dimanche 9 septembre 2012

La mort d'Artemio Cruz de Carlos Fuentes

"La mort d'Artemio Cruz" de l'écrivain mexicain Carlos Fuentes, disparu en mai de cette année, n'est pas un roman "facile", c'est à dire un de ces livres que l'on dévore parce que l'histoire est limpide, le style fluide, ou le thème proche de notre imaginaire.
L'histoire du Mexique pour laquelle seules les figures de Pancho Villa ou de Zapata peuvent évoquer quelque chose au lecteur moyen (que je suis), un récit volontairement chaotique composé d'allers retours entre les passés d'Artemio Cruz - amoureux transi, révolutionnaire, politicard, profiteur, opportuniste, riche homme d'affaires, amant, père, ... - et son présent de grabataire au seuil de la mort, veillé par sa femme et sa fille dans une relation ambiguë tout à la fois de haine et d'attirance, et une écriture non conventionnelle traduisant l'exploration ultime d'une vie passée, par un vieillard assailli par la douleur physique de la maladie qui le relance continuellement ; voila les trois ingrédients majeurs qui donnent au livre à la fois sa richesse et sa complexité.
Cet ouvrage pose ainsi une question : celle de l'exigence en littérature ; de la nécessité de cette exigence car lire ne peut se réduire uniquement à une simple distraction - un divertissement que l'on consomme pour faire passer agréablement le temps (ce qui est la vocation d'un "best-seller") -, mais constitue - aussi ! surtout ? - une démarche de connaissance et de réflexion - sur soi, les autres, les choses du monde ; démarche qui ne doit pas être exclusivement réservée à une élite.
A côté de passages au style parfois déroutants (très nombreuses aposiopèses, longues successions de ":", d'adjectifs, de mots, de verbes, logorrhée, ..., traduisant bien le chaos mental du mourant, et une certaine panique devant l'échéance fatale), "La mort d'Artemio Cruz" recèle des instants de pure poésie, d'autres très romanesques, et certains encore profondément philosophiques. Extraits :
"De l'autre côté du fleuve apparut alors quelque chose qu'ils n'avaient pas vu. Un grand orme sans feuilles, grand, beau, blanc. La neige de le recouvrait pas, mais un givre brillant. Il étincelait comme un bijou, tant il était blanc dans la nuit. Il sentit le poids de son fusil sur l'épaule, le poids de ses jambes, ses pieds de plomb sur le bois du pont : tant cet orme qui les attendait lui paraissait léger, lumineux et lointain. Il serra les doigts de Dolores. Le vent glacé les aveuglait. Il ferma les yeux."

"(...) vivre c'est trahir ton Dieu : tout acte de la vie, tout acte qui nous affirme comme des êtres vivants, exigent que soit violés les commandements de ton Dieu (...)"

Le passage où la calèche d'Artemio et de son épouse Catalina traverse une procession de pèlerins, celui de la poursuite dans la montagne des troupes du colonel Zagal, la capture et la fuite d'Artemio Cruz, ou les instants précédents la mort de son fils Lorenzo dans les montagnes catalanes lors de la guerre d'Espagne - mais plein d'autres passages encore - sont d'une très grande beauté romanesque.
Résonnent les parles d'Amy, une héroïne de Philip Roth : "Il fut un temps où les gens intelligents se servaient de la littérature pour réfléchir."

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