dimanche 8 janvier 2012

La croisière

Y a proposé à X de faire un tour en bateau du côté de Granville, là où le marnage est maximal. X monte à bord d'un voilier magnifique ; un sloop d'au moins 50 pieds, flambant neuf, rutilant. La grand-voile est enroulée autour de la baume et un équipage en uniforme(une dizaine de jeunes) s'affaire pour la déplier. Il n'y parvient pas. X n'est pas un spécialiste mais découvre qu'un sandway (est-ce bien le nom ?) est encore attaché et enserre la voile. De même les "couilles de chat" bloquent les coulisseaux de la drisse. X apprécie particulièrement l'usage de ces vocabulaires vernaculaires ; ceux des marins, du monde de la construction, de l'armée, etc. L'équipage le remercie de son aide savante, mais quand X se propose pour participer aux manœuvres, on lui fait comprendre que l'exercice est délicat et nécessite des habitués.

X va s'installer à la proue du bateau dans une sorte d’alcôve à ciel ouvert, tapissée d'une matière en plastique rouge. X se rend compte qu'il s'agit d'un très grand Chesterfield. Le fauteuil géant est entouré d'étagères moulées en Corian et garnies de livres. X saisit un ouvrage épais à la jaquette bleue : les cours de navigation des Glénans. Il y a une table basse devant X ; en Corian également, revêtue de loupe d'orme cette fois. Au centre de la table basse, un plateau dans lequel se trouve un énorme poulet rôti (ne serait-ce pas une dinde ?). Étrangement le poulet, bien que plumé et bien que présentant une peau parfaitement dorée et croustillante, semble vivant. Coincée sous l'une de ses ailes, se dresse une règle de l'Amiral Cras. Ce sera toujours utile, pense X, si le GPS tombe en panne.

Absorbé dans la lecture des cours de navigation des Glénans, dont il découvre qu'ils ont obtenu le Prix Goncourt dans les années 60, X ne voit pas s'approcher la jeune femme qui ressemblait à Jean Seberg. Elle vient comme prévu pour prendre l’apéritif avec lui. X lève la tête de son ouvrage quand l'ombre de la jeune femme passe devant lui. Elle est habillée comme les membres de l'équipage : un polo marin façon Jean-Paul Gaultier, mais elle porte une jupe blanche extrêmement courte. X constate qu'elle est très bronzée, que ces dents sont d'un blanc suspect (elle doit se les faire blanchir régulièrement). X lui propose une sélection de whisky et lui en explique la provenance et les gouts respectifs avec un grand nombre de détails - dont la plupart sont inventés sur l'instant. X est vêtu d'un poncho multicolore qui semble incongru dans cet ambiance marine. Il porte quand même un bonnet de marin et sa barbe a une longueur de trois jours.

Le bateau est maintenant en pleine mer. La météo est extrêmement favorable. Il n'y a pas une vague, et le navire semble glisser comme sur l'eau d'un lac parfaitement lisse. La surface de la mer prend même, par moment, l'aspect d'une immensité désertique ; comme cette plaine à l'aridité exceptionnelle qu'il avait découvert du haut de Zabriskie Point. X observe que la terre est maintenant assez proche et que l'on parvient à distinguer, par endroit, de très belles propriétés dont les terrasses présentent d'interminables longueurs de balustres et des folies en surplomb de la mer. Il ne sait plus très bien s'il est en Bretagne ou à Montreux ; d'autant qu'en second plan se dresse un panorama de montagnes dont des vestiges de glacier brillent sous le soleil.

La jeune femme est appelée brusquement par l'équipage. X perçoit qu'il y a un problème. Ces cons n'ont pas anticipé les horaires de marée, pressent-il. Il se lève de son siège et constate que le bateau est maintenant très près de la côte et que des rochers affleurent à moins d'un mile sur bâbord. X se rend vers l'arrière et saute dans le carré où Y est seul à la barre. Qu'est-ce que tu fous, lui dit-il. T'inquiète, lui répond Y, nous allons passer juste dans ce bras de mer entre les deux rochers, ou bien nous nous poserons sur la vase. Au même moment X sent que la coque du bateau racle le fond. Mais on va bousiller le bateau, dit X. Non, c'est prévu, je vais l'amener juste à quai, lui répond Y. Et il enclenche les chenilles. Le bateau se lève légèrement et son ère vient mourir le long du quai d'embarquement des anciens bagnards.

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