Évoquant l’intérêt que j’avais trouvé à la lecture de « L’ordre du jour », Prix Goncourt 2017, on m’encouragea à lire « 14 Juillet » dont on me vanta la qualité supérieure. Et bien je ne souscris pas à cet avis : la prose de « 14 Juillet » dans son accumulation de noms propres, d’appellations des petits métiers du Paris de cette fin du 18ème, de tournures de phrases reproduites à l’envi, m’ont « saoulé » selon l’expression aujourd’hui consacrée. Je comprends bien que ce style fait écho à l’agitation de ces journées révolutionnaires, mais pour ma part, le procédé, au lieu de se fondre dans le spectacle grouillant de cette populace fabriquant l’Histoire à la manière d’une cohue bruyante, m’est apparue a chaque paragraphe comme une méthode trop visible, trop calculée, et au final « contre-productive ».
On trouvera le jugement un peu sévère, j’en conviens, mais ça ne donne que plus d’éclat à « L’ordre du jour ».
Ici on tente de s'exercer à écrire sur l'architecture et les livres (pour l'essentiel). Ça nous arrive aussi de parler d'art et on a quelques humeurs. On poste quelques photos ; celles qu'on aime et des paréidolies. Et c'est évidemment un blog qui rend hommage à l'immense poète et chanteur Léonard Cohen.
jeudi 28 décembre 2017
lundi 18 décembre 2017
"Un certain M. Piekielny" de François-Henri Désérable
C'est un bonheur presque absolu - on va dire alors, un plaisir - de commencer la semaine en achevant la lecture d'un tel roman. Le jeune auteur (il a fêté cette année ses trente ans et son troisième livre au pinacle de l'édition, chez Gallimard) revient sur les traces d'un petit bonhomme à la barbiche roussie, locataire de l'immeuble à Vilnius où le petit Roman Kacew a vécu et auquel l'enfant, devenu Romain Gary, a prêté dans "La Promesse de l'aube" ces paroles a priori banales et pourtant immenses : "Eh bien ! quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire ... Promets-moi de leur dire : au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain M. Piekielny ..." Il y a dans cette promesse tout l'espoir de l'Humanité, et cet espoir est porté par la littérature : malgré le déchaînement de la haine, il peut ne jamais y avoir d'oubli, même pour la plus anonyme des victimes.
Ce que dit l'auteur avec brio : "On prétend parfois qu'elle (la littérature) ne sert pas à grand-chose, qu'elle ne peut rien contre la guerre, l'injustice, la toute puissance des marchés financiers - et c'est peut-être vrai. Mais au moins sert-elle à cela : à ce qu'un jeune Français égaré dans Vilnius prononce à voix haute le nom d'un petit homme enseveli dans une fosse ou brûlé dans un four, soixante-dix ans plus tôt, une souris triste à la peau écarlate, trouée de balles ou partie en fumée, mais que ni les nazis ni le temps n'ont réussi à faire complètement disparaître, parce qu'un écrivain l'a exhumée de l'oubli."
Nota : il est étonnant de constater que ce livre n'a obtenu aucun prix littéraire à ce jour
Nota : il est étonnant de constater que ce livre n'a obtenu aucun prix littéraire à ce jour
samedi 16 décembre 2017
"Les Trois Sœurs" d'après Tchékov à l'Odéon
Sur la scène une petite maison d'architecte aux lignes contemporaines qui pivote sur son axe (comme une métaphore du manège de la vie ?). Il s'agit d'une maison de campagne familiale située en pleine forêt, au bord d'un lac, où trois sœurs et leur frère se retrouvent avec leurs compagnons et leurs "ex" pour fêter Noël et l'anniversaire de l'une d'elles. Nous sommes bien, aujourd'hui, à l'ère du trumpisme et des réseaux sociaux, des jeux vidéos et des séries. Car c'est bien un peu une sorte de "série" qui se produit sur la scène : un mélange de dérisoire et de pathétique, d'approximatif et de superficiel. Les dialogues son (volontairement ?) plats, avec des accents comiques tenant du soap-opéra (entretenus pas quelques rires gras de spectateurs que l'on croirait enregistrés). Il y a du sexe, du "cash" (les WC constituent l'un des accessoires majeurs du décor et les "fuck" ponctuent les dialogues), de l'actualité traitée sur le mode zapping (les migrants) et du gore (avec un psychopathe et le final bien saignant). J'oubliais la philosophie : "Le mondes est usurpateur ; nous sommes tous des usurpateurs." (Vous avez deux heures ...).
Si c'est un miroir que Simon Stone a voulu tendre au spectateur pour lui montrer dans quelle médiocrité nous pataugeons, on peut comprendre ; pour le reste, on oubliera rapidement...
Si c'est un miroir que Simon Stone a voulu tendre au spectateur pour lui montrer dans quelle médiocrité nous pataugeons, on peut comprendre ; pour le reste, on oubliera rapidement...
lundi 11 décembre 2017
"Auprès de moi toujours" de Kazuo ISHIGURO
S'agit-il d'un livre de fiction ? Pas vraiment puisque paru en 2005, l'histoire se déroule dans les années 90. Pourtant, avec ses clones, ses donneurs, ses accompagnants et ses "possibles", on dispose de tous les ingrédients d'un de ces nombreux ouvrages médico-fictionnels qui mettent en scène le pire des dérives de la science dans un futur auquel nous ne saurions échapper.
Quel message Ishiguro a-t-il voulu faire passer dans ce roman auquel il donne un rythme lent, oscillant en permanence entre le présent et le passé, constitué de faits a priori anodins, centré sur trois amis qui se sont connus à Hailsham, une institution très British, mais en réalité un laboratoire terrifiant ?
Y a-t-il deux humanités ? L'une condamnée à servir l'autre (Tiens, encore cette notion de service déjà au cœur des "Vestiges du jour").
Une "morale" tragique de ce livre pourrait être : rien ne sauve quoi que ce soit ; ni l'art ou la poésie, ni la compassion, l'amitié ou la tendresse.
Quel message Ishiguro a-t-il voulu faire passer dans ce roman auquel il donne un rythme lent, oscillant en permanence entre le présent et le passé, constitué de faits a priori anodins, centré sur trois amis qui se sont connus à Hailsham, une institution très British, mais en réalité un laboratoire terrifiant ?
Y a-t-il deux humanités ? L'une condamnée à servir l'autre (Tiens, encore cette notion de service déjà au cœur des "Vestiges du jour").
Une "morale" tragique de ce livre pourrait être : rien ne sauve quoi que ce soit ; ni l'art ou la poésie, ni la compassion, l'amitié ou la tendresse.
"Les vestiges du jour" de Kazuo ISHIGURO
"Les vestiges du jour" est le roman le plus connu du tout récent prix Nobel de littérature, l'anglais d'origine japonaise, Kazuo Ishiguro. Il a été porté à l'écran et magnifiquement interprété par Antony Hopkins et Emma Thomson dans les rôles du majordome, Stevens, et de l'intendante, Miss Kenton.
On ne va pas développer ici toute l'histoire de ce roman très riche sur le plan des thèmes philosophiques qu'il aborde tels que la dignité, l'engagement, le devoir, la soumission, etc.. En (très) bref, il s'agit de l'histoire d'un majordome qui fut employé une grande partie de sa vie dans le château d'un aristocrate anglais, lequel s'est fourvoyé dans un engagement en faveur de l'Allemagne nazie, et qui, à la faveur d'un "congé" que lui accorde son nouveau propriétaire (le terme est bien celui-là), va parcourir pendant quelques jours la campagne anglaise au volant d'une superbe voiture prêtée par ce dernier, avec comme objectif de revoir son ancienne intendante, et avec le secret espoir de la convaincre de revenir au château, souhait que l'interprétation d'une lettre qu'elle lui avait adressée avant son départ pouvait laisser supposer.
Au fil des kilomètres et des haltes, Stevens se remémore les épisodes de sa vie de majordome exemplaire et le lecteur découvre au fil des pages un personnage fossilisé dans sa fonction, déshumanisé par l'impérative obligation de servir une autorité. Il se persuade que la dignité est la vertu suprême, mais ce qu'il désigne par dignité est le stade ultime de l'asservissement consenti qui le soustrait à toute forme de sentiment.
Stevens est la figure de l'employé appliqué comme put l'être le petit comptable d’Auschwitz, l'ingénieur dont la conscience se borne à rendre plus efficace encore le fonctionnement d'une chambre à gaz, le commis vaquant dans la banalité du mal, tous déresponsabilisés volontaires au prétexte d'un intérêt supérieur.
Il y a sans doute d'autres aspects moins sombres dans ce roman, mais à l'heure d'une certaine pensée unique qui comble avec suffisance le vide laissé par la trahison des utopies, c'est principalement ces thèmes qui me font considérer ce roman.
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