dimanche 30 mai 2010

Bâlade architecturale

Bâle constitue pour l’amateur d’architecture en général, et d’architecture contemporaine en particulier, une destination de rêve.
Il y a les « incontournables » : le Campus Vitra - et sa toute nouvelle star la Vitra House - et la Fondation Bayeler. A eux seuls, ces deux ensembles méritent le déplacement.

Nicholas Grimshaw, le premier à relever le défi
Le Campus Vitra est situé un peu en-dehors de la ville elle-même, mais d’accès facile (Tram N°6). C’est en 1981, après un incendie qui détruit pratiquement 60% des stocks du site, que la société Vitra, éditeur de meubles depuis les années 50 avec Charles et Ray Eames, s’engage dans la commande de bâtiments « griffés », confiés à des architectes de renom.
Nicholas Grimshaw est le premier à relever le défi, et réalise en quelques mois un premier hall de stockage dont l’enveloppe de métal argenté, dans un vocabulaire à peine « High-tech », semble aussi simple qu’efficace.


Les premiers pas de F.O. Gerhy en Europe
En 1989, Vitra s’engage avec Franck Gerhy et lui propose de dessiner le musée de la marque : le Vitra Design Museum. En réalisant ici son premier bâtiment sur le vieux continent, l’architecte californien donne une véritable impulsion à la notoriété de la marque et du site ; et à la sienne au passage. Le monde découvre alors ce que les critiques ont dénommé : le déconstructivisme.

Viendront plus tard en 1993 l’American Center de Bercy (une déception), en 1997 le Guggenheim de Bilbao (une réussite), et un nombre très important de curieux édifices posés un peu partout sur la planète, reconnaissables entre tous par ces incroyables arabesques de volumes enchevêtrés dont la fantaisie plastique est (paradoxe ?) calculée grâce à un outil informatique d’une rigueur absolue : Catia, un logiciel développé pour l’aéronautique.
L’échelle du bâtiment n’est pas comparable à celle de Bilbao, ou même de la future Fondation Louis Vuitton pour l’art contemporain (sensiblement le gabarit de Beaubourg) logée au Jardin d’acclimatation. Dans la production de Gerhy, il s’agit plutôt d’une sorte d’échantillon. La matière reste assez conformiste : béton revêtu d’un enduit blanc et zinc en couverture. Mais les déhanchements sont au rendez-vous et les volumes se télescopent créant des arêtes improbables. L’architecte a revisité le modèle de la marquise d’entrée en y substituant un cube évidé en suspension audacieuse.


Dans les années 93, 94, le Campus Vitra s’enrichit de trois nouvelles œuvres qui témoignent de la richesse et de la variété de l’architecture contemporaine. Comme le soulignait Christian de Portzamparc dans son discours inaugural de la chaire de Création artistique au Collège de France le 2 février 2006, sur le plan architectural, l’époque actuelle est caractérisée par le fait qu’il n’y a plus de style admis par tous, de doctrine ; « C’est le trait majeur de notre nouvelle modernité. » Parole à méditer, au-delà du seul champ architectural évidemment…

Minimalisme et fulgurance plastique

Deux architectures opposées vont surgir sur le campus : l’une minimaliste, inspirée par la philosophie Zen, due à l’architecte japonais Tadao Ando, l’autre, dans un vocabulaire plus agité, propre à l’architecte irako-britannique, Zaha Hadid.

Tadao Ando, qui aurait du coiffer la poupe de l’île Seguin par la fondation Pinault, a conçu un centre de conférences minimaliste que l’on mérite après un parcours gentiment initiatique à travers une prairie peuplée de cerisiers.

Comme pour se préserver de la contamination possible de son ainé, le Vitra Museum situé à proximité immédiate, l’architecte a placé entre eux un mur assez long, imprimant à son tour sa marque de fabrique : un béton dans lequel les trous de banches forment une matrice d’une rigueur et d’une propreté imparable.
Plusieurs petits corps de bâtiment distincts reliés entre eux par un jeu de cours et d’escaliers, composent l’ensemble. Chacun abrite une salle de travail. L’ensemble a été conçu dans le respect de l’unité de mesure japonais, le jo ; soit 91 cm x 182 cm, les dimensions d’un tatami.
Toute cette attention et cette retenue ne suffisent pas à créer l’atmosphère si particulière de certaines œuvres d’Ando. La cour intérieure a des allures de promenade carcérale. On peut regretter l’absence d’un bassin de lotus et d’agapanthes ; ses reflets et sa fraîcheur poétiques.


Pour ce site industriel de plusieurs hectares, il fallait une caserne de pompiers. Vitra demande à Zaha Hadid de la concevoir. L’architecte, dont le talent reste à cette époque virtuel – elle a produit beaucoup de dessins mais pas ou très peu de réalisations – va concevoir avant tout une œuvre plastique.

On y retrouve l’éloge de la fluidité des lignes, des arêtes vives, de la « fonction oblique » chère à Claude Parent et du béton brut (très brut).
Les soldats du feu ont tenu, semble-t-il, moins de trois ans dans cet univers impitoyable fait de murs penchés, de chicanes, d’angles aigus et de matériaux peu chaleureux (un comble !).

Reste aujourd’hui un espace vide, déserté par les camions astiqués et les casques rutilants, qui se visite comme un prototype architectural.

Architecture et modestie

Dans ces mêmes années, une troisième œuvre vient compléter le dispositif. Alvaro Siza, immense architecte portugais, érige en 1994 une enceinte de briques rouges posée sur un soubassement de pierre grise dont la ligne supérieure est juste soulignée d’un profilé métallique noir.

Cette œuvre d’une très grande modestie, mais d’une force indéniable, cache un atelier de stockage. La façade est percée de grandes ouvertures verticales qui en révèlent l’épaisseur, lui conférant ainsi une matérialité supplémentaire.

Fragmentation-défragmentation du bâti


Et donc, enfin, la star : la Vitra House, le show-room de l’entreprise qui a été livrée au premier trimestre de cette année ; la dernière production de l’agence bâloise Herzog et de Meuron. Imaginez plusieurs maisons (5 ou 6) de forme traditionnelle : un toit à deux pentes, des murs de façade pleins, une volumétrie de longère, et des pignons totalement vitrés. L’extérieur est entièrement peint en noir, couleur bitume. L’intérieur est blanc immaculé. A présent vous vous amusez à empiler ces maisons les une sur les autres et, avec une paire de ciseaux savants, vous les emboitez afin d’obtenir une composition apparemment désordonnée qui fait la part belle aux porte-à-faux.

C’est ainsi que pourrait être résumé cette œuvre spectaculaire qui constitue une sorte d’aboutissement dans le travail de l’agence sur ces quelques dernières années. Cet exercice, qui évoque l’idée d’une fragmentation-défragmentation, et me rappelle la vénus de Millo de Dali ; celle dont le corps est équipé de tiroirs.

La promenade à l’intérieur de cette demeure de milliardaire est une expérience inoubliable : les perspectives sont époustouflantes, les combinaisons de volumes démultiplient les dimensions, les vues sur les collines avoisinantes exaltent les sens. L’émotion est garantie.


Prochaine livraison sur le Campus Vitra : un entrepôt des japonais de l’agence Sanaa, auteur du Louvre à Lens et retenus pour rénover la Samaritaine à Paris.
En définitif, pas moins de six Pritzker Price (équivalent du Prix Nobel d’architecture) sont intervenus sur le Campus Vitra qui constitue désormais, à lui seul, un véritable concentré d’architectures contemporaines.

Second lieu « incontournable » de Bâle : la Fondation Bayeler de l’agence Renzo Piano (Pritzker Price également).

Situé au Nord-Ouest de la ville, en bordure de route et en limite d’une petite agglomération, le bâtiment de grès rouge et ardoise est en léger surplomb par rapport à la campagne immédiate d’où parvient le son bucolique des cloches qui tintinnabulent aux cous des vaches (suisses évidemment). Le plan est très simple : trois travées toute en longueur orientées nord-sud, dessinées par des refends habillés en extérieur de cette merveilleuse pierre marbrée dont chaque élément semble vouloir raconter une histoire ; un niveau principal d’exposition et d’accueil (le RDC), et un sous-sol principalement affecté aux réserves, à des ateliers et partiellement aménagé en espace d’exposition.

Une ombrière blanche, en guise de brise-soleil, composée de panneaux métalliques perforés et parfaitement ajustés, souligne avec élégance le périmètre de la toiture.

Le bâtiment prend place dans un site paysagé luxuriant et, tel Narcisse, contemple son reflet dans l’eau d’un bassin (presque) sauvage.

Les espaces intérieurs sont au service des œuvres et du visiteur. Pour les œuvres : le blanc parfait des grandes surfaces verticales, un espace modulable, et une qualité de lumière exceptionnelle dont le parcours précis au travers des différents filtres d’une sur-toiture savante est ajusté à la luminosité extérieure.
Pour le visiteur : un circuit limpide, des perspectives magnifiques sur l’extérieur, une acoustique et un confort thermique sans faiblesses, des spots en très petit nombre et quasiment invisibles, des expositions de très grande qualité (actuellement une rétrospective Basquiat).

2 commentaires:

  1. Bel exposé qui donne envie de faire un détour par Bâle, au hasard d'un voyage...merci.

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  2. MErci a toi pour ta lecture patiente. Et encore, je n'ai pas parle du poste d'aiguillage, ni du campus Novartis, ni des musees. Bale est concu pour l'amateur d'art et d'architecture. Autrement il y a, comme partout, des jeunes en desherence se bourrant a la biere en ecoutant sans arret une musique "boum-boum", et en laissant derriere eux des detritus finirent leur vie dans le Rhin !

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