Il avait laissé une femme noire, immense, les cuisses couleur caramel découvertes en presque totalité, un nez à la courbure proéminente, des faux-cils d'une amplitude invraisemblable, des lèvres charnues teintées rouge-sang, qui scrutait avec fébrilité l'écran de son smartphone dans une voiture surchauffée d'un métro noctambule qui alertait par période dans des langues de touristes sur les risques des pickpockets et les dangers des bagages abandonnés.
Il avait attendu, discipliné, 7 minutes sur le quai de la Ligne 3 comme l'annonçait l'écran au-dessus de sa tête. Les hauts-parleurs diffusaient un avis informant la fin du service sur la Ligne 4 et l'obligation pour les voyageurs d'évacuer la station. Ce n'était pas son problème.
Il était entré dans la nouvelle rame et un type entre deux âges - 50, 55 ans - s'était assis à côté de lui. L'homme était coiffé d'une sorte de Stetson Tribly de bouliste, arborait une chemisette aux motifs cachemires et un panta-court en imprimé camouflage, les cuisses écartées et les pieds nus dans des sandalettes en toile. Il était accompagné d'un immense carton protecteur d'une probable oeuvre d'art qui resterait pour lui (moi en fait) définitivement anonyme. Sans ce carton, l'idée que l'homme se rendait à la plage lui (ou moi si vous voulez) serait apparue comme tout à fait envisageable. D'ailleurs, il trimbalait une mine désabusée de fin de congés payés.
Une jeune femme rondouillarde, debout au milieu du wagon, tentait de conserver son équilibre, les mains encombrées par un doggy-bag duquel s'échappaient avec générosité les effluves grassouillettes d'un dîner bon marché.
Il venait d'assister à un hommage à l'écrivain israélien Amos Oz, et tout le reste ne valait rien.
Mémoires d'un imbécile heureux
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