jeudi 26 septembre 2024

Ce matin au kiosque 57 - Mon coiffeur - Batz-sur-Mer - Pathé - Blum

Un petit crachin irlandais me cueille à la sortie de mon domicile. Un air humide de Connemara flotte sur Bécon et sa banlieue.

En marchant pour rejoindre la gare - mais impossible de m’y arrêter pour saluer JM, je ne suis pas en avance pour un rendez-vous parisien - je pense (tel un roseau). Je pense que ce serait un miracle si nous découvrions sur l’une des planètes de notre système solaire, ne serait-ce qu’une seule de ces minuscules brins d’herbe qui contaminent les joints des trottoirs et que le cantonnier s’applique à éradiquer avec un instrument qui s’apparente à une binette-crochet.

Sur le trajet, deux choses étranges : un drapeau français (vestige probable des JO) qui flotte au-dessus d’un abri de SDF et un autre drapeau à l’allure officielle, mais celui-ci de la République Populaire de Chine, planté devant un restaurant chinois de l’avenue de l’Opera.

Le jardin du Palais-Royal est une nouvelle fois non accessible au public ; la raison : défilé de la Fashion week. Il faut sans doute remplir les caisses de la Ville de Paris ; la dangereuse gauchiste, Lucie Castets, s’étant employée à les vider pour financer des projets inutiles (et surtout pas pour boucher les trous dans la chaussée de Mme Hidalgo et dératiser la capitale !). 

Jean-Marie, mon coiffeur, m’a recommandé plusieurs films dont « Tatami », « Le fil » et « Septembre sans attendre ». Mais surtout « Tatami ». Et puis aussi l’expo à Beaubourg sur les surréalistes. Cet été, il a visité à Antibes la maison récemment rénovée (2022)  d’Hans Hartung, le chef de file de l’art informel, et d’Anna-Eva Bergman son épouse, peintre également. Il est allé me chercher son portable et m’a montré les photos de la maison, oeuvre des années 70 de l’architecte méconnu, Mario Jossa, qui fut l’un des associés de Marcel Breuer, le célèbre architecte du Bauhaus. Voilà : non seulement Jean-Marie coupe remarquablement bien les cheveux, mais, en plus, il m’informe de ses derniers coups de cœur culturels !

En revenant à Bécon, j’ai quelques minutes pour saluer JM qui finit sa matinée, une cigarette à la main sur le pas de sa porte guillotine. Il me parle de ses vacances d’été à Batz-sur-Mer lorsqu’il était enfant et que lesdites vacances duraient encore 2,5 mois. C’est que je lui ai parlé de La Baule où je pars demain pour le week-end. Il m’a fait la moue en entendant « La Baule ». Il préfère Le Croisic et Le Pouliguen, et il a embrayé sur Batz. On aurait cru les paroles des « Vacances au bord de la mer » de Michel Jonasz. 

Je ne vous ai pas parlé des « habitués » car, compte-tenu de l’heure tardive (12h15), ils sont repartis dans leurs pénates (divinités romaines protectrices du foyer).

J’ai vu les 4 épisodes du documentaire sur Léon Blum (sur la Cinq) : Remarquable !

C’est ainsi que les hommes vivent.

mercredi 25 septembre 2024

Ce matin au kiosque 56 - Écrits de M. - Siège de Pathé

Quelle journée ! J’ai commencé par croiser M. Place de Belgique. Décidément, un carrefour stratégique ! Hier, le Marseillais ; aujourd’hui M.

Je sortais du pressing qui fait l’un des angles de la place. Quand j’étais « en activité » je fréquentais davantage cette boutique. Il fallait bien que je m’habille parfois autrement qu’en jean et blouson. Mais je crois que je n’y étais pas retourné depuis peut-être 2 ou 3 ans. 

La dame qui réceptionne les vêtements est toujours la même. Inchangée et quand elle m’avoue son âge - 72 ans -, je ne peux que la féliciter ; je lui en aurais donné 10 de moins.

Elle m’avoue qu’elle continue à travailler car si elle devait arrêter, elle se retrouverait toute seule dans son petit appartement… Seule, car elle ne voit plus ses enfants ni ses petits enfants. Une brouille stupide.

M. me dit qu’elle a avec elle ses écrits ; ceux dont elle m’avait parlé. « Moi aussi j’écris. Vous voudriez les lire un jour ? », m’avait-elle dit.

Si elle veut me les confier pour que je les lise… Elle sort de son sac une pochette plastique contenant quelques feuillets et me la remet. Je suis sincèrement très surpris et heureux à la fois par sa confiance.

Je lui rappelle que nous avons ce projet d’une journée à la mer avec elle. De son côté, il y a encore quelques obstacles à lever, mais je crois qu’elle est heureuse que nous pensions à elle pour cet aller-retour à Deauville (ou ailleurs).

Il pleut. Je me dirige vers le kiosque en sifflotant. Ma vie est belle. Je rencontre des gens formidables. Un peu cabossés parfois, mais formidables.

Pascal et Utah sont assis sous le auvent, à l’abri de la pluie. J’échange un long moment avec Jean-Michel. Comme d’habitude, nous parlons de tout et de rien. Mais surtout de tout !

Pascal vient chercher un café et me dit que M. vient de passer. 

  • « Je sais, je l’ai croisée et elle m’a donné ses écrits. 
  • J’aimerais que tu me dises ce que tu en penses. »

Nous sortons nous asseoir, fustigeons de concert Macron, Staline et Mao. Rien que ça ! Je jette un œil à la première feuille de M.. Il s’agit de quelques lignes seulement. Je les trouve très émouvantes. Il y a « quelque chose ». J’en fait part à Pascal qui a dû les lire également et qui partage mon avis.

Martine arrive, puis Wanda et son mari. Je reste un instant à les écouter. Canada (« mais pourquoi n’es-tu pas restée là-bas , demande Wanda à Martine. Tu aurais pu trouver un bûcheron ! », ajoute Pascal), Utah qui se rue dans la mer à Deauville dès que Pascal lui a détaché la laisse, « vous voulez vraiment pas vous asseoir ? Vous avez peur de nous ? » me demande Wanda ; non, je dois partir (j’ai hâte de lire la prose de M.).

J’ai lu. Ce n’est pas très long. Ce premier petit texte, une lettre et un poème. Il y a quelques maladresses de forme, mais ce n’est pas important. L’important c’est cette tension intérieure qui exprime du tragique, de la générosité et de l’espoir.

Faut-il l’encourager à écrire ? Peut-être, j’ai envie de dire que je n’en sais rien et en même temps, si, il faut y aller : elle m’a dit plusieurs fois qu’elle aimerait écrire, elle m’a interrogé sur une méthode. Elle a la volonté. Mais il faudra peut-être l’aider. Comment ? Je l’ignore.

Je suis allé déjeuner avec Z. Mais c’est une autre histoire. 

En fin d’après-midi j’avais rendez-vous au Pathé-Opera pour visiter le nouveau siège de Pathé ; une rénovation réalisée par l’agence de l’architecte-star, Renzo Piano. La pièce-maîtresse des nouveaux aménagements est ce puits de lumière que l’on peut observer juste en entrant dans le hall du bâtiment, après avoir admiré l’escalier double d’origine, de style art-déco. A remarquer les montagnes stylisées dans les garde-corps et les boiseries qui rappellent que ce cinéma fut jadis un Paramount. L’autre pièce-maitresse, c’est la terrasse (le « roof-top »). Au premier plan, les toits de l’Opera Garnier et puis Montmartre un peu plus loin, et tout Paris à 360 degrés. Exceptionnel !

Mais qui dira à Emmanuel Macron que ses pattes sont décidément trop longues ? 

C’est ainsi que les hommes vivent.

Mon ami Z.

« On n’invente rien, on découvre. » Avec mon ami Z., nous nous sommes donnés rendez-vous du côté de Réaumur-Sebastopol pour déjeuner. Nous nous voyons peut-être une fois par an. 

Z. à 72 ans et une hanche qui le préoccupe. Sa mémoire lui joue des tours ; il place fréquemment sa main en pavillon durant nos conversations.  

Nous nous sommes connus dans un bureau d’études techniques en bâtiment ; il en était l’une des « vedettes » - la « Vedette » - dans le domaine de la conception des structures complexes et j’œuvrais à trouver des « affaires ». 

Je suis un simple ingénieur diplômé, ce qui signifie pour moi que je ne suis pas un « vrai » ingénieur, c’est-à-dire un homme passionné par la résolution de problèmes techniques. Z., lui, est un véritable ingénieur. C’est même le « Mozart » de la structure. Je devrais dire le « Chopin », puisqu’il est d’origine polonaise. 

Il n’est pas curieux au sens où il ne lit pas, ne voyage pas, ne s’intéresse aucunement à l’actualité de l’architecture. Il avoue sa nullité dans tous ces domaines « culturels ». Et c’est un mystère pour moi qu’une intelligence puisse exister sans ce carburant de la curiosité. N’est-ce pas ce qu’on appelle le génie ?

Z. est veuf depuis 20 ans et n’a jamais eu la tentation de refaire sa vie. C’est un solitaire. Peut-être une affaire de gène. Sa mère aimait à rester seule. 

Il vit dans un pavillon en Seine-et-Marne, assiste son fils dans la construction de sa maison ; il a juste besoin d’outils autour de lui pour se sentir bien. Il s’est essayé jadis au jardinage, mais sans résultats. Il a laissé tomber. Non, un rabot, un marteau, des planches, … 

Un ingénieur est avant tout un « bricoleur ». C’est la réponse qu’il m’avait faite quand je lui avais demandé sa définition de l’ingénieur.

Au bureau, je l’ai souvent vu « bricoler » avec un crayon, une feuille de papier et une calculette - que même un enfant de 8 ans aurait trouvé trop basique -, le regard perdu dans les dalles de faux-plafond 40X40 (ou 60X60, peu importe). 

Il effectuait encore récemment des missions de conseil pour des promoteurs ou des investisseurs dont l’activité s’est réduite aujourd’hui comme une peau de chagrin avec la débâcle actuelle de l’immobilier. Cette mise au chômage technique lui coûte ; il bout de ne plus pouvoir exercer ses neurones à imaginer une solution technique d’une élégance capable de « servir l’architecture ».

Z. est un révolté. Contre les ingénieurs « tapette de clavier ». Il veut parler de ces jeunes certifiés en résistance des matériaux assujettis à la doxa des logiciels de calcul. « L’ordinateur n’est pas là pour réfléchir. C’est un exécutant. Et ces jeunes sont incapables d’analyser les résultats qu’il recrache. Et si le calcul est faux, c’est l’ordinateur le responsable ! »

Z. est maintenant tout rouge de colère. Je remarque encore une fois que ses mains tremblent. Il porte avec difficulté le verre de vin à ses lèvres. Mais ce n’est pas la colère…

Z. m’explique sa conception de la place de l’homme sur la Terre. « Il est fait pour produire et être payé pour ce travail et en fonction de sa qualité. Rien d’autre. Ceux qui ne font pas un travail de qualité, utile pour la société, ne devraient pas être payés pour ça. » C’est un peu sommaire, bien sûr, mais, alors que le gouvernement cherche des recettes, l’idée de ne plus payer ceux qui vendent du vent…

Je lui dis qu’il est marxiste. Ça l’amuse et il m’avoue qu’en Pologne, quand il était jeune, il n’aimait pas le communisme. Ça se comprend. Mais il ignorait en réalité ce que c’était vraiment ; de même pour le capitalisme. Aujourd’hui, il pense que c’est un système qui pourrait être bien mais il se demande s’il n’a pas un défaut originel qui produit obligatoirement des monstres. Je partage son questionnement. Le christianisme pourrait aussi être pris en exemple. Comment l’Evangile a-t-il pu engendrer des crimes monstrueux comme les croisades, l’Inquisition, les pogroms ? Comment a-t-il pu servir le pouvoir et asservir les peuples ? Le défaut ne serait-il pas l’homme que le pouvoir corrompt ?

Un poireau vinaigrette et une blanquette de veau suscitent le questionnement philosophique ; c’est une évidence.

mardi 24 septembre 2024

Ce matin au kiosque 55 - État désespéré, Chapelle expiatoire, Julio Iglesias, Emmanuel Bove

  Matinée pluvieuse. Un avant-goût de l’automne. Le parvis est orphelin de ses habitués en dehors de Monique et Anne-Marie qui papotent dans un coin.

JM est ce matin accompagné d’un compère du siège. Stage d’immersion ? L’homme est corpulent, armé d’une bague noire massive et JM me vante sa réputation d’amateur de contrepèteries. Lui se contente « d’un choix dqns la datte ». 

J’évoque mon état du jour proche de la désespérance. Il s’est amplifié, cet état, à la suite d’un égarement télévisuel qui m’a fait regarder LCI hier soir avant de me coucher. Sur le plateau, Laurent Jacobelli, porte-parole du RN et son air de fouine satisfaite, un jeune journaliste de Valeurs actuelles aux allures de lycéen en costard-cravate, un autre journaliste, cette fois du Figaro, aux faux airs de mec cool (courte barbe, chemise blanche, col ouvert), une jeune femme rousse, PDG d’une boîte de conseil en com (convoquée certainement pour commenter le premier show de Retailleau et les mots d’ordre de Barnier en matière de communication), une journaliste de RTL, et le président du Modem à l’Assemblée nationale. 

Les interventions des trois premiers qui revisitaient « Travail, Famille, Patrie » sur un air de « Maréchal nous voilà », auraient pu faire passer RTL et le MoDem pour des officines de fieffés gauchistes.

Vous comprenez maintenant les raisons de ma quasi-dépression.

On a parlé avec JM du Liban et de la folie des hommes, mais surtout il m’a évoqué  son passé (et son passage) dans une librairie technique sis, rue Lavoisier, quand il était au service export. 

La rue Lavoisier est proche de la « Chapelle expiatoire », monument édifié par Louis XVIII sur le lieu où furent enterrés les corps de Louis XVI et de Marie-Antoinette avant d’être transférés, vingt ans plus tard, à la Basilique Saint-Denis. Il est possible de déambuler dans le jardin puis dans la chapelle précédée d’un péristyle et flanquée de trois absidioles, dans le souvenir du souverain horloger au prépuce douloureux et son épouse qui n’aimait rien tant que les basses-cours et la brioche, moyennant 16€.

Mais revenons à des choses plus sérieuses. Dans ce passé remontant aux années 80, JM était alors en contact avec tout le Bassin méditerranéen et jusqu’à l’Afrique noire francophone. 

Soulevant ainsi un voile de son CV, ce sont les parfums sucrés, les fragrances mielleuses et les langueurs exotiques des anciennes colonies qui se sont immiscés dans l’espace du kiosque, et nous nous serions crus un instant au bord d’une piscine bordée de buissons joufflus d’hibiscus, dans un hôtel luxueux de Batroun, bercés par une musique suave diffusant « Je n’ai pas changé » ou « Il faut toujours un perdant » de Julio Iglesias. Rien de moins !

Que dire après tout ça ? 

Qu’Anne-Marie et Monique m’ont accueilli avec sympathie pour quelques minutes à leur table, en redoutant que Becon les Bruyères ne perde demain ce charme discret qu’Emmanuel Bove avait su révéler en des temps proustien,  dans son roman au titre éponyme ?

Que j’achève précisément cette chronique, assis dans le hall de la chapelle expiatoire, hésitant encore à verser mon obole de 16€ pour accéder au chevet des fantômes royaux ?

Que c’est ainsi que les hommes vivent ?


Ce matin au kiosque 54 - Un buffet centenaire, une libraire à Neuilly, une « Grande » d’Espagne

Cette chronique débute Place de Belgique et non sur le parvis de la gare de Bécon où dans le « hub » du kiosque. C’est qu’en allant à La Poste, hier, j’ai croisé Le Marseillais. Il a absolument voulu me montrer un buffet vieux de plus d’un siècle dont il vient de faire l’acquisition. Au terme de plusieurs manœuvres laborieuses sur le clavier de son portable, une vidéo du fameux buffet apparaît à l’écran comme par miracle. J’avais la conviction qu’une telle antiquité ne correspondrait pas exactement à un possible coup de cœur de ma part. La vision du meuble m’a conforté dans ce pressentiment. Le Marseillais m’affirme pour conclure que ce trésor est estimé à près de 5000€. Je l’aurais évalué cinq fois moins cher. Il faut s’y résoudre  : je n’ai aucune notion du prix des choses !

Ma lettre postée, je suis allé à la gare. Stupeur : Pascal est sans casquette. J’avais remarqué que Le Marseillais était sans ses bretelles. Un jour « sans » ? Je vérifie bien que je n’ai rien oublié. Lunettes, smartphone, chaussures, pantalon, caleçon : rien ne manque, ouf !


Quand j’entre dans le kiosque, Patrick est en train de se faire servir un café par JM. Me voyant, il tient à me dire qu’il a parlé de moi à un dîner, hier soir. Ah ?… Oui, avec une amie qui tient une librairie à Neuilly, avenue du Roule ; il faut que je la rencontre absolument. Je ne suis pas certain que Patrick ait jamais lu quoique ce soit que j’ai pu commettre en écriture, mais sa ferveur m’est sympathique. D’ailleurs mon agent (JM), lui indique que certaines de mes œuvres sont exposées sur le présentoir et en particulier « Abuelo » et Patrick d’interroger : « À vélo ? »

Il va rejoindre Monique qui est seule à une table du parvis. Sur une autre, Pascal (toujours sans sa casquette ni ses Ray ban et je me demande alors si c’est ce gouvernement qui l’a perturbé) et Utah sont en compagnie d’Anne-Marie et de Gérard le cycliste (en dehors du parvis où il consent à s’asseoir brièvement, personne n’a jamais vu Gérard autrement que sur son vélo ! Il faudrait interroger son épouse…). 

Je poursuis ma discussion avec JM. Une jeune femme acquière un « Point de vue et images du monde », le magazine des têtes couronnées. Je ne cède pas à l’indiscrétion de lui demander si elle possède quelques quartiers de noblesse car, dans cette hypothèse, j’aurais aimé (mais je me retiens de l’énoncer) qu’elle contacte la « Grande d’Espagne », Almudena de Arteaga (par ailleurs romancière à succès), qui vient de priver les enfants d’un village au nord de Madrid du parc qui représentait le seul lieu où ils pouvaient jouer en plein air et à l’ombre d’arbres séculaires, au prétexte que la convention de cession entre sa famille, propriétaire du parc - celui de ses ancêtres depuis le 16eme siècle - et la mairie, venait à son terme, et qu’elle souhaitait disposer de ce parc pour sa seule jouissance ; qu’elle contacte donc cette dame, qui a un pedigree nobiliaire long comme un jour sans pain, pour lui témoigner mon indignation (et sans doute celle de JM au passage). Mais cette jeune femme n’est ni marquise ni vicomtesse et j’ai compris - outre qu’elle était anglaise, ce qui ne constitue pas un défaut majeur sauf lors des crunchs du Tournoi des 6 nations -  que cet achat constituait pour elle un remarquable anxiolytique pour les salles d’attente des dentistes ou chez le coiffeur (et là, probablement davantage pour les descendants de Samson que pour le pékin moyen). D’ailleurs, je me demande si je ne vais pas m’abonner à « Point de vue et images du monde » vu la composition du nouveau gouvernement !

Avant de quitter le kiosque, j’ai pu vérifier que mon agent faisait le maximum pour placer des « À vélo » et même des « Ralentissage ». Mais ce serait mieux s’il concentrait son énergie à convaincre des personnes qui peuvent lire… JM comprendra !

Nous avons évoqué avec Pascal et mon agent-passeur la virée possible en bord de mer avec M.

A suivre, mais ça avance.

C’est ainsi que les hommes vivent.

samedi 21 septembre 2024

Ce matin au kiosque - 53 Déprime existentielle, Bazooka, Virée au Québec, Fête du Monde

Hier, il m’aurait été possible d’écrire une chronique qualifiable de décoiffante. Nous étions pourtant peu nombreux parmi les « habitués » et M. en était d’ailleurs toute dépitée. 

Pascal était à Deauville où j’appris ce matin qu’il s’était baigné avec Utah dans une eau dont il a estimé la température à 16 degrés ; il mit plus d’une demi-heure avant de retrouver sa voiture garée sur l’immense parking de la plage. Même Pascal vieillit !

M. est arrivée quelques instants après moi. Elle a commandé un café, payé plusieurs revues « people », puis elle est sortie s’installer à une table dehors. Ça ne semblait pas aller fort. A cette table, une dame - dont j’apprendrai plus tard qu’elle se prénomme Monique - lisait en bougeant ses lèvres un roman d’Henri Troyat. 

J’échangeai quelques mots avec JM, scotché à sa caisse comme tous les vendredi, jour de la livraison du « pack Figaro Magazine », hebdomadaire qui flirte avec les idées d’extrême-droite. Une cliente envisage d’acquérir un « Abuelo ». Mon agent est toujours au taquet.

 M. était seule face à Monique, toujours plongée dans son livre. Je me suis dit qu’il serait bon que j’aille lui tenir compagnie. Ce que je fis. M. était troublée ce matin pour de multiples raisons plus ou moins rationnelles qu’elle m’a confiées tout en lançant quelques regards inquiets à gauche et à droite. J’ai tenté de la rassurer. 

Benjamin, l’ex-entrepreneur de VRD qui a travaillé avec le très grand architecte des aéroports, Paul Andreu, est arrivé, casquette de golfeur vissée sur la tête, visage lumineux, petit accent chantant. Aux questions déroutantes de M., Benjamin répond par quelques mots avec un sourire bienveillant. 

Le Marseillais a déboulé, un accessoire cylindrique sous le bras. Il n’avait toujours pas sa paire de bretelles mais toujours sa faconde d’homme qui a vu une sardine boucher l’entrée du port de sa ville. Il a laissé planer le doute sur la nature de son accessoire, le pointant sur moi comme s’il s’agissait d’un bazooka. J’ai cru identifier, non une arme létale, mais plutôt un petit climatiseur vertical qu’il avait dû dégoter sur le trottoir parmi les « encombrants ». Le Marseillais aime parler. Il enchaîne les anecdotes comme des rafales de mitraillette. C’est un homme auquel il arrive tout un tas de situations plus invraisemblables les unes que les autres, et je déplorerais presque cette absence de piment dans ma vie si je n’ignorais pas qu’en pareilles circonstances je n’aurais certainement pas l’à-propos de notre homme.

Au bout d’un moment, je me suis réfugié dans le kiosque où j’ai eu le plaisir de voir arriver M. Patrick Chausson. Calme, digne, de beaux cheveux blancs, possiblement habillé chez Preston, la voix grave et posée qui lui donne une assurance de vieux sage. C’est lui qui m’a vanté les qualités de Monique face à laquelle il est venu s’asseoir. En quittant le kiosque, je suis donc allé saluer Monique et Patrick m’a présenté comme un écrivain de romans ; ce qui m’est apparu un tantinet usurpé, mais je n’ai rien dit et je me suis contenté d’avouer mes chroniques. Monique m’a félicité à cet égard tout en affirmant que l’important c’était « la sauce » ; et l’on devient saucier alors qu’on naît rôtisseur, comme chacun sait.

Ce matin, le quator de base était présent : Pascal (avec Utah), Philippe et Martine, Anne-Marie. Mais ce qui fut extraordinaire, c’est de constater que le groupe que je dénomme « les Habitués » est en fait beaucoup plus important que ce que j’imaginais. Plusieurs personnes sont venues saluer les membres du quatuor et un couple, dont la présence ici se cale probablement sur un autre créneau horaire que le mien, s’est installé autour de la table après avoir bisé tout le monde. L’homme a émis un aveu : « c’est quand même bien la retraite ! » a-t-il dit sur un ton jubilatoire.

La seule personne à connaître l’intégralité de ce « Who’s Who » est bien sûr JM.

Philippe nous a raconté ses déconvenues lors de leurs vacances au Québec où, durant la seule moitié d’après-midi qu’ils ont eu de libre, ils en ont profité pour se perdre dans le parc des chutes de Montmorency, et finir (heureusement provisoirement) par patauger gaillardement dans des marais. 

De Montréal, où ils n’ont passé que quelques heures, le programme prévoyait la visite de la « ville souterraine » et un coup d’œil au stade olympique dont il n’est pas certain que le nom de son concepteur - l’architecte du Parc des Princes, Roger Taillibert - ait été mentionné par leur guide. Aucune possibilité d’admirer les magnifiques « murales » du quartier du Plateau-Mont-Royal, de déguster des œufs brouillés avec une saucisse en compagnie du fantôme de Leonard Cohen au restaurant Baggel etc., Place du Portugal, d’admirer le dôme géodésique de la Biosphère de 76m de diamètre de Buckminster Fuller, ni le complexe stupéfiant d’ « Habitat 67 » d’un autre architecte, Moshe Safdie ! On comprend que ce voyage ne les ait que moyennement enthousiasmés.

J’ai acheté le petit roman « Blizzard » de Marie Vingtras que JM tenait à la main et dont il m’a fait un éloge basé sur le nombre élevé de prix qu’il a reçus. J’ai acquis cette folie pour quelques euros.

Avant de quitter tout ce beau monde, j’ai émis une suggestion concernant M. et la possibilité de l’emmener une journée à la mer en voiture. Ça semble jouable. Maintenant, il faut trouver le jour.

Faut-il que je vous dise qu’hier soir je suis allé voir le film « Les graines du figuier sauvage », Prix du jury à Cannes. Film que je recommande, sauf aux âmes (trop) sensibles ? 

Que je suis allé faire un tour à la fête du « Monde », au siège du journal à Austerlitz ? Je ne suis pas un inconditionnel de ce bâtiment dont la façade, intégralement en éléments verriers taillés comme des ventelles, aurait dû faire office d’immense écran diffuseur de l’activité du journal. Qui se souvient de la métaphore des fragments du globe terrestre dans le dessin en courbe des différents parties du bâtiment ? Et de la raison de cet enjambement qui s’assimile à un pont (la faute à un très gros transformateur indéplaçable situé au centre du site) ? 

Je n’ai absolument pas profité des ateliers de rencontre avec les journalistes du célèbre quotidien du soir, ni même de la visite du bâtiment. Je me suis assis sur un banc et j’ai rédigé toute la première partie de cette chronique sur une table de biergarten en constatant que parmi les visiteurs, il semblait y avoir une proportion importante de CSP+, peu de gens de couleur et probablement aucun représentant des classes dites populaires. Et sachez que j’ai commis cette écriture dans les relents de graillou qu’un food truck exotique libérait dans mon dos avec une extrême générosité. Abnégation !

C’est ainsi que les hommes vivent.

jeudi 19 septembre 2024

Ce matin au kiosque - 52 - Djipiti s’invite


Tous les matins, à 10h précises, le parvis du kiosque de la gare de Bécon-les-Bruyères s’anime d’un petit rassemblement insolite. Une poignée d’habitués, tous retraités pour la plupart, discutent de tout et de rien, sans jamais se départir de leur bonne humeur. C’est un peu comme une sorte de rituel, une messe païenne quotidienne où on refait le monde à coups de cafés tièdes et de remarques acerbes.

Philippe, qui, malgré ses origines vietnamiennes, ressemble à s’y méprendre à Tana Umaga, l’ancienne star du rugby néo-zélandais, est toujours le premier à arriver. Il est accompagné de Martine, sa femme, une femme menue mais au caractère bien trempé. Ils ont la tendresse piquante des vieux couples qui se chamaillent pour le plaisir, plus par habitude que par réelle animosité.

– « T’as vu comment ils parlent à l’Assemblée ? », lance Philippe en posant son thermos sur le banc. « J’te jure, Martine, j’aurais bien envie d’y coller deux ou trois plaquages à certains, tu verrais comment ils feraient moins les malins. »

Martine, l’œil espiègle, le toise et réplique du tac au tac : « Plaquer ? Toi ? Avec ton genou en compote, t’arrives à peine à descendre du bus. »

Ils éclatent tous les deux de rire, pendant que Pascal, alias le Biker, débarque avec Utah, son inséparable chien. Pascal, c’est le genre de type qu’on verrait bien dans une pub pour Harley Davidson : barbichette, boucle d’oreille qui brille sous sa casquette vissée en permanence sur la tête, et cet accent parisien qui sent le bitume et la gouaille. Il lâche sa première vanne de la matinée :

– « Moi, si je mettais les pieds à l’Assemblée, je leur dirais bien d’arrêter de nous pomper l’air avec leurs conneries. Tu parles, ils seraient foutus de me coller une taxe pour l’oxygène que je respire, ces cons-là ! »

Anne-Marie, la doyenne du groupe, arrive ensuite, appuyée sur sa canne. Une femme à la fois discrète et acérée. D’un humour aussi sec que les feuilles mortes en automne, elle lâche un commentaire toujours aussi pince-sans-rire :

– « Pascal, avec ton haleine, c’est plus eux qui devraient te taxer pour pollution. »

Le groupe éclate de rire pendant que JM le Passeur, derrière son kiosque, relève le nez de son journal. JM, c’est une figure incontournable du quartier. Un long passé de libraire derrière lui, une érudition tranquille. Il jette un œil amusé à la scène.

– « Moi, tant qu’ils continuent à nous envoyer des bons auteurs et des bons clients, ils peuvent bien faire toutes les lois qu’ils veulent », dit-il en haussant les épaules.

Je prends des notes, en silence. C’est moi, l’écrivain de la bande. Je viens chaque matin, carnet à la main, capturer ces moments. Sur mon blog, ça fait des années que je retranscris ces tranches de vie. Mais aujourd’hui, quelque chose est différent. M. n’est pas là.

M., c’est la plus jeune du groupe. Elle vit avec sa grand-mère, qu’elle aide depuis des années. Pas de vacances pour elle depuis 13 ans. Son rêve, c’est d’aller à la mer. Chaque fois qu’on en parle, ses yeux s’illuminent, comme une enfant qui attend son premier Noël.

– « Alors, elle est où, M. aujourd’hui ? » demande Pascal en jetant un coup d’œil vers la place.

– « Peut-être qu’elle est partie à la mer, finalement », plaisante Philippe, mais on sent dans sa voix une vraie inquiétude.

Le silence s’installe quelques secondes. C’est rare ici, un silence. Puis Anne-Marie le brise, sans changer de ton :

– « La mer ? Faut voir les prix. À ce tarif-là, bientôt ils nous feront payer le droit de regarder l’horizon. »

Rires à nouveau, mais cette fois, un peu moins spontanés. Philippe change de sujet :

– « Vous avez vu le dernier sondage ? Le président a encore perdu des points. Il va finir en négatif à ce rythme. »

Pascal renchérit :

– « Moi, j’dis qu’il va falloir l’envoyer aux urgences, le gars. Il a une santé fragile, vu comment il encaisse mal les coups. Si on l’amenait ici, avec vos blagues, il tiendrait même pas dix minutes. »

Utah, allongé à leurs pieds, lève à peine une oreille. Il a l’habitude. Ces matins-là, c’est son petit moment à lui aussi. Il profite de la chaleur du bitume et des miettes de croissants que Pascal laisse tomber de temps en temps. La vie continue, avec ses coups de gueule, ses plaisanteries et ses rêves encore inachevés.

En fin de matinée, chacun repart chez soi. Et moi, je m’en vais rédiger tout ça. Ce petit monde, c’est mon sujet préféré. Toujours les mêmes, mais jamais la même discussion. Peut-être qu’un jour, M. partira enfin voir la mer. En attendant, on se retrouvera demain à 10h, comme d’habitude, au kiosque de la gare de Bécon-les-Bruyères.

Nota : cette chronique a été générée par ChatGPT sur la base de quelques informations concernant certains des habitués du parvis de la gare de Bécon (prénoms, caractères) et quelques uns de leurs thèmes de discussions ; je n'ai rien changé au texte.

mercredi 18 septembre 2024

Ce matin au kiosque 51 - Raoul Minot (encore !), une bibliothécaire, Francesca Melandri, un autre photographe mystérieux

Retour au kiosque. 8h du matin. Notre passeur est bien au poste et procède à ses relevés (commandes, invendus, etc., il vous le dirait mieux que moi vu que je ne suis pas libraire et que lui l’est.. l’huile-lait, lui laid, …). « Alors ! Ça y est : on connaît Raoul Minot ! ». Vous pouvez découvrir son visage sur sa photo d'identité reproduite ici à gauche. Des traits volontaires, le mystère de cet homme est dans son regard. 
Une seconde et quelques dixièmes après mon interpellation - le temps que la communication synapse-neurone s’établisse dans le cerveau ultra performant de JM le Passeur - il m’avoue qu’il a découpé les articles traitant de l’enquête et qu’il les a mis de coté. Je lui fait part de ma déception quant au silence de Madame l’adjointe à la culture de la ville de Courbevoie qui n’a pas daigné me répondre à mon dernier mail la sensibilisant à Raoul Minot (a-t-elle pensé que j’animais un site de rencontres ?), ni même à l’avant dernier qui lui indiquait ma disponibilité quant à une présentation (en présentielle) d’Abuelo, (roman qui, de mon point de vue et objectivement, mériterait une audience beaucoup plus large) ; Abuelo, dont je l’avais informé de la sortie dans un mail initial auquel elle avait répondu « Voyons nous, c’est intéressant ! » Je me suis toujours méfié du mot « intéressant » que j’ai entendu maintes fois qualifier une œuvre irréfutablement médiocre. 

JM le Passeur a jeté un œil dehors pour vérifier si ladite dame n’était pas à la terrasse du café d’en face où elle a ses habitudes. Rien. Peut-être est-elle assaillie de coups de fil de Matignon la sollicitant pour un portefeuille à la culture ? Qui sait ?

Que nous sommes-nous dit à part un café ? Si, que j’allais visiter la future université de Chicago à Paris près d'Austerlitz, projet que j’avais initié du temps où j’étais « actif » (et non un heureux glandeur comme désormais). C’est marrant m’a-t-il dit : « Philippe et Martine m’ont envoyé un petit mot pour me dire qu’ils avaient vu les chutes de Montmorency. Je croyais que c’était dans le Val d’Oise ! » On a connu notre libraire plus.. comment dire.. aiguisé ?

« Tiens, voilà une personne avec laquelle tu pourrais parler littérature ; elle est bibliothécaire. » Une petite dame entre deux âges vient d’entrer dans le kiosque, se saisir d’un Télérama et s’approche de la caisse. Ils échangent tous les deux sur leurs livres en cours. Je m’immisce dans leur conversation en parlant de Francesca Melandri dont je suis en train de finir le premier roman : « Eva dort. » (qu’à l’instant où je vous écris j’ai achevé et dont je vous conseille la lecture au même titre que son dernier (cf recension entre les 48 et 47) : « Tous, sauf moi ». Le premier a pour cadre le Tyrol du Sud où le Haut-Adige selon qu’on se place du côté allemand ou du côté italien. Le second évoque la guerre italo-ethiopienne du début des années 30. Chacun des romans procède d’un va et vient entre le passé et le présent d’où émergent des personnages aux vies complexes, ballottés par la « grande histoire » et la plus petite. Les thèmes du déracinement, de l’amour impossible, des secrets de famille, de l’injustice sociale sont communs à ces deux livres).

JM me parle d’un monsieur qui fait des photographies de personnes et qui, après qu’il lui ait parlé de mon blog, aimerait capturer le visages de tous mes personnages du parvis du kiosque de la gare de Bécon les Bruyères et, pourquoi pas, composer un recueil illustré de mes chroniques.

Je lui dis que ce serait un superbe projet, mais il faudrait que je reprenne un peu certains textes, non seulement pour l’orthographe (la compagne de JM s’en chargerait), mais aussi pour y ajouter un peu de matière ; bref, pour peaufiner des textes écrits parfois un peu vite.

Que voulez-vous que je vous dise de plus ? Que j’ai raté mon train mais que j’en ai eu un autre 9´ plus tard ? Que Trump a probablement le cul bordé de nouilles ? Que Barnier patauge dans le gâteau de semoule de Macron (et toute la France avec) ? Que je suis pour une taxation plus élevée de l’héritage des très grandes fortunes ? Que je suis heureux qu’on soit parvenu à sauver la plupart des 15 dauphins qui s’étaient échoués sur la plage de la Moulinatte que je longe quotidiennement à l’occasion de mes ballades matinales, cyclistes et sportives quotidiennes, quand je suis sur mon île ? Qu’Elon Musk est probablement un génie du business, mais un connard (avec certitude) ? Que la future Université de Chicago à Paris devrait être pas mal, mais au prix d’une énergie démesurée tant le projet était complexe dans tous les compartiments ?Qu’un tel projet nécessite le travail d’une équipe, mais qu’un seul homme ou femme peut être déterminant-e, et que je connais cet homme ? Que la boulangerie Da Silva sera ouverte aujourd’hui et que nous pourrons prendre l’apéro avec une gougère (enfin !) ?

Que c’est ainsi que les hommes vivent ?

vendredi 6 septembre 2024

Ce matin au kiosque (ou presque) 50 - Travaux de vacances, BaRNier, Gare Montparnasse et Pepito

La cinquantième ! Ça devrait s’arroser ! Encore faudrait-il que je ne sois pas abonné à un nomadisme chronique !…

8h00. Jean-Michel est (enfin) à son poste. D’aucuns se vantent d’avoir « fait » Bali ou les parcs des US ; notre passeur est resté sagement chez lui pendant ses vacances d’été - soucieux qu’il est de son empreinte carbone -, et il s’est consacré à des travaux domestiques (démoussage de son toit, rangement du grenier et mise en étagères de deux fois cinquante ans de lectures). 

Nous avons bien entendu échangé sur la nomination à Matignon de Michel Barnier, fringant sexagénaire, porte-drapeau d’une « France éternelle » : Notre président à une nouvelle fois confirmé ses talents de visionnaire autant que son mantra néo-lampédusien : « Pour que rien ne change, il faut que rien ne change. »

Nous avons évoqué Raoul Minot (forcément). Jean-Michel m’assure qu’il se fera le porte-parole consciencieux auprès de Mme Peney, maire-adjointe à la culture, de l’impérieuse nécessité de rendre hommage à l’ex-anonyme qui vécu rue du 22 Septembre et légua plus de 700 photos d’un autre visage de la « France éternelle », celui en noir et blanc de l’occupation. Lui apprenant que notre héros Beconnais fut dénoncé auprès de la gestapo et des services de police vichyssois par une lettre anonyme (une parmi les 4 à 5 millions émises par de « bons français » durant cette période), il a eu cette réplique frappée au sceau du bon sens autant que de la résignation : « Et tu crois qu’aujourd’hui…? ».

Après moins de 24H en région parisienne, je déserte une nouvelle fois Bécon pour des territoires plus maritimes et insulaires. J'ai effectué un aller-retour Ile de Ré - Ile de France, juste pour assister à un concert de rock de potes qui vont prendre leur retraite. 

Assis à présent dans un espace d’attente de la Gare Montparnasse, j’observe mes voisins : une dame d’un certain âge (mais il est probable que je sois son ainé) - cheveux blancs jaunâtres longs et lâchés en mèches sales, pieds minuscules chaussés de curieuses bottines roses délavées - tricote avec une application de greffière, sous le regard de son chat encagé (Pépito), les premiers rangs d’un chandail que l’on imagine conçu, exclusivement, pour affronter les CRS lors des prochaines manifs de la CGT ; un asiatique en costume gris sombre traite au téléphone, avec une conviction menaçante, une probable très grosse affaire ; un couple de noirs, elle ultra maquillée, les pommettes généreuses et hissées à une hauteur défiant les lois de la pesanteur, lui, sapé tel un sapeur, évoque à grands renforts de rires des anecdotes dont j’ignorerai jusqu’à ma mort les thèmes hilarants ; une silhouette encapuchonnée dans un survêtement blanc semble sommeiller tout en se grattant les pieds, etc. 

Enfin, dans cet espace anonymisé, une dame de service passe la serpillière entre les voyageurs dont la plupart scrutent l’écran de leur smartphone, tandis que les haut-parleurs diffusent une litanie de sacs et de valises abandonnés que les services de sécurité s’apprêtent à faire exploser. 

C’est ainsi que les hommes vivent.