C'est un réel bonheur d'aller au théâtre* quand il nous est donné d'assister à une pièce dont le thème, le jeu des acteurs et la mise en scène sont justes. Et c'est le cas pour "La machine de Turing" donné dans le modeste Theâtre Michel, 38, rue des Mathurins à Paris (8ème). Il n'y a certainement pas dans le texte le souffle d'une écriture à la Ionesco, Beckett, Camus, Tchekhov ou autres Sartre, mais aucune prétention non plus ce qui permet d'en apprécier d'autant plus la prestation des deux acteurs, et en particulier celle de Benoit Solès qui joue le rôle du grand mathématicien, auteur également du texte.
Tout le monde connait à présent l'histoire héroïque et tragique de ce surdoué des mathématiques, l'un des pères de l'informatique et de l'IA**, dont la prodigieuse intelligence fut employée durant la seconde guerre mondiale par les services secrets britanniques pour déchiffrer "Enigma", la machine à coder les actions militaires d'Adolf Hitler. Mais cette histoire fut longtemps - jusque dans les années 70 - tenue secrète pour des raisons "stratégiques". Turing est mort en 1954 après avoir été condamné par une loi datant de 1885 à subir un traitement censé le guérir de son homosexualité, déchu de ses droits d'enseigner, oublié de ses concitoyens et du monde entier, alors qu'il avait contribué à la victoire des alliés et certainement à abréger la guerre de deux ans, selon plusieurs historiens. Ce n'est qu'en 2013 - il y a tout juste cinq ans - que la Reine Elizabeth II (couronnement en juin 1953 !) a daigné lui reconnaître le statut de héros de guerre et l'a gracié à titre posthume. C'est bien et c'est misérable : 60 ans après son suicide au cyanure !
La pièce interroge sur la question de la différence, en particulier celle liée à l'homosexualité dont on a vu encore récemment, ici, en 2018, qu'elle pouvait conduire des individus à séquestrer et torturer pendant 24H un jeune homosexuel ; mais ailleurs aussi, sous des prétextes divers - blasphèmes, déviance, perversité, ...
Elle questionne également la notion d'intelligence, que l'on assimile encore trop souvent au seul diplôme et à un corpus de connaissances normées, quand elle relève d'un processus plus complexe associant le plus souvent des contraires : intuition et calcul, imaginaire et réalité, concept et développement, théorie et empirisme, etc. ; mais jamais issue de certitudes, d'habitudes, de routines, de ce que j'ai envie de désigner par le "confort bourgeois de l'esprit", cette assurance béate d'être dans le vrai et le bon qui peut conduire à l'indifférence sinon au rejet, précisément, de la différence.
Cette pièce peut interroger enfin sur la montée des populismes, partout dans les pays dits modernes. Le populisme qui n'est rien d'autre qu'une délégation de responsabilité et un renoncement à la liberté contre une promesse de tranquillité, celle du vacancier, celui "qui passe sa mort en vacances" comme le chantait Brassens.
*et pour 24,50€ au 6 ème rang au centre !
**IA : Intelligence Artificielle
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