lundi 21 septembre 2009

Le château de Maulnes, "Un monument insigne absolument unique...*"



Alors que le concours pour le pentagone français - baptisé par tous « Balargone » du fait de son implantation future sur le site de Balard - bat son plein, je voudrais rendre hommage à cette figure originale de l’architecture. Exceptionnellement, j’abandonnerai les rivages de l’architecture contemporaine, pour aller puiser mon inspiration à la Renaissance et dans l’Yonne. Mais, « la modernité n’a-t-elle pas un cœur ancien ? », dixit Renzo Piano.

« Il est, ce volume pur aux arêtes franches, solides, et tient en lui une ligne, fine, souple et serpentine. » Laurence Carminati.

Construit entre 1566 et 1573 pour Antoine de Crussol et Louise de Clermont, Duc et Duchesse d’Uzès, afin d’en faire un pavillon de chasse, le château de Maulnes est édifié sur un léger promontoire au cœur de la forêt, sur la Commune de Cruzy-le-Châtel à une quinzaine de kilomètres à l’est de Tonnerre.
Un aperçu du projet originel peut être imaginé en consultant la représentation axonométrique établie par l’architecte Jacques Androuet du Cerceau en 1576 dans Les Plus Excellents Bâtiments de France. De cet ambitieux ensemble comprenant également un jardin clos de 17.000 m2 et une galerie à deux niveaux de 45m de longueur, seuls le corps de logis principal conçu sur un plan pentagonal unique en France et une partie des communs érigés en demi-cercle d’environ 200m de diamètre subsistent aujourd’hui. La construction de Maulnes ne fut d’ailleurs jamais achevée ; le château est délaissé par Louise peu après la mort du duc d’Uzès en 1573.

Le premier mystère attaché à Maulnes est celui du nom de son architecte. Il est probable qu’il n’y ait pas eu un concepteur unique.
En premier lieu, l’architecte Peruzzi, auteur du château de Caprarola près de Rome en Italie, édifié aux environs de 1520, dont le logis principal de Maulnes est fortement inspiré : un pentagone, 3 travées d'ouvertures identiques par façade à chaque niveau, autour d'un vide central. Il est vraisemblablement celui qui dressa les premiers plans du château.
Secundo Serlio, architecte d’Ancy-le Franc tout proche pour le compte d’Antoine III de Clermont, frère de Louise, dont il est attesté qu’il fut disciple de Peruzzi et a participé au chantier de Caprarola.
Tertio Philibert Delorme, l’architecte des Tuileries pour la reine Catherine de Médicis qui a visité le chantier de la demeure pentagonale italienne lors d’un séjour à Rome, et qui a également conçu le château d’Anet pour Diane de Poitiers. Ces deux célèbres commanditaires sont des proches de Louise de Clermont.
Quatro enfin Primatice, jeune architecte et peintre italien, élève de Miche-Ange qui prend la suite de Serlio à Ancy-le-Franc et qui participe à la décoration du château de Tanlay distant de quelques kilomètres de Maulnes.
Mais il n’est pas improbable que le duc et le duchesse d’Uzes eux-mêmes soient intervenus pour modifier les plans établis par les hommes de l’art. Il s’agissait en effet d’un couple cultivé, disposant d’une très grande ouverture d’esprit et ayant eu l’occasion par leurs familles respectives de s’intéresser à l’architecture.
S’il est impossible de s’accorder sur le nom de l’illustre architecte, en revanche les identités du maçon et du charpentier avec lesquels un marché de construction est passé le 6 mai 1566 sont connues…

Au rang des mystères il faut évoquer Mélusine. Plusieurs légendes racontent que cette fée maléfique a vécu au Château de Maulnes et qu’elle y est morte après s’être jetée dans le puits central. Depuis, son fantôme hante les environs et il n’est pas un malheur qui ne lui soit pas attribué.

Sur un plan architectural, Maulnes semble avoir été pensé par un esprit supérieur. Les historiens de l’architecture qui l’ont étudié soulignent que le château « reprend en effet des principes « classiques » établis par la Renaissance italienne, tels que les ordres, les règles de composition (répétition, sobriété…) ou encore l’usage de formes géométriques, mais il ne les suit que partiellement et même joue avec comme pour les décaler. Ce jeu avec les formes « classiques » peut le rapprocher des maniéristes, et même annoncer le style baroque. De plus, Il reprend des singularités architecturales françaises de cette période historiques tout en les transformant. »

Outre son plan pentagonal qui constitue déjà une originalité en soi, la bâtisse présente des dispositions subtiles. Elle s’organise, sur toute sa hauteur- c'est-à-dire sur 8 niveaux dont 3 en semi-enterrés -, autour d’un vide central de section circulaire. L’escalier principal, de révolution pentagonale également, vient s’enrouler autour de ce cylindre qui agit comme un double puits : de lumière, et d’eau de pluie également provenant de la terrasse supérieure. Cette eau pouvait être recueillie dans la vasque en partie inférieure ; vasque alimentée par l’une des 3 fontaines sur lesquelles Maulnes est érigé.


Certaines fenêtres de grande hauteur situées dans les murs extérieurs sont positionnées précisément en fonction des solstices d’automne et d’hiver afin de bénéficier des meilleurs ensoleillements pendant les périodes de chasse.
Entre ces ouvertures périphériques et le puits de lumière central s’organise un jeu remarquable de l’éclairage naturel qui ne peut être du au hasard.

Un système astucieux de circulation de l’air chaud à l’intérieur de certains murs creux, et la présence d’une salle de bains chauffée par un faux-plancher en dalle comme dans les thermes romains font de ce relais de chasse un lieu pensé dans un réel souci du confort.

L’implantation elle-même de Maulnes n’a pas été improvisée : l’architecte a évaluer les vents dominants, mesuré tout le partie qu’il pouvait tirer de la présence de trois sources sur le site, et joué avec la déclivité du terrain pour insérer la construction dans son environnement.
Les spécialistes de Maulnes indiquent que « le tracé directeur de cette composition de la seconde renaissance française est d'une simplicité géométrique extraordinaire qui marque bien la place de la « mathématique » dans le mouvement humaniste de la Renaissance. D'autre part le pentagone, par son orientation cosmologique est un véritable calendrier solaire, sinon même une horloge... »

Les matériaux de construction proviennent du site : le bois de charpente des forêts de chênes qui entouraient jadis le château, les pierres de textures et de couleurs différentes des couches géologiques variées du sous-sol.

Alors « HQE » avant l’heure ? Dans tous les cas, ce site, propriété du Conseil Général de l’Yonne depuis 1997 et qui fait l’objet d’un important programme de restructuration et d'études architecturales, historiques et archéologiques, est une destination parfaitement recommandable pour tous les amateurs de belle ouvrage… et de mystères !



* Ce sont les termes même du rapport de la commission supérieure des Monuments historiques à propos de ce château, qui "occupe une place importante dans l'histoire de l'architecture et dans l'histoire de l'art.".

Remerciements à Jean-François Bonne et son épouse qui m’ont permis de découvrir Maulnes.

4 commentaires:

  1. La visite vaut le détour comme on dit. Avec Pergame comme guide, c'est le top. C'est un lieu entre conceptuel et réel, entre imaginaire et utilitaire. Beuacoup d'originalité dans les accès, dans la distribution de la lumière, dans l'escalier...

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  2. J'oubliais : bravo pour les photos, elles illustrent à merveille tes propos !

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  3. Peut-être pourrai-je me reconvertir dans la visite commentée de monuments historiques quand la société mercantile aura fini de m'essorer !

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  4. Bonjour, très bel article sur ce château qui est magnifique, mais j'ai tout de même une petite question: savez vous pourquoi l'orientation cosmologique de ce pentagone fait référence au "calendrier solaire", voir a une "horloge"? Si vous aviez la réponse... je serais enchanté de la connaître ! merci

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