Thomas McNulty est le narrateur de ce roman picaresque qui retrace sa vie d'émigré irlandais fuyant, comme un grand nombre de ses concitoyens, son pays dévasté par la grande famine de 1845-1852. Sa famille a été décimée et le jeune Thomas n'a pas d'autre choix à 13 ans que de s'embarquer clandestinement pour rejoindre le nouveau continent. La traversée s'effectue dans des conditions totalement inhumaines : "
J'ai passé six semaines parmi les déchus, les ruinés, les affamés. (...) On était rien. On était des pestiférés. Des humains faits rats. La faim, ça vous prend tout. Alors, on était plus rien."
Débarqué au Canada, il rejoint le Missouri où il fait par hasard, et pour son plus grand bonheur, la rencontre de John Cole, un autre garçon de son âge aux origines indiennes du côté de son arrière grand-mère, qui deviendra son ami puis plus tard son amant.
Les deux jeunes gens vont alors partager leur vie, voyager ensemble et d'abord se retrouver à Daggsville, une bourgade peuplée de mineurs, située aux confins de la zone séparative entre les états de l'Union et les territoires (théoriquement) réservés aux indiens.
Ils sont tout d'abord engagés dans un théâtre et s'y produisent durant deux ans, déguisés en femme, dans un spectacle de danse qui subjugue le public frustre de ces travailleurs de la mine. Mais l'âge aidant, il devient impossible de masquer leur masculinité et ils doivent quitter à regret le théâtre de M. Titius Noone.
Ils s'engagent alors dans l'armée car "
si vous aviez vos quatre membres vous étiez accepté. (...) Mais vous étiez content d'avoir un boulot, parce que en Amérique, sans quelques dollars en poche, on crève de faim."
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Sebastian Barry |
La suite de l'histoire entraîne le lecteur à partager au quotidien la vie d'un homme de troupe engagé en cette seconde moitié du 19ème siècle dans les combats atroces menés avec une sauvagerie extrême contre les indiens spoliés de leurs terres et considérés comme des sous-hommes. On connait la fameuse phrase du général Shéridan : "
Les seuls bons indiens que j'ai jamais vus étaient morts." A l'occasion d'un de ces combats John et Thomas recueillent Winona, la fille d'un chef sioux, Celui-Qui-Domptait-Les-Chevaux. Les deux compères vont alors tout faire pour protéger cet enfant, au péril le plus souvent de leurs vies.
Des guerres indiennes le récit passe à la Guerre de Sécession, terrible également, avec deux camps peuplés de gueux qui s’entre-tuent avec la même sauvagerie.
Sebastian Barry décrit à la perfection le chaos, la trouille, la haine, l'absurdité qui animent ces combats ainsi que la vie épouvantable des hommes de troupe confrontés à des situations extrêmes (climatiques, alimentaires, sanitaires). Ses descriptions, parfois à la limite du soutenable, sont un plaidoyer puissant contre la guerre, le racisme, l'intolérance et la misère.
Mais le roman est aussi traversé par de très remarquables portraits d'hommes habités par une grande générosité et un profond humanisme.
Le livre nous révèle également les conditions violentes de la naissance de l'Amérique. Tous ces massacres ne datent que d'un siècle et demi ! Et on parle quand même de 10 millions d'indiens exterminés par les blancs, seulement en Amérique du Nord ! Les clivages et les extrêmes tensions entre communautés dans les USA d'aujourd'hui sont-ils des séquelles de cette histoire, somme toute, relativement récente ?
Au cœur du livre il y a aussi cet amour entre deux hommes que l'auteur décrit avec beaucoup de sensibilité. Il est dit que cette histoire dans l'histoire lui fut inspirée par son fils, homosexuel, qui avait fait quelque temps auparavant son coming-out.
C'est un livre qui peut se lire d'une traite tant le récit est vif, imagé, plein de rebondissements.
Kazuo Ishiguro, Prix Nobel de littérature 2017 a dit de ce livre : "Mon roman préféré de l'année est le magnifique
Des jours sans fin."
Livre de vacances *****