dimanche 30 juin 2019

"La fille de la superette" de Sayaka Murata

Résultat de recherche d'images pour "la fille de la supérette"Un konbini est l'une de ces superettes ouvertes 24/24 et 7/7 au Japon (mais bientôt ici aussi, ne désespérons pas !). Keiko y est entrée un jour pour trouver un job à temps partiel afin de financer ses études et 18 ans plus tard, elle y est encore, vierge, vieille fille et asexuelle. C'est la rencontre avec un marginal, Shiraha, qui va mettre un petit grain de sable dans la vie parfaitement codifiée de l'employée modèle. Mais derrière ce visage de la normalité se cache une personnalité dont les jugements peuvent paraître totalement anormaux (on a envie de dire a-normaux). Il y a quelque chose de la "Métamorphose" de Kafka dans ce petit récit de moins de 150 pages, sauf que l'héroïne ne se transforme pas en cafard mais en ...
Il parait que "La fille de la supérette" a reçu au Japon l'équivalent du prix Goncourt. Pourquoi pas ? Je n'ai pas été subjugué par le style ; sans doute aussi trivial qu'une ambiance de supérette. Mais après tout, l'histoire aurait-elle été crédible (et lisible) dans un style proustien ?
Ces personnages peuvent-ils être autres que japonais ? La soumission inconditionnelle aux règles de ce petit monde du business quotidien est-il une exclusivité nippone ? Je n'en crois rien. Je peux témoigner de la docilité d'individus face à la seule autorité hiérarchique.
Il est clair qu'après la lecture de ce livre, vous ne regarderez plus le personnel des konbinis de la même façon ; peu importe puisque nous n'allons pas au Japon tous les quatre matins !
A recommander à tous les psy qui ne manqueront pas de qualifier les différentes névroses des personnages principaux.

mardi 18 juin 2019

Un soir dans le métro

Il avait laissé une femme noire, immense, les cuisses couleur caramel découvertes en presque totalité, un nez à la courbure proéminente, des faux-cils d'une amplitude invraisemblable, des lèvres charnues teintées rouge-sang, qui scrutait avec fébrilité l'écran de son smartphone dans une voiture surchauffée d'un métro noctambule qui alertait par période dans des langues de touristes sur les risques des pickpockets et les dangers des bagages abandonnés.
Il avait attendu, discipliné, 7 minutes sur le quai de la Ligne 3 comme l'annonçait l'écran au-dessus de sa tête. Les hauts-parleurs diffusaient un avis informant la fin du service sur la Ligne 4 et l'obligation pour les voyageurs d'évacuer la station. Ce n'était pas son problème.
Il était entré dans la nouvelle rame et un type entre deux âges - 50, 55 ans - s'était assis à côté de lui. L'homme était coiffé d'une sorte de Stetson Tribly de bouliste, arborait une chemisette aux motifs cachemires et un panta-court en imprimé camouflage, les cuisses écartées et les pieds nus dans des sandalettes en toile. Il était accompagné d'un immense carton protecteur d'une probable oeuvre d'art qui resterait pour lui (moi en fait) définitivement anonyme. Sans ce carton, l'idée que l'homme se rendait à la plage lui (ou moi si vous voulez) serait apparue comme tout à fait envisageable. D'ailleurs, il trimbalait une mine désabusée de fin de congés payés.
Une jeune femme rondouillarde, debout au milieu du wagon, tentait de conserver son équilibre, les mains encombrées par un doggy-bag duquel s'échappaient avec générosité les effluves grassouillettes d'un dîner bon marché.
Il venait d'assister à un hommage à l'écrivain israélien Amos Oz, et tout le reste ne valait rien.

Mémoires d'un imbécile heureux


vendredi 14 juin 2019

"Mary said what she said"

Résultat de recherche d'images pour "mary said what she said"Exceptionnelle performance d’Isabelle Huppert dans « Mary said what she said » à l’Espace Cardin qui se substitue au Théâtre de la Ville le temps de la rénovation de ce dernier.
C’est un texte fou de Darryl Pinckney déclamé à la veille de son exécution par décapitation à la hache* par une Marie Stuart emprisonnée depuis déjà 18 ans.
La mise en scène de Robert Wilson est tout aussi fascinante qui fait évoluer le personnage de cette reine maudite dans un espace saturé d’une lumière évoquant le vide ou l’infini d’une désespérance absolue, et rythmé par une musique d’une inquiétante beauté.
Espace, Temps, ... Architecture ...
Les réminiscences d’un passé chaotique reviennent en boucle comme un mantra, jusqu’à la folie.
Les tableaux - il s’agit bien de tableaux tant Isabelle Huppert semble appartenir à une toile d’un Vermeer ou d’un Frans Hals - sont d’une plastique envoûtante et la scène de Marie Stuart en pantin halluciné hurlant sa folie dans des allers-retours désarticulés est absolument stupéfiante.
Immense. Formidable.
* pour "l'anecdote", le bourreau, ivre, a du s'y reprendre à 3 fois pour trancher la tête de la reine avant de la présenter au peuple ... lequel s'est précipité pour plonger ses mains dans le sang de la suppliciée ...

jeudi 13 juin 2019

"Entre amis" d'Amos Oz

En huit courtes nouvelles apparemment anodines, l'auteur israélien Amos Oz disparu en décembre dernier et dont l'oeuvre fut couronnée par de très nombreux prix (mais hélas pas le Prix Nobel, comme Léonard Cohen ...), livre une galerie de personnages comme un condensé d'humanité.
Résultat de recherche d'images pour "entre amis amos oz"Ils appartiennent tous au kibboutz Yikhat, même si certains sont en rupture de banc comme l'oncle qui a fait fortune en Italie dans des commerces douteux, Luna la veuve éconduite qui décide de refaire sa vie ailleurs (dans la "vraie vie" ?) ou encore le vieux père sénile hospitalisé auquel son fils vient rendre visite et qu'il ne reconnait pas.
Appartenir est le terme juste car au kibboutz rien ne se décide en dehors de l'assentiment du Conseil, garant de la vie communautaire. L'individu n'existe que par la place qui lui a été affectée et sa contribution au collectif.
Amos Oz a lui-même vécu plusieurs années dans un kibboutz, celui de Houlda qu'il a rejoint volontairement à l'âge de 15 ans, 3 ans après le suicide de sa mère, rompant par-là sa relation avec un père "looser" et afin d'assouvir son désir d'engagement en faveur des idéaux de gauche et de défense d'Israël.
Résultat de recherche d'images pour "entre amis amos oz"Plusieurs thèmes traversent ces récits parmi lesquels la solitude, l'utopie, le devoir, la liberté ou la lâcheté. On est tenté de qualifier le style d'essentiel tant rien ne parait devoir être enlevé de ces phrases le plus souvent courtes, sans aucune emphase, d'une sobriété en accord avec celle du décor du kibboutz et d'une simplicité toute apparente qui fait écho aux personnages eux-mêmes.
C'est un livre sur lequel plane un parfum de mélancolie ou de regret : celui qui accompagne les occasions ratées entre les individus. Mais il y a aussi beaucoup de tendresse et de générosité, d'abnégation même, dans la description de certains personnages. Les hommes sont souvent des lâches et certains des rustres primaires. Les femmes sont plutôt mises en valeur même si l'une d'entre elles se révèle d'une méchanceté insigne.
On aurait envie de placer ce recueil au registre "Comédie humaine".