Reinhard Hohn
était docteur en droit, écrivain prolixe de manuels de management et de
développement personnel, orateur remarquable doué d’un sens aigu de la
pédagogie.
Mais derrière le professeur éminent se cachait - sans trop d’efforts
compte tenu de la stratégie voulue par la RFA moins de cinq ans après la
défaite du 3ème Reich - un général SS qui s’employa, durant une douzaine
d’années, de 1933 à 1945, à bâtir des principes de management des « ressources
humaines » susceptibles de répondre aux besoins de l’expansionnisme
délirant, raciste et eugéniste du nazisme. De ses travaux, le zélé Prof. Dr et
SS-Oberführer Reinhard Höhn tira des principes en contradiction avec
les méthodes associées généralement aux systèmes dictatoriaux, et en
particulier, l’abolition (apparente) de la hiérarchie verticale au profit d’un
engagement individuel fondé, d’une part, sur l’adhésion à un collectif
transcendant, idéalisé, et d’autre part, sur une autonomie dans le choix des
moyens d’exécution d’objectifs dictés (avec une légitimité absolue) par des
instances supérieures. L’individu se trouvant ainsi valorisé par son degré
d’autonomie mais également responsable exclusif d’un échec de sa mission, est
au final « libre d’obéir ».
Ainsi « Ce pays (...) fut le
lieu paradoxal d’une « modernité réactionnaire » qui mit au service
d’un projet archaïque (retour aux origines, guerre zoologique) toutes les
ressources de la modernité scientifique, technique et
organisationnelle. »
Au-delà d'une description approfondie et documentée du travail de Reinhard Höhn et de ses sbires, Johann
Chapoutot, historien, spécialiste d’histoire contemporaine et du nazisme, nous
alerte sur la filiation entre certaines techniques du management dit
participatif et celles promues dans le cadre d’une politique d’asservissement
des masses élaborée dans l’un des pires contextes de l’histoire récente, le
système mortifère nazi. Il ne s’agit cependant pas de confondre les pratiques d’un
Reinhard Höhn et celle d’un coach d’aujourd’hui , mais de savoir conserver une
distance critique vis-à-vis de certaines théories managériales en identifiant la part du
« vrai » - de l’éthique - et celle du mensonge qui, sous prétexte
d’une autonomie incitative et enthousiasmante, masque une finalité
exclusivement financière voire de soumission.
L’auteur
conclut par cette considération : « Les temps peuvent également changer
sous l’effet de circonstances plus générales et plus pressantes : notre regard
sur nous-mêmes, sur autrui et sur le monde, pétri de « gestion », de
« lutte » et de « management » par quelques décennies de
productiviste et de divertissements bien orientés (du « maillon
faible » aux jeux concurrentiels de télé-réalité) changera peut-être en
raison du caractère parfaitement irréaliste de notre organisation économique et
de nos « valeurs ».- [ ] Peut-être que nos enfants les considéreront aussi étranges et lointaines que nous apparaît désormais le jeune SS et vieux
professeur de Bad Harzbourg ruminant la défaite du Reich et tentant de la
sublimer en faisant de son pays un géant économique. »
Remarquable, édifiant.