dimanche 11 avril 2010

Bouvard et Pécuchet



Qui sont véritablement Bouvard et Pécuchet ? Ne sont-ils que les héros stupides d'un recueil encyclopédique de la bêtise humaine ? Leurs personnages peuvent-ils être transposables à notre époque ?
Bouvard et Pécuchet sont des individus, certes imbéciles par moment, mais curieux et volontaires, capables d'adopter des jugements de tolérance et même un regard distant sur les attitudes inconsistantes de leurs contemporains.
Il y a d'ailleurs une progression dans le roman de Flaubert : totalement naïfs et ridiculement stupides au début du récit, ballottés par leurs échecs successifs, les deux compères sont plus à l'aise dans les derniers chapitres, où on les voit fréquemment tenir des propos sensés et à rebours des idées reçues.
Que dit Flaubert ?
- que l'accumulation de savoir et de connaissances est un peu vaine car la vérité n'existe pas ; il y a autant de thèses justifiant une théorie que de thèses opposées
- que la crédulité et la bêtise des hommes sont sans limite et, finalement, que ce sont elles qui dirigent l'Histoire
Bouvard et Pécuchet est un roman sur le doute ; mais, le doute plutôt négatif, pas celui qui permet d'éviter l'aveuglement. Il est, en ce sens, assez désespérant car il pourrait laisser penser que le savoir et la connaissance ne servent à rien. Or, ce qui aboutit à l'échec, c'est autant l'absence d'analyse et de réflexion des compères que leur manque de "hauteur", leur absence de relativisme (il ne s'agit que de "copistes"). Flaubert qui nourrissait une haine envers la bêtise de ses contemporains a poussé à l'extrême la caricature.
Les échecs successifs et inéluctables résonnent un peu comme une sorte de "Fin de l'histoire". Tout a été tenté, et tout en final est échec.

Les personnages ont un côté plutôt sympathique. Leurs prises de position assez "iconoclastiques", et le degré supérieur de bêtise ou de compromission des gens qui les entourent, les rendent en définitif intéressants. Ce sont des passionnés, et donc, forcément déçus s'ils ne parviennent pas à s'interroger sur leur passion, à lui donner une raison supplémentaire d'exister en dehors de la seule connaissance.
Bouvard et Pécuchet seraient aujourd'hui "scotchés" à internet, "surfant" sur la toile d'un site à un autre, découvrant que pour une idée il y a autant d'avis différents voire opposés. La déception serait au bout de leurs recherches compulsives.
L'illusion des 2 copistes de pouvoir réaliser tout ce qu'ils désirent à partir de la consultation de livres ou de traités, est à rapprocher de l'illusion caractéristique que la société de consommation donne au pioupiou naïf moyen : tout est possible, tout est accessible ; et surtout, c'est grâce à la consommation que vous existerez, et sans effort ! Internet y participe (exemple) : un texte en langue étrangère peut être traduit quasi automatiquement par des logiciels disponibles sur Google. Mais ça ne fait pas de l'élève une personne qui maîtrise la langue étrangère !

Bouvart et Pécuchet qui sont de simples copistes avant de prendre la décision d'une nouvelle vie, ont le sentiment d'exister par le seul truchement de l'accession au savoir et des tentatives de concrétisation des théories livresques.
Ce qui me conduit à penser que nous avons tous un peu de Bouvard et Pécuchet en nous, condition peut-être sine qua non pour tenter de nous rassurer que nous existons.

Il est à noter que Flaubert épargne les Mathématiques. Pourquoi ? C'est un autre débat.

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