mercredi 19 mai 2010

Le quai de Ouistreham


Florence Aubenas est cette journaliste qui fut enlevée en Irak en 2005 avec son chauffeur et retenue en otage pendant 5 mois. Je me souviens avoir vu en direct son arrivée sur le tarmak de l'aéroport de Vélizy-Villacoublay. Elle était étonnamment souriante et décontractée. On aurait pu alors imaginer revoir cette femme quelques jours plus tard sur les plateaux de télévision, en "Prime Time", son portrait et sa biographie en long et en large dans les colonnes des quotidiens et, pourquoi pas, un reportage dans Match. Rien de tout ça ; plutôt le silence, l'éloignement des feux de la rampe dans une sorte de pudeur admirable.
Et puis ce livre, 5 ans après, "Le quai de Ouistreham", qui caracole parmi les meilleures ventes en librairie depuis sa sortie en février dernier.
C'est à une autre sorte de prise d'otage que Florence Aubenas nous invite : celle de ces employées - des femmes pour la plupart - prises dans les tenailles d'une vie faite de petits boulots de survie - l'échelle du temps n'est plus ni la semaine, ni la journée, mais l'heure - , où tout grain de sable - une batterie de voiture qui flanche, un seau d'eau malencontreusement renversé, un mal de dents - prend des allures de catastrophe. Pendant 6 mois, Florence Aubenas, s'est mise dans la peau d'une agent de nettoyage, partageant la vie de ces femmes qui se débattent avec le quotidien. Un quotidien misérable, d'exploitation, fait de petits matins froids et de soirées glauques, dans des décors sinistres de faubourgs sacrifiés. "C'était il y a même pas 10 ans, mais ça parait tellement loin, une civilisation engloutie." Ballotées par le Pôle emploi condamné lui-même par le gouvernement à faire du chiffre et produire de la statistique positive, soumises au sadisme banal de certains "petits chefs", jonglant avec les emplois du temps impossibles, scrutant à la loupe les bonnes affaires des surfaces alimentaires "hard discount", elles appartiennent au lumpen-prolétariat d'aujourd'hui. Leur seule conscience de classe est la résignation. "Plus on nous fait travailler, plus on se sent de la merde. "Plus on se sent de la merde, plus on se laisse écraser."
On ne sort pas indemne de cette lecture. La plupart de nos soucis paraissent totalement dérisoires.
Mais ce livre n'est pas seulement un reportage froid et objectif de conditions de vie inacceptables ; c'est très souvent des phrases, des images, servies par un très beau style.
"... le tortillon des glaces à l'italienne dessine les après-midi en famille, les dimanche où il ne pleut pas."
"Les gestes ressemblant à des frissons, tremblants et raides, tendus contre l'humidité qu'on sent prête à se faufiler entre les couches de vêtements, à chaque mouvement, comme des doigts glacés jusqu'à la peau tiède."

1 commentaire:

  1. C'est certainement un vrai travail de journaliste. Pas de tapis rouge pour les politiciens mais le récit de vraies vies au quotidien. Surtout pour ces exploités de la première heure ne pas réfléchir, ne pas prendre de recul sinon c'est l'angoisse totale.

    RépondreSupprimer