit-elle. Car le roman est parcouru par la hantise de la déchéance qui paraît inéluctable pour une génération qui va vivre plus vieille, une « génération (qui) a vécu dans un confort tel que la vieillesse a cessé d’être un privilège - le privilège de ceux qui s’en sont sortis, qui ont échappé à la mort. »

Réduire le roman à son côté sombre serait injuste ; le souffle de la vie, du bonheur, le parcourt, servi par des passages d’une grande poésie.

Et enfin, ce bel ode aux livres et à l’écriture : « C’est justement ça qui est beau avec les livres, la tentative désespérée, ce grand pas impossible vers l’autre, au-dessus du gouffres qu’il sépare les êtres. On ne le franchit jamais vraiment, mais c’est l’élan qui compte. Comme pour l’utopie. »

Au final, un très grand livre, de ceux dont on se dit qu’on l’a lu trop rapidement et que, derrière une certaine modestie de l’écriture et du récit, se cachent des pépites de cette matière que l’on peut nommer « Humanité ».

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