mardi 6 mars 2012

X est seul un soir sur la Côte

Dans ce quartier St Jean composé de rues tordues, courtes et maladroites, un soir de mars trop froid pour l'ordinaire de cette saison sur la Côte, X se retrouvait seul dans une villa des années 20 à l'intérieur un peu bricolé. Il était assis sur un fauteuil recouvert d'un tissu vert d'eau devant une table étroite et bancale, cachée par un tissu rouge fatigué qu'un galon de velours d'une teinte plus foncée rehaussait d'une sorte de dignité dérisoire. 
Les murs et le plafond étaient uniformément blancs et sans tableaux inutiles. Une énorme lampe de chevet équipée d'un abat-jour vaste comme un parasol, dominait un lit minuscule devant lequel X commençait à imaginer sa nuit. Sur une étagère tournante, quelques vieux livres empilés semblaient garder pour eux, depuis une éternité, le souvenir des heures lointaines où une main et des yeux attentifs en avaient parcouru les pages. Au sol régnait sans gloire un carrelage hexagonal ordinaire dont les joints transpiraient de laitance. Un silence absolu s'était imposé. Soudain le miaulement d'un chat dans la nuit. Puis le silence à nouveau. X se glissa entre deux draps un peu rêches. Il saisit au hasard sur l'étagère un ouvrage élimé au titre intriguant, "La Bhagavad-Gîtâ", d'un dénommé Shri Aurobindo. 
Il fit le lien immédiatement avec Auroville, cette ville proche de Pondichéry, née d'une utopie ; celle précisément d'Aurobindo, relayée par sa compagne, "La Mère". Ville bâtie dans les années 70 par l'architecte français Roger Anger, aujourd'hui oublié. A présent, l'utopie dérivait, semble-t-il, dans un sorte d'ésotérisme bobo. X ouvrit le livre au hasard : "Par le moi tu dois délivrer le moi, tu ne dois pas déprimer ni abaisser le moi (que ce soit par complaisance ou par suppressions), car le moi est l'ami du moi et le moi l'ennemi."
Edifiant. X ferma les yeux, conjuguant sans remord son ami et son ennemi intérieurs.

1 commentaire:

  1. A une époque de ma vie, j'ai été très attiré par les textes des grands sages de l'Inde. Un de mes proches avait d'ailleurs une culture assez approfondie sur la question, pratiquant d'ailleurs le Hatha Yoga avec Ferrer l'un des grands maîtres de l'époque, à Paris.
    Pour entrer en sympathie avec les écrits de ces sages, il faut une condition, se débarasser de toute conception du monde dualiste, c'est-à-dire fabriquée par la culture occidentale et c'est la un gros effort à tenter d'accomplir. Cela n'empêche pas la réflexion à la lecture des pensées ou des aphorismes de Ramakrishna, de Ramasharaka, de Swami Vivekananda ou de Shri Aurobindo. Ce qui m'impressionne chez eux, c'est leur regard, il en dit long sur leur degré de maîtrise... Et puis un autre avantage est de nous montrer qu'il existe d'autres conception du monde et du cosmos que la nôtre...

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