mercredi 9 septembre 2009

Villes et architectures sensuelles

Un colloque de 2 jours (2 jours !) au Collège de France (au Collège de France !) va traiter de la "Ville sensuelle", avec comme support le Pavillon de la France pour l'exposition universelle de Shangaï de l'architecte Jacques Ferrier.
Les différents thèmes abordés seront :
- L'usage des sens dans la ville
- L'architecture moderne est-elle ennemie de la sensualité ?
- Sensualité et société de consommation urbaine
- Ville sensuelle et ville rationnelle
- Sensualité urbaine : entre espace public et privé

Je me suis exercé à "travailler" chacun des thèmes selon deux modes : le premier, celui de l'humour (????); et le second, en essayant de dire 2 ou 3 choses. Merci de votre indulgence.

1) L'usage des sens dans la ville
1.1 Il existe principalement 3 formes de sens dans la ville : le sens interdit qui vaut un retrait ; le sens giratoire, inventé par les derviches ; le sens unique qui ne supporte pas la contradiction ; j'aimerais qu'il existe des sens intouchables, des sens à triple sens, des sens de l'essence (pratique), des sens futiles, des sens absolus, des sens majeurs, des sens de l'innocence, des sens insensés, des sens insouciants, des sens en partance, des sens en devenir, un 7ème sens et surtout plein de sens cachés.
1.2 Chaque ville a sa personnalité que nos sens détectent immédiatement. Prenons Venise. On fait abstraction des hordes de touristes. Venise, c'est le reflet des façades décrépites sur l'eau trouble des canaux, un parfum indicible de lagune, la foule du rio Alto et le recueillement de la Fondation Querini Stampalia,

les drappés mouvants du marché de la Pescheria et l'exposition raide des trophées de Saint Marc.

Venise, c'est le syndrôme de Stendhal à chaque coin de rue. Venise nous oblige à la spiritualité. Les ombres des passage transpirent le mystère. Avec un peu de patience, chaque pierre nous parle. Chaque palais a son histoire de prince héroïque. Et puis c'est l'odeur des vongoles et des petits sablés à l'orange en forme de couronne que l'on grignote en se perdant. Le soir nous surprend à la terrasse du Florian, dégustant un americano décidément trop cher. Il y a les valses désuètes des orchestres accrédités. Le souvenir de cette soie aux couleurs incroyables qui glisse entre nos mains avant d'échouer fatalement au cou d'une femme (fatale ?), et la caresse du galbe d'un verre de Murano. Mais surtout : user de ses sens à Venise c'est monter dans le Vaporetto 1 ou 82, s'installer à l'avant et oublier le temps.

2) L'architecture moderne est-elle ennemie de la sensualité ?
2.1 La question est-elle bien posée ? La problématique n'est-elle pas plutôt : la sensualité est-elle l'ennemie de l'architecture moderne ? Réponse : tapez "sensualité" sur google et voyez. Autre réponse : non, les peep-show ne s'intègrent pas plus mal que les Mac-do !
2.2 En dénonçant l'ornement comme un crime, Loos n'a-t-il pas voulu donner à l'architecture moderne une posture exclusivement spirituelle, l'éloigner de toutes tentations de se confondre avec un simple décor, tout en apparence, vidée de son épaisseur et de son sens ? Car le jeu des sens - la sensualité - n'est-il pas en quelque sorte exclusif du "sens" ? Ce que recherchait Loos, c'était de redonner à l'architecture une dimension fondamentale. L'accessoire, les accessoires, devaient disparaître au profit de la seule vérité spatiale qui livre l'émotion. L'histoire de l'architecture jusqu'à l'époque moderne est riche de styles variés qui offrent tous une large place à la sensualité (des temples égyptiens ou grecs aux vertiges du baroque, des frontons de cathédrale aux volutes de l'art nouveau. La façade du Palais de Sans Soucis à Postdam (début du 19ème)comporte un alignement extraordinaire de cariatides dénudées et de faunes lubriques. Oui, la sensualité (débridée) est ici au rendez-vous. Et puis il y a la rupture, avec l'amplification du "Less is more" de Mies Van der Rohe. Mais, peut-on dire que le Pavillon de Barcelone,

les Thermes de Vals, les chapelles de Tadao Ando ou le magasin Prada d'Herzog et de Meuron à Tokyo

sont dénuées de toute sensualité ? Je ne crois pas. N'est-ce pas plutôt notre appréhension de la sensualité qui a changé ? A l'instar de notre gout qui a évolué dans d'autres arts comme la peinture ou la sculpture ? Serra, Rothko, sont-ils des artistes ennemis de la sensualité ? Il faut se glisser entre les plis d'une sculpture de Serra et toucher de la main ces tonnes d'acier aux couleurs incroyables
pour savoir que la sensualité existe sans la profusion. La "sensualité moderne" est une forme de sensualité qui a évolué et s'est enrichie - ou a amplifié - l'un des sens profondément humain qui est celui de l'imaginaire. La sensualité de l'architecture appelle un sixième sens ; celui de l'émotion imaginaire. Mais : sensualité ou volupté ?
Je veux dire un mot de la salle de piano de la philharmonie de C. de Portzamparc au Luxembourg qui a des allures de courtisane avec sa rampe déployée comme une longue robe de soirée. Et puis de ce test que j'ai réalisé ; visiter à la suite deux oeuvres fortes et opposées d'architecture contemporaine : La cour européenne des droits de l'homme et cette Philharmonie. Ma sensation fut comparable à celle que peut procurer la dégustation simultanée de deux grands crus ; sans doute un Bordeaux et un Bourgogne.
Et si l'architecture contemporaine et héritière de l'architecture moderne avait simplement oublié l'échelle de l'Homme ? La sensualité suppose un rapport intime à l'Homme. En dehors des 5 sens traditionnels dont on verra plus loin dans le récit qu'ils ne peuvent constituer les seuls composants de la sensualité, les éléments susceptibles d'établir ce rapport sont, me semble-t-il, 1) le sens 2) l'échelle 3)l'histoire 4) la matière.
Par ailleurs, l'architecture moderne s'est fondée sur le triptyque suivant 1) le positivisme (croyance dans le bonheur par la technique) 2) l'universalisme (notre société = référence absolue) 3) la négation de l'ornement (au prétexte du fondamental). Les composants de ce triptyque, s'ils ont eu leur raisin d'être (ou plutôt d'émerger) sont aujourd'hui caduques. Les fondements d'une architecture sensuelle résident plutôt dans 1) le doute 2) la singularité 3) la poésie

3) Sensualité et société de consommation urbaine
3.1 "Et avec mes pop-corn, vous me rajouterez 33cl de sensualité SVP". "Je consomme donc je suis sensuel" s'est substitué au "Je pense donc je suis".
3.2 La société de consommation urbaine se caractérise par deux choses : une surabondance de signes dans laquelle l'architecture est l'une des composantes majeures, une "éphémérisation" de ces mêmes signes car le temps est aussi un élément de consommation. Comme tout phénomène de trop-plein, elle s'accompagne également du "trop-vide" (SDF, exclus en tout genre, absence de repères, ...). La sensualité, en tant que vecteur du plaisir, constitue un attribut fort de la société de consommation urbaine. Le risque d'une architecture complice sans nuance de la société de consommation urbaine, c'est celui, fatal, d'une double perte : celle du Sens et celle de l'échelle du temps ; deux notions fondatrices de la notion d'architecture.

4) Ville sensuelle et ville rationnelle
4.1 Demander à un fakir s'il préfère un divan moelleux ou sa planche à clous ! Tout est une affaire de point de vue. Et si une ville rationnelle était une ville sensuelle qui s'ignore ?
4.2 Faut-il opposer "ville sensuelle" à "ville rationnelle" ? Une ville des sens à une ville de la raison ? Les sens que développent l'homme ne se distinguent-ils pas des instincts par l'obligation de raison propre à l'homme ? Et la raison, n'est-elle pas un "sens" à part entière émanant de l'intelligence ? On peut comprendre la ville rationnelle comme une ville matricielle, efficace, ordonnée ; une ville d'ingénieur, obéissant dans sa nature et sa composition exclusivement à des paramètres contrôlés, sans odeur ni saveur. On peut comprendre la ville sensuelle comme une ville libre, féminine dans ses courbes, inattendue, contaminée, parfumée, jouissive, volupteuse. La ville rationnelle est masculine quand la sensuelle déborde de féminité.

5) Sensualité urbaine : entre espace public et privé
5.1 Vous avez une autre question ? "La propriété privée c'est le vol".
5.2 Et si la sensualité urbaine était la forme ultime de résistance à la privatisation rampante des espaces publics ; de tous les espaces publics ?

1 commentaire:

  1. Les interventions de la plupart des intervenants m’ont laissé les traces agréables et inspirés dans le débat sur la sensualité dans la ville…. Quelques un surtout impressionnant insérer dans l’ensemble principalement ‘architecturale’ (pour l’étrangère que je suis…) La diversité des domaines touchés – Parfumer – gastronomie – danse – littérature – arts dramatiques – l’histoire – Le tout ponctué par les rapprochements des arts en direct montrant une certaine élégance de la part des organisateurs français par rapport aux participants multinationaux !
    Chorographie- pièces dramatiques vivantes – dégustation de vin avec apprentissage appétissant ! L’expérience en valait la peine de 2 jours sortie de bureaux et de train train quotidien de charrettes et délais serrés !
    Seule déception constaté …. Que le moins sensuelle des intervenants dans le débat soit Ferrier même – omniprésent comme un frère ainé fier de ces frangins – mais détachés de qualité de leurs apports personnels…

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