mercredi 19 mai 2010

Les Bons Enfants


"Les Bons Enfants", c'est l'histoire d'une seconde passion comme celle d'une seconde vie ; pour François-Pierre Lobies, imprimeur-éditeur, il a fallu trahir (momentanément !) sa relation de toujours avec l'écrit et le livre, pour réaliser un rêve : celui d'inventer un lieu unique où se conjuguent tous les ingrédients d'un certain art de vivre dont le fil rouge serait la Cuisine. Pas n'importe laquelle, celle de l'attention : des produits choisis, de leur préparation, de leur cuisson, de leur présentation, jusqu'à celle qui donne au lieu cette chaleur particulière.
Pour servir cet idéal hédoniste, François-Pierre Lobies est parvenu à convaincre un jeune chef japonais, Keigo Kimura, de délaisser les ors culinaires de la capitale (Le Ritz) où il œuvrait en second, pour s'exercer aux charmes plus intimes d'un piano de province, au cœur d'un gros bourg assoupi des confins de la Bourgogne et du Bassin Parisien, au nom prédestiné pour l'aventure : Saint-Julien du Sault.
"Les Bons Enfants", c'est deux concepts : le "bistrot" et le "restaurant gastronomique". François-Pierre Lobies confie qu'il n'apprécie pas vraiment ce terme "gastronomique" ; il lui trouve une allure prétentieuse qui ne lui convient pas du tout. Il tenterait bien l'anoblissement du plus modeste de ses deux établissements - et de bistrot, nous passerions à restaurant - tandis que le second recevrait une appellation indiquant qu'il s'agit plus d'un lieu de recherche culinaire. A suivre.
Qu'importe, pourrait-on se dire, puisque le plaisir est présent, quelque soit la salle du rendez-vous ! Mais chez le maître de séant, l'attention se conjugue avec une certaine précision, et il ne renierait certainement pas la devise du grand architecte américain, Mies Van der Rohe : "Dieu est dans le détail."

Venons-en aux faits !Commençons par la modestie.
Une petite salle donnant sur une grande place écrasée par la stature gothique d'une collégiale du 12ème siècle. Une banquette en moleskine rouge comme une métaphore de bistrot, de charmantes suspensions animalières au-dessus d'une petite vingtaine de tables, des convives qui se prennent - à raison - pour des invités, et un menu à 28€, qui est à lui seul un prodige.
A la carte ce soir-là :
Au chapitre des entrées :
- un velouté glacé de petits pois, rehaussé de copeaux minuscules de bacon grillé, comme une petite provocation dans une composition végétarienne
- des gambas en papillotes croustillantes et son pistou (inspirée de Robuchon qui s'imposait, pour une clientèle précieuse et fortunée, la langoustine royale)
- foie gras de canard maison (simplement irréfutable)
Dans le corps du menu à présent :
- Une tête de cochon, en roulé, et sa sauce charcutière dite Robert ; le moelleux de la viande et l'acidité du cornichon ne cessant de s'échanger des œillades complices.
- Une joue de bœuf braisée au vin rouge, poire poches au vin rouge, dont le fondant est inoubliable (à se "rouler dedans" pourrait-on dire !)
- Un supion de pintade "manchonné", sauce vin jaune et champignons, comme une réhabilitation goûteuse d'une volaille trop souvent banalisée

Le dessert :
- Un fondant au chocolat, pour bien affirmer la maîtrise des fondamentaux
- Une très simple salade de fruits, sorbets (des fruits frais, et des sorbets qui valent des Berthillon ou des Bernard)
- une crème brulée à la vanille, qui respecte admirablement son cahier des charges : brûlant du croustillant de la cassonade sur le dessus, et fraîcheur du cœur de la crème.
Ce repas s'accompagna du deuil d'un Chinon 2004 "Les Picasses", de chez Catherine et Pierre Breton qui fit un honneur brave à cette jubilation gustative.
Faut-il vous dire que l'apéritif - une coupe de champagne par exemple et sa gougère tiède - est offert ?

Faut-il parler de la seconde table, celle où le chef s'emploie à démultiplier ses talents ? Certainement, mais juste un commentaire : elle dame le pion, haut la main, à un bon nombre de tables chichiteuses qui paradent dans certains guides, à la manière d'un geai paré des plumes du paon ! Je ne citerai pas de noms...
"Les Bons Enfants" dispose également, pour les beaux jours, d'une salle en plein air avec vue imprenable sur les arcs-boutants de la collégiale et ses audacieux pinacles ; d'une terrasse supplémentaire, récemment aménagée, qui se languit aux pieds d'une très ancienne et très vétuste bâtisse dont la restauration prochaine permettra d'offrir des chambres aux hôtes de passage afin de prolonger, in situ, les délices de la table par ceux de la position horizontale.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire