Cette photo en noir et blanc, accrochée au mur dans les toilettes d’une maison d’amis, est intéressante. Je la trouve très belle et elle m’intrigue. Je me suis donc mis dans la tête de tenter de la décrire aussi précisément que possible, de telle sorte qu’une personne qui ne la verrait pas puisse en avoir une idée assez juste. C’est aussi, en passant, un petit exercice d’écriture …
Plusieurs échanges avec mon amie, propriétaire de la photo, m’ont permis d’enrichir mon texte … et de prendre quelques libertés d’apprenti romancier.
Cette photo a été prise en pleine nature, sur la commune de Prailles-La Couarde à une vingtaine de kilomètres à l’est de Niort, où habitaient les aïeux de mon amie, précisément à la Ferme de Fombelle qui appartient toujours à sa famille. Le père de mon amie avait gardé le souvenir de cette ferme dans laquelle, alors qu’il était enfant, vivaient encore ses grands parents.
C’est dans ce petit village de La Couarde que l’on peut visiter aujourd’hui le Centre Jean Rivierre, un bâtiment à l’architecture modeste mais non dénuée d’intérêt, recouvert de lattes de châtaignier et inauguré en 2009. Le Centre accueille le secrétariat de la Maison du protestantisme poitevin situé dans la commune proche de Beaussais et conserve un fond documentaire important : 2.000 ouvrages, 250.000 relevés d’actes référencés et surtout le « Livre d’or des Protestants du Poitou persécutés pour leur foi », une sorte de « dictionnaire » des familles protestantes établi par le pasteur Jean Rivierre (1904-1993) qui consacra plus de cinquante années de recherche à l’écriture manuscrite de ses 6.300 pages réparties sur 14 volumes - une « bible » pour tous les curieux de généalogie (le site de « L’entraide généalogique de la Vienne - GE86- permet de lire un remarquable et émouvant portrait de ce pasteur).
Mais revenons à notre photo.
On peut y voir une assemblée de fidèles ; une trentaine, les femmes à droite et les hommes à gauche (à l’exception de deux hommes que l’on devine parmi le groupe des femmes, au premier rang). Ils sont assis sur des chaises alignées sur trois ou quatre rangées pour les premières et deux rangées pour les seconds. Au centre et au fond, une petite estrade avec un pupitre derrière lequel se trouve un pasteur reconnaissable à ses deux rabats blancs qui signifient l’Ancien et le Nouveau testament. L’assemblée occupe toute la photo ; déborde même très légèrement du cadre.
Devant et de part et d’autre du pupitre, on peut distinguer plusieurs enfants, principalement des filles avec une coiffe blanche en collerette tout autour du visage.
Le photographe a posé son appareil photo à environ 4 ou 5 mètres des premiers fidèles, dans l’axe d’un sentier qui chemine jusqu’à l’estrade et qui délimite les espaces réservés (théoriquement) à chaque sexe.
Derrière le groupe des femmes, un arbre au tronc puissant dont l’une des branches basses maîtresses, dénuée de feuilles, décrit un arc de cercle au-dessus du pasteur. D’autres arbustes formant taillis ferment la perspective. On est au bout d’un chemin dans un lieu choisi, à l’écart, dédié au culte. Une herbe pauvre et rase couvre un sol pierreux.
Les femmes ont la tête couverte d’une coiffe blanche, simple, plutôt plate, qui descend très bas des deux côtés du visage, mais laisse le front dégarni, assez largement. Les jupes grises, que l’on devine confectionnée avec du tissu grossier, sont amples ; elles leur dissimulent les pieds et semblent monter assez largement au-dessus de la taille. Elles portent des gilets plus ajustés que les jupes et de couleur noire.
Les hommes portent des vestes ou des chasubles, en tissu modeste également ; peut-être en coutil. Aux pieds, des sabots. Ceux du premier rang ont la tête coiffée d’un chapeau noir à larges bords. A l’arrière, deux ou trois arborent des couvre-chefs blancs à rubans noirs, à larges bords également ; des élégants ?
Une chaise est vide au premier plan du côté des hommes ; on peu imaginer que c’est celle du photographe.
Plusieurs participants tournent la tête et regardent le photographe comme dans certains tableaux classiques - je pense à « La Ronde de nuit » de Rembrandt. Une femme en particulier à la tête penchée et le regard tourné vers l’objectif du photographe.
La qualité de la photo ne permet pas de distinguer clairement les traits du visage des fidèles à l’exception d’un jeune homme au second rang, l’un de ceux qui porte un chapeau blanc. Il s’agit de l’arrière-arrière-grand-père de mon amie ; on devine dans son visage régulier, les traits fins du visage, son regard clair, les expressions que l’on retrouve aujourd’hui chez mon amie sur une autre photo prise d’elle, sensiblement au même âge. Il est curieux que cet homme, qui était fils de paysan, ait pu se distinguer des autres participants par un accessoire d’élégance. Peut-être s’agit-il de « l’officier » de la fratrie - ils étaient 6 garçons et trois filles - qui s’est engagé jeune dans l’armée et y a fait une assez brillante carrière jusqu’à être tué sur le Fleuve rouge au Tonkin par des chinois des Pavillons noirs, en avril ou mai 1882.
Mais revenons à nouveau à notre photo.
Le pasteur nous fait face. Avec son front très haut, ses cheveux que l’on devine de couleur claire (peut-être blancs ?), il se tient bien droit, une main posé sur le pupitre, deux ou trois livres en pile à proximité, dont très probablement une Bible. Une certaine noblesse pleine de sérénité se dégage de cet homme encore jeune (peut-être une quarantaine d’années).
Il s’apprête à célébrer le culte et il laisse quelques secondes encore au photographe pour éterniser cet instant, avant de prononcer les quelques mots d’accueil qui précèdent la salutation et une louange adressée à Dieu.
A noter que ce culte célébré dans la nature, en dehors de tout édifice, ne signifie pas que qu’il ait été menacé à cet endroit, à cette époque (cependant, 100 ans plus tôt des pasteurs ayant célébré le culte pouvaient être condamnés à mort). Il est plus probable qu’il n’y a pas de temples où qu’ils ont été détruits ; la plupart des temples de la région ont été construits après le Concordat (15 juillet 1801) et, surtout, dans la seconde moitié du 19ème siècle. Par ailleurs, si l’on en croit le site internet « Musée protestant »
https://museeprotestant.org/ , les protestants ne doivent avoir besoin ni de bâtiments ni de locaux spéciaux pour la célébration du culte puisqu’ils sont eux-mêmes « le temple de Dieu » …