Ici on tente de s'exercer à écrire sur l'architecture et les livres (pour l'essentiel). Ça nous arrive aussi de parler d'art et on a quelques humeurs. On poste quelques photos ; celles qu'on aime et des paréidolies. Et c'est évidemment un blog qui rend hommage à l'immense poète et chanteur Léonard Cohen.
lundi 28 septembre 2009
Qui sommes-nous ?
Une soirée, dans une vie,
Des êtres avec leur histoire absente,
Ces choses partagées, épuisées, oubliées,
- En surface, des tendres ?
Trop d'effleurements, pas assez de caresses -,
Des qui auraient pu blesser en d'autres temps
Et qui par la grâce du temps, justement ...
Une étoile remarquée, plusieurs, le ciel indulgent,
Le dérisoire qui s'essaie à l'amitié,
L'illusion qui frissonne de réalité,
La vie va ainsi de minutes en désirs étouffés,
De choses convenues et d'autres ratées.
Qui sommes nous ?
Cadel Ubbale
Art brut
Il faut prendre le temps de baguenauder dans un vide-grenier de campagne pour prendre la mesure du décalage entre l'univers du bobo parisien et celui de l'habitant des campagnes. Et quand à ce vide-grenier vient s'ajouter en prime une exposition d'art dans les salles du (petit) château du village sous prétexte de journées du patrimoine : c'est une leçon complète. On a envie de sourire (voire plus) à la vue des "oeuvres" exposées.
Mais, j'ai envie de dire que c'est un peu trop facile et pédant. Surtout pour moi qui confond encore Buffet et Dubuffet ! J'ai envie de voir l'homme derrière ces créations. Bien entendu, il est peu probable que la postérité convertisse ces tableaux ou ces sculptures en trésors, mais il y a quelque chose d'indicible dans ce travail : les heures passées que l'on peut imaginer enchantées ou de doute, de plaisir ou de déception, de recherche, d'avancées et de repentirs. Et ces choses invisibles et muettes me plaisent.
lundi 21 septembre 2009
Le château de Maulnes, "Un monument insigne absolument unique...*"
Alors que le concours pour le pentagone français - baptisé par tous « Balargone » du fait de son implantation future sur le site de Balard - bat son plein, je voudrais rendre hommage à cette figure originale de l’architecture. Exceptionnellement, j’abandonnerai les rivages de l’architecture contemporaine, pour aller puiser mon inspiration à la Renaissance et dans l’Yonne. Mais, « la modernité n’a-t-elle pas un cœur ancien ? », dixit Renzo Piano.
« Il est, ce volume pur aux arêtes franches, solides, et tient en lui une ligne, fine, souple et serpentine. » Laurence Carminati.
Construit entre 1566 et 1573 pour Antoine de Crussol et Louise de Clermont, Duc et Duchesse d’Uzès, afin d’en faire un pavillon de chasse, le château de Maulnes est édifié sur un léger promontoire au cœur de la forêt, sur la Commune de Cruzy-le-Châtel à une quinzaine de kilomètres à l’est de Tonnerre.
Un aperçu du projet originel peut être imaginé en consultant la représentation axonométrique établie par l’architecte Jacques Androuet du Cerceau en 1576 dans Les Plus Excellents Bâtiments de France. De cet ambitieux ensemble comprenant également un jardin clos de 17.000 m2 et une galerie à deux niveaux de 45m de longueur, seuls le corps de logis principal conçu sur un plan pentagonal unique en France et une partie des communs érigés en demi-cercle d’environ 200m de diamètre subsistent aujourd’hui. La construction de Maulnes ne fut d’ailleurs jamais achevée ; le château est délaissé par Louise peu après la mort du duc d’Uzès en 1573.
Le premier mystère attaché à Maulnes est celui du nom de son architecte. Il est probable qu’il n’y ait pas eu un concepteur unique.
En premier lieu, l’architecte Peruzzi, auteur du château de Caprarola près de Rome en Italie, édifié aux environs de 1520, dont le logis principal de Maulnes est fortement inspiré : un pentagone, 3 travées d'ouvertures identiques par façade à chaque niveau, autour d'un vide central. Il est vraisemblablement celui qui dressa les premiers plans du château.
Secundo Serlio, architecte d’Ancy-le Franc tout proche pour le compte d’Antoine III de Clermont, frère de Louise, dont il est attesté qu’il fut disciple de Peruzzi et a participé au chantier de Caprarola.
Tertio Philibert Delorme, l’architecte des Tuileries pour la reine Catherine de Médicis qui a visité le chantier de la demeure pentagonale italienne lors d’un séjour à Rome, et qui a également conçu le château d’Anet pour Diane de Poitiers. Ces deux célèbres commanditaires sont des proches de Louise de Clermont.
Quatro enfin Primatice, jeune architecte et peintre italien, élève de Miche-Ange qui prend la suite de Serlio à Ancy-le-Franc et qui participe à la décoration du château de Tanlay distant de quelques kilomètres de Maulnes.
Mais il n’est pas improbable que le duc et le duchesse d’Uzes eux-mêmes soient intervenus pour modifier les plans établis par les hommes de l’art. Il s’agissait en effet d’un couple cultivé, disposant d’une très grande ouverture d’esprit et ayant eu l’occasion par leurs familles respectives de s’intéresser à l’architecture.
S’il est impossible de s’accorder sur le nom de l’illustre architecte, en revanche les identités du maçon et du charpentier avec lesquels un marché de construction est passé le 6 mai 1566 sont connues…
Au rang des mystères il faut évoquer Mélusine. Plusieurs légendes racontent que cette fée maléfique a vécu au Château de Maulnes et qu’elle y est morte après s’être jetée dans le puits central. Depuis, son fantôme hante les environs et il n’est pas un malheur qui ne lui soit pas attribué.
Sur un plan architectural, Maulnes semble avoir été pensé par un esprit supérieur. Les historiens de l’architecture qui l’ont étudié soulignent que le château « reprend en effet des principes « classiques » établis par la Renaissance italienne, tels que les ordres, les règles de composition (répétition, sobriété…) ou encore l’usage de formes géométriques, mais il ne les suit que partiellement et même joue avec comme pour les décaler. Ce jeu avec les formes « classiques » peut le rapprocher des maniéristes, et même annoncer le style baroque. De plus, Il reprend des singularités architecturales françaises de cette période historiques tout en les transformant. »
Outre son plan pentagonal qui constitue déjà une originalité en soi, la bâtisse présente des dispositions subtiles. Elle s’organise, sur toute sa hauteur- c'est-à-dire sur 8 niveaux dont 3 en semi-enterrés -, autour d’un vide central de section circulaire. L’escalier principal, de révolution pentagonale également, vient s’enrouler autour de ce cylindre qui agit comme un double puits : de lumière, et d’eau de pluie également provenant de la terrasse supérieure. Cette eau pouvait être recueillie dans la vasque en partie inférieure ; vasque alimentée par l’une des 3 fontaines sur lesquelles Maulnes est érigé.
Certaines fenêtres de grande hauteur situées dans les murs extérieurs sont positionnées précisément en fonction des solstices d’automne et d’hiver afin de bénéficier des meilleurs ensoleillements pendant les périodes de chasse.
Entre ces ouvertures périphériques et le puits de lumière central s’organise un jeu remarquable de l’éclairage naturel qui ne peut être du au hasard.
Un système astucieux de circulation de l’air chaud à l’intérieur de certains murs creux, et la présence d’une salle de bains chauffée par un faux-plancher en dalle comme dans les thermes romains font de ce relais de chasse un lieu pensé dans un réel souci du confort.
L’implantation elle-même de Maulnes n’a pas été improvisée : l’architecte a évaluer les vents dominants, mesuré tout le partie qu’il pouvait tirer de la présence de trois sources sur le site, et joué avec la déclivité du terrain pour insérer la construction dans son environnement.
Les spécialistes de Maulnes indiquent que « le tracé directeur de cette composition de la seconde renaissance française est d'une simplicité géométrique extraordinaire qui marque bien la place de la « mathématique » dans le mouvement humaniste de la Renaissance. D'autre part le pentagone, par son orientation cosmologique est un véritable calendrier solaire, sinon même une horloge... »
Les matériaux de construction proviennent du site : le bois de charpente des forêts de chênes qui entouraient jadis le château, les pierres de textures et de couleurs différentes des couches géologiques variées du sous-sol.
Alors « HQE » avant l’heure ? Dans tous les cas, ce site, propriété du Conseil Général de l’Yonne depuis 1997 et qui fait l’objet d’un important programme de restructuration et d'études architecturales, historiques et archéologiques, est une destination parfaitement recommandable pour tous les amateurs de belle ouvrage… et de mystères !
* Ce sont les termes même du rapport de la commission supérieure des Monuments historiques à propos de ce château, qui "occupe une place importante dans l'histoire de l'architecture et dans l'histoire de l'art.".
Remerciements à Jean-François Bonne et son épouse qui m’ont permis de découvrir Maulnes.
vendredi 18 septembre 2009
Le masque funèbre
Le poète René Char (1907-1988) propose dans son recueil de poésie "Les matinaux" publié en 1950, un texte de quelques lignes qui, en ces temps d'alerte écologique et de cynisme financier, prend une étonnante dimension prophétique.
"Il était un homme, une fois, qui n'ayant plus faim, plus jamais faim, tant il avait dévoré d'héritages, englouti d'aliments, appauvri son prochain, trouva sa table vide, son lit désert, sa femme grosse, et la terre mauvaise dans le champ de son coeur.
N'ayant pas de tombeau et se voulant en vie, n'ayant qui à donner et moins à recevoir, les objets le fuyant, les bêtes lui mentant, il vola la famine et s'en fit une assiette qui devient son miroir et sa propre déroute."
mardi 15 septembre 2009
Pour sauver la planète sortons du capitalisme
Hervé Kempf, journaliste au Monde et auteur de "Comment les riches détruisent la planète", livre avec "Pour sauver la planète sortons du capitalisme" un nouvel essai cinglant où urgence écologique et justice sociale sont les indissociables composants du projet politique. Il dénonce avec pertinence que le concept de "rivalité ostentatoire" qui est l'un des avatars obligés du capitalisme, par la surconsommation et les inégalités qu'il induit, nous emmène tous dans le mur. Privatisation de l'espace public, névrose des marchés, échange sans parole, perte du lien social, abrutissement médiatique, sont autant de facteurs qui caractérisent cette période de l'Humanité dans laquelle nous sommes entrés au sortir des "Trente glorieuses" : l'anthropocène ; la 1ère fois dans l'histoire de cette planète où l'humanité peut être considérée comme un agent géologique apte à transformer la nature de la biosphère.
Kempf appelle à un sursaut qui n'est pas seulement une démarche intellectuelle, mais une obligation à baisser significativement notre standing de vie ; nous, les riches.
Au passage, il démonte le concept de "croissance verte" qui n'est qu'un énième leurre de l'oligarchie pour déguiser de juteux profits en démarche vertueuse.
Extraits :
"La difficulté propre à la génération (la jeunesse actuelle NDLR)... est de devoir réinventer des solidarités quand le conditionnement social lui répète sans cesse que l'individu est tout."
"La corruption répand dans l'esprit public qu'est le plus estimable non pas le plus vertueux mais le plus malin."
Et 2 citations ;
""Une bonne partie de l'oppression contemporaine est une oppression sur le temps (...)Nous sommes contraints a un temps découpé, discontinu, dispersé, dans lequel la rapidité est l'élément majeur. ce temps n'est pas celui du projet, mais de la consommation, du salariat. le courage pourrait consister à essayer d'imposer une autre temporalité." Alain Badiou. Philosophe
A propos de l'argument consistant à dire qu'il n'y a qu'à "revenir aux bougies", Ingmar Granstedt dit : "Ce ne serait pas un "retour à la bougie", mais la reconnaissance honnête et courageuse que le refus de la concurrence sans fin et sans frein nous oblige à inventer une nouvelle modernité technologique, ouverte elle aussi à la curiosité scientifique et à l'imagination technique, mais compatible avec la vie dans des territoires à échelle humaine."
Rafael Leonidas Trujillo Molina
Je n'ai pas lu "La fête au bouc" de Vargas Llosa, mais j'en ai lu le commentaire de Gérard sur Contrastes et lumières, accompagné de la photo du dictateur.
M'est revenu à l'esprit ce "poème" de Cohen : "Tout ce qu'il faut savoir sur Eichmann"
Yeux : Moyens
Cheveux : Moyens
Poids : Moyen
Taille : Moyenne
Signes particuliers : Néant
Nombre de doigts : 10
Nombre d'orteils : 10
Intelligence : Moyenne
Qu'attendiez-vous ?
Des griffes ?
Des incisives démesurées ?
De la salive verte ?
La folie ?"
M'est revenu à l'esprit ce "poème" de Cohen : "Tout ce qu'il faut savoir sur Eichmann"
Yeux : Moyens
Cheveux : Moyens
Poids : Moyen
Taille : Moyenne
Signes particuliers : Néant
Nombre de doigts : 10
Nombre d'orteils : 10
Intelligence : Moyenne
Qu'attendiez-vous ?
Des griffes ?
Des incisives démesurées ?
De la salive verte ?
La folie ?"
mercredi 9 septembre 2009
Villes et architectures sensuelles
Un colloque de 2 jours (2 jours !) au Collège de France (au Collège de France !) va traiter de la "Ville sensuelle", avec comme support le Pavillon de la France pour l'exposition universelle de Shangaï de l'architecte Jacques Ferrier.
Les différents thèmes abordés seront :
- L'usage des sens dans la ville
- L'architecture moderne est-elle ennemie de la sensualité ?
- Sensualité et société de consommation urbaine
- Ville sensuelle et ville rationnelle
- Sensualité urbaine : entre espace public et privé
Je me suis exercé à "travailler" chacun des thèmes selon deux modes : le premier, celui de l'humour (????); et le second, en essayant de dire 2 ou 3 choses. Merci de votre indulgence.
1) L'usage des sens dans la ville
1.1 Il existe principalement 3 formes de sens dans la ville : le sens interdit qui vaut un retrait ; le sens giratoire, inventé par les derviches ; le sens unique qui ne supporte pas la contradiction ; j'aimerais qu'il existe des sens intouchables, des sens à triple sens, des sens de l'essence (pratique), des sens futiles, des sens absolus, des sens majeurs, des sens de l'innocence, des sens insensés, des sens insouciants, des sens en partance, des sens en devenir, un 7ème sens et surtout plein de sens cachés.
1.2 Chaque ville a sa personnalité que nos sens détectent immédiatement. Prenons Venise. On fait abstraction des hordes de touristes. Venise, c'est le reflet des façades décrépites sur l'eau trouble des canaux, un parfum indicible de lagune, la foule du rio Alto et le recueillement de la Fondation Querini Stampalia,
les drappés mouvants du marché de la Pescheria et l'exposition raide des trophées de Saint Marc.
Venise, c'est le syndrôme de Stendhal à chaque coin de rue. Venise nous oblige à la spiritualité. Les ombres des passage transpirent le mystère. Avec un peu de patience, chaque pierre nous parle. Chaque palais a son histoire de prince héroïque. Et puis c'est l'odeur des vongoles et des petits sablés à l'orange en forme de couronne que l'on grignote en se perdant. Le soir nous surprend à la terrasse du Florian, dégustant un americano décidément trop cher. Il y a les valses désuètes des orchestres accrédités. Le souvenir de cette soie aux couleurs incroyables qui glisse entre nos mains avant d'échouer fatalement au cou d'une femme (fatale ?), et la caresse du galbe d'un verre de Murano. Mais surtout : user de ses sens à Venise c'est monter dans le Vaporetto 1 ou 82, s'installer à l'avant et oublier le temps.
2) L'architecture moderne est-elle ennemie de la sensualité ?
2.1 La question est-elle bien posée ? La problématique n'est-elle pas plutôt : la sensualité est-elle l'ennemie de l'architecture moderne ? Réponse : tapez "sensualité" sur google et voyez. Autre réponse : non, les peep-show ne s'intègrent pas plus mal que les Mac-do !
2.2 En dénonçant l'ornement comme un crime, Loos n'a-t-il pas voulu donner à l'architecture moderne une posture exclusivement spirituelle, l'éloigner de toutes tentations de se confondre avec un simple décor, tout en apparence, vidée de son épaisseur et de son sens ? Car le jeu des sens - la sensualité - n'est-il pas en quelque sorte exclusif du "sens" ? Ce que recherchait Loos, c'était de redonner à l'architecture une dimension fondamentale. L'accessoire, les accessoires, devaient disparaître au profit de la seule vérité spatiale qui livre l'émotion. L'histoire de l'architecture jusqu'à l'époque moderne est riche de styles variés qui offrent tous une large place à la sensualité (des temples égyptiens ou grecs aux vertiges du baroque, des frontons de cathédrale aux volutes de l'art nouveau. La façade du Palais de Sans Soucis à Postdam (début du 19ème)comporte un alignement extraordinaire de cariatides dénudées et de faunes lubriques. Oui, la sensualité (débridée) est ici au rendez-vous. Et puis il y a la rupture, avec l'amplification du "Less is more" de Mies Van der Rohe. Mais, peut-on dire que le Pavillon de Barcelone,
les Thermes de Vals, les chapelles de Tadao Ando ou le magasin Prada d'Herzog et de Meuron à Tokyo
sont dénuées de toute sensualité ? Je ne crois pas. N'est-ce pas plutôt notre appréhension de la sensualité qui a changé ? A l'instar de notre gout qui a évolué dans d'autres arts comme la peinture ou la sculpture ? Serra, Rothko, sont-ils des artistes ennemis de la sensualité ? Il faut se glisser entre les plis d'une sculpture de Serra et toucher de la main ces tonnes d'acier aux couleurs incroyables
pour savoir que la sensualité existe sans la profusion. La "sensualité moderne" est une forme de sensualité qui a évolué et s'est enrichie - ou a amplifié - l'un des sens profondément humain qui est celui de l'imaginaire. La sensualité de l'architecture appelle un sixième sens ; celui de l'émotion imaginaire. Mais : sensualité ou volupté ?
Je veux dire un mot de la salle de piano de la philharmonie de C. de Portzamparc au Luxembourg qui a des allures de courtisane avec sa rampe déployée comme une longue robe de soirée. Et puis de ce test que j'ai réalisé ; visiter à la suite deux oeuvres fortes et opposées d'architecture contemporaine : La cour européenne des droits de l'homme et cette Philharmonie. Ma sensation fut comparable à celle que peut procurer la dégustation simultanée de deux grands crus ; sans doute un Bordeaux et un Bourgogne.
Et si l'architecture contemporaine et héritière de l'architecture moderne avait simplement oublié l'échelle de l'Homme ? La sensualité suppose un rapport intime à l'Homme. En dehors des 5 sens traditionnels dont on verra plus loin dans le récit qu'ils ne peuvent constituer les seuls composants de la sensualité, les éléments susceptibles d'établir ce rapport sont, me semble-t-il, 1) le sens 2) l'échelle 3)l'histoire 4) la matière.
Par ailleurs, l'architecture moderne s'est fondée sur le triptyque suivant 1) le positivisme (croyance dans le bonheur par la technique) 2) l'universalisme (notre société = référence absolue) 3) la négation de l'ornement (au prétexte du fondamental). Les composants de ce triptyque, s'ils ont eu leur raisin d'être (ou plutôt d'émerger) sont aujourd'hui caduques. Les fondements d'une architecture sensuelle résident plutôt dans 1) le doute 2) la singularité 3) la poésie
3) Sensualité et société de consommation urbaine
3.1 "Et avec mes pop-corn, vous me rajouterez 33cl de sensualité SVP". "Je consomme donc je suis sensuel" s'est substitué au "Je pense donc je suis".
3.2 La société de consommation urbaine se caractérise par deux choses : une surabondance de signes dans laquelle l'architecture est l'une des composantes majeures, une "éphémérisation" de ces mêmes signes car le temps est aussi un élément de consommation. Comme tout phénomène de trop-plein, elle s'accompagne également du "trop-vide" (SDF, exclus en tout genre, absence de repères, ...). La sensualité, en tant que vecteur du plaisir, constitue un attribut fort de la société de consommation urbaine. Le risque d'une architecture complice sans nuance de la société de consommation urbaine, c'est celui, fatal, d'une double perte : celle du Sens et celle de l'échelle du temps ; deux notions fondatrices de la notion d'architecture.
4) Ville sensuelle et ville rationnelle
4.1 Demander à un fakir s'il préfère un divan moelleux ou sa planche à clous ! Tout est une affaire de point de vue. Et si une ville rationnelle était une ville sensuelle qui s'ignore ?
4.2 Faut-il opposer "ville sensuelle" à "ville rationnelle" ? Une ville des sens à une ville de la raison ? Les sens que développent l'homme ne se distinguent-ils pas des instincts par l'obligation de raison propre à l'homme ? Et la raison, n'est-elle pas un "sens" à part entière émanant de l'intelligence ? On peut comprendre la ville rationnelle comme une ville matricielle, efficace, ordonnée ; une ville d'ingénieur, obéissant dans sa nature et sa composition exclusivement à des paramètres contrôlés, sans odeur ni saveur. On peut comprendre la ville sensuelle comme une ville libre, féminine dans ses courbes, inattendue, contaminée, parfumée, jouissive, volupteuse. La ville rationnelle est masculine quand la sensuelle déborde de féminité.
5) Sensualité urbaine : entre espace public et privé
5.1 Vous avez une autre question ? "La propriété privée c'est le vol".
5.2 Et si la sensualité urbaine était la forme ultime de résistance à la privatisation rampante des espaces publics ; de tous les espaces publics ?
Les différents thèmes abordés seront :
- L'usage des sens dans la ville
- L'architecture moderne est-elle ennemie de la sensualité ?
- Sensualité et société de consommation urbaine
- Ville sensuelle et ville rationnelle
- Sensualité urbaine : entre espace public et privé
Je me suis exercé à "travailler" chacun des thèmes selon deux modes : le premier, celui de l'humour (????); et le second, en essayant de dire 2 ou 3 choses. Merci de votre indulgence.
1) L'usage des sens dans la ville
1.1 Il existe principalement 3 formes de sens dans la ville : le sens interdit qui vaut un retrait ; le sens giratoire, inventé par les derviches ; le sens unique qui ne supporte pas la contradiction ; j'aimerais qu'il existe des sens intouchables, des sens à triple sens, des sens de l'essence (pratique), des sens futiles, des sens absolus, des sens majeurs, des sens de l'innocence, des sens insensés, des sens insouciants, des sens en partance, des sens en devenir, un 7ème sens et surtout plein de sens cachés.
1.2 Chaque ville a sa personnalité que nos sens détectent immédiatement. Prenons Venise. On fait abstraction des hordes de touristes. Venise, c'est le reflet des façades décrépites sur l'eau trouble des canaux, un parfum indicible de lagune, la foule du rio Alto et le recueillement de la Fondation Querini Stampalia,
les drappés mouvants du marché de la Pescheria et l'exposition raide des trophées de Saint Marc.
Venise, c'est le syndrôme de Stendhal à chaque coin de rue. Venise nous oblige à la spiritualité. Les ombres des passage transpirent le mystère. Avec un peu de patience, chaque pierre nous parle. Chaque palais a son histoire de prince héroïque. Et puis c'est l'odeur des vongoles et des petits sablés à l'orange en forme de couronne que l'on grignote en se perdant. Le soir nous surprend à la terrasse du Florian, dégustant un americano décidément trop cher. Il y a les valses désuètes des orchestres accrédités. Le souvenir de cette soie aux couleurs incroyables qui glisse entre nos mains avant d'échouer fatalement au cou d'une femme (fatale ?), et la caresse du galbe d'un verre de Murano. Mais surtout : user de ses sens à Venise c'est monter dans le Vaporetto 1 ou 82, s'installer à l'avant et oublier le temps.
2) L'architecture moderne est-elle ennemie de la sensualité ?
2.1 La question est-elle bien posée ? La problématique n'est-elle pas plutôt : la sensualité est-elle l'ennemie de l'architecture moderne ? Réponse : tapez "sensualité" sur google et voyez. Autre réponse : non, les peep-show ne s'intègrent pas plus mal que les Mac-do !
2.2 En dénonçant l'ornement comme un crime, Loos n'a-t-il pas voulu donner à l'architecture moderne une posture exclusivement spirituelle, l'éloigner de toutes tentations de se confondre avec un simple décor, tout en apparence, vidée de son épaisseur et de son sens ? Car le jeu des sens - la sensualité - n'est-il pas en quelque sorte exclusif du "sens" ? Ce que recherchait Loos, c'était de redonner à l'architecture une dimension fondamentale. L'accessoire, les accessoires, devaient disparaître au profit de la seule vérité spatiale qui livre l'émotion. L'histoire de l'architecture jusqu'à l'époque moderne est riche de styles variés qui offrent tous une large place à la sensualité (des temples égyptiens ou grecs aux vertiges du baroque, des frontons de cathédrale aux volutes de l'art nouveau. La façade du Palais de Sans Soucis à Postdam (début du 19ème)comporte un alignement extraordinaire de cariatides dénudées et de faunes lubriques. Oui, la sensualité (débridée) est ici au rendez-vous. Et puis il y a la rupture, avec l'amplification du "Less is more" de Mies Van der Rohe. Mais, peut-on dire que le Pavillon de Barcelone,
les Thermes de Vals, les chapelles de Tadao Ando ou le magasin Prada d'Herzog et de Meuron à Tokyo
sont dénuées de toute sensualité ? Je ne crois pas. N'est-ce pas plutôt notre appréhension de la sensualité qui a changé ? A l'instar de notre gout qui a évolué dans d'autres arts comme la peinture ou la sculpture ? Serra, Rothko, sont-ils des artistes ennemis de la sensualité ? Il faut se glisser entre les plis d'une sculpture de Serra et toucher de la main ces tonnes d'acier aux couleurs incroyables
pour savoir que la sensualité existe sans la profusion. La "sensualité moderne" est une forme de sensualité qui a évolué et s'est enrichie - ou a amplifié - l'un des sens profondément humain qui est celui de l'imaginaire. La sensualité de l'architecture appelle un sixième sens ; celui de l'émotion imaginaire. Mais : sensualité ou volupté ?
Je veux dire un mot de la salle de piano de la philharmonie de C. de Portzamparc au Luxembourg qui a des allures de courtisane avec sa rampe déployée comme une longue robe de soirée. Et puis de ce test que j'ai réalisé ; visiter à la suite deux oeuvres fortes et opposées d'architecture contemporaine : La cour européenne des droits de l'homme et cette Philharmonie. Ma sensation fut comparable à celle que peut procurer la dégustation simultanée de deux grands crus ; sans doute un Bordeaux et un Bourgogne.
Et si l'architecture contemporaine et héritière de l'architecture moderne avait simplement oublié l'échelle de l'Homme ? La sensualité suppose un rapport intime à l'Homme. En dehors des 5 sens traditionnels dont on verra plus loin dans le récit qu'ils ne peuvent constituer les seuls composants de la sensualité, les éléments susceptibles d'établir ce rapport sont, me semble-t-il, 1) le sens 2) l'échelle 3)l'histoire 4) la matière.
Par ailleurs, l'architecture moderne s'est fondée sur le triptyque suivant 1) le positivisme (croyance dans le bonheur par la technique) 2) l'universalisme (notre société = référence absolue) 3) la négation de l'ornement (au prétexte du fondamental). Les composants de ce triptyque, s'ils ont eu leur raisin d'être (ou plutôt d'émerger) sont aujourd'hui caduques. Les fondements d'une architecture sensuelle résident plutôt dans 1) le doute 2) la singularité 3) la poésie
3) Sensualité et société de consommation urbaine
3.1 "Et avec mes pop-corn, vous me rajouterez 33cl de sensualité SVP". "Je consomme donc je suis sensuel" s'est substitué au "Je pense donc je suis".
3.2 La société de consommation urbaine se caractérise par deux choses : une surabondance de signes dans laquelle l'architecture est l'une des composantes majeures, une "éphémérisation" de ces mêmes signes car le temps est aussi un élément de consommation. Comme tout phénomène de trop-plein, elle s'accompagne également du "trop-vide" (SDF, exclus en tout genre, absence de repères, ...). La sensualité, en tant que vecteur du plaisir, constitue un attribut fort de la société de consommation urbaine. Le risque d'une architecture complice sans nuance de la société de consommation urbaine, c'est celui, fatal, d'une double perte : celle du Sens et celle de l'échelle du temps ; deux notions fondatrices de la notion d'architecture.
4) Ville sensuelle et ville rationnelle
4.1 Demander à un fakir s'il préfère un divan moelleux ou sa planche à clous ! Tout est une affaire de point de vue. Et si une ville rationnelle était une ville sensuelle qui s'ignore ?
4.2 Faut-il opposer "ville sensuelle" à "ville rationnelle" ? Une ville des sens à une ville de la raison ? Les sens que développent l'homme ne se distinguent-ils pas des instincts par l'obligation de raison propre à l'homme ? Et la raison, n'est-elle pas un "sens" à part entière émanant de l'intelligence ? On peut comprendre la ville rationnelle comme une ville matricielle, efficace, ordonnée ; une ville d'ingénieur, obéissant dans sa nature et sa composition exclusivement à des paramètres contrôlés, sans odeur ni saveur. On peut comprendre la ville sensuelle comme une ville libre, féminine dans ses courbes, inattendue, contaminée, parfumée, jouissive, volupteuse. La ville rationnelle est masculine quand la sensuelle déborde de féminité.
5) Sensualité urbaine : entre espace public et privé
5.1 Vous avez une autre question ? "La propriété privée c'est le vol".
5.2 Et si la sensualité urbaine était la forme ultime de résistance à la privatisation rampante des espaces publics ; de tous les espaces publics ?
Mon chat
La famille s'est agrandie. Orpheline de notre précédent chat depuis plusieurs mois, j'ai l'honneur de vous présenter son dernier membre à l'identité incertaine car nous ne parvenons pas à nous accorder sur son nom : Suchi, Mintz, Mies, Douchka, ...
Ca y est, voilà que je me crois sur "Facebook" !
Mais j'aime les chats et me reviennent les paroles du "Testament" du grand Georges :
Dieu veuille que ma veuve s'alarme
En enterrant son compagnon,
Et que pour lui faire verser des larmes
Il n'y ait pas besoin d'oignon...
Qu'elle prenne en secondes noces
Un époux de mon acabit:
Il pourra profiter de mes bottes,
Et de mes pantoufles et de mes habits.
Qu'il boive mon vin, qu'il aime ma femme,
Qu'il fume ma pipe et mon tabac,
Mais que jamais - mort de mon âme! -
Jamais il ne fouette mes chats...
Quoique je n'aie pas un atome,
Une ombre de méchanceté,
S'il fouette mes chats, y'a un fantôme
Qui viendra le persécuter.
L'oeil aiguisé du travailleur (1)
Confronté au succès de ma rubrique précédente ("L'oeil aiguisé du vacancier") et contraint, comme le disait Victor Hugo, de mener tout à la fois une "oeuvre et une besogne", j'ai du remettre mes habits de salarié et mon oeil ne va plus s'aiguiser désormais - et pour quelque temps - que sur des détails laborieux.
Illustration avec la photo de la semaine extraite d'une visite dans les ruines d'un des antres du capitalisme paternaliste du XIXème siècle : les anciennes usines Saint Frères de Flexicourt. Je laisse le soin au lecteur curieux (forcément curieux, autrement il ne serait pas ici) de tapoter "Saint Frères" ou "Flexicourt" sur son provider (je ne sais pas exactement ce que signifie ce mot, mais je lui trouve une sonorité barbare qui me plait) pour en savoir plus sur cette épopée industrielle qui, comme toute chose en ce bas monde, a deux visages : ici, celui du progrès, et là celui de l'indécence.
De ma visite un jour de pluie abondante qui donnait aux espaces intérieurs cette illusion supplémentaire de désespoir, j'ai rapporté quelques photos-souvenirs de la mémoire des travailleurs, contaminée avec poésie par les assauts du temps.
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