Hier, il m’aurait été possible d’écrire une chronique qualifiable de décoiffante. Nous étions pourtant peu nombreux parmi les « habitués » et M. en était d’ailleurs toute dépitée.
Pascal était à Deauville où j’appris ce matin qu’il s’était baigné avec Utah dans une eau dont il a estimé la température à 16 degrés ; il mit plus d’une demi-heure avant de retrouver sa voiture garée sur l’immense parking de la plage. Même Pascal vieillit !
M. est arrivée quelques instants après moi. Elle a commandé un café, payé plusieurs revues « people », puis elle est sortie s’installer à une table dehors. Ça ne semblait pas aller fort. A cette table, une dame - dont j’apprendrai plus tard qu’elle se prénomme Monique - lisait en bougeant ses lèvres un roman d’Henri Troyat.
J’échangeai quelques mots avec JM, scotché à sa caisse comme tous les vendredi, jour de la livraison du « pack Figaro Magazine », hebdomadaire qui flirte avec les idées d’extrême-droite. Une cliente envisage d’acquérir un « Abuelo ». Mon agent est toujours au taquet.
M. était seule face à Monique, toujours plongée dans son livre. Je me suis dit qu’il serait bon que j’aille lui tenir compagnie. Ce que je fis. M. était troublée ce matin pour de multiples raisons plus ou moins rationnelles qu’elle m’a confiées tout en lançant quelques regards inquiets à gauche et à droite. J’ai tenté de la rassurer.
Benjamin, l’ex-entrepreneur de VRD qui a travaillé avec le très grand architecte des aéroports, Paul Andreu, est arrivé, casquette de golfeur vissée sur la tête, visage lumineux, petit accent chantant. Aux questions déroutantes de M., Benjamin répond par quelques mots avec un sourire bienveillant.
Le Marseillais a déboulé, un accessoire cylindrique sous le bras. Il n’avait toujours pas sa paire de bretelles mais toujours sa faconde d’homme qui a vu une sardine boucher l’entrée du port de sa ville. Il a laissé planer le doute sur la nature de son accessoire, le pointant sur moi comme s’il s’agissait d’un bazooka. J’ai cru identifier, non une arme létale, mais plutôt un petit climatiseur vertical qu’il avait dû dégoter sur le trottoir parmi les « encombrants ». Le Marseillais aime parler. Il enchaîne les anecdotes comme des rafales de mitraillette. C’est un homme auquel il arrive tout un tas de situations plus invraisemblables les unes que les autres, et je déplorerais presque cette absence de piment dans ma vie si je n’ignorais pas qu’en pareilles circonstances je n’aurais certainement pas l’à-propos de notre homme.
Au bout d’un moment, je me suis réfugié dans le kiosque où j’ai eu le plaisir de voir arriver M. Patrick Chausson. Calme, digne, de beaux cheveux blancs, possiblement habillé chez Preston, la voix grave et posée qui lui donne une assurance de vieux sage. C’est lui qui m’a vanté les qualités de Monique face à laquelle il est venu s’asseoir. En quittant le kiosque, je suis donc allé saluer Monique et Patrick m’a présenté comme un écrivain de romans ; ce qui m’est apparu un tantinet usurpé, mais je n’ai rien dit et je me suis contenté d’avouer mes chroniques. Monique m’a félicité à cet égard tout en affirmant que l’important c’était « la sauce » ; et l’on devient saucier alors qu’on naît rôtisseur, comme chacun sait.
Ce matin, le quator de base était présent : Pascal (avec Utah), Philippe et Martine, Anne-Marie. Mais ce qui fut extraordinaire, c’est de constater que le groupe que je dénomme « les Habitués » est en fait beaucoup plus important que ce que j’imaginais. Plusieurs personnes sont venues saluer les membres du quatuor et un couple, dont la présence ici se cale probablement sur un autre créneau horaire que le mien, s’est installé autour de la table après avoir bisé tout le monde. L’homme a émis un aveu : « c’est quand même bien la retraite ! » a-t-il dit sur un ton jubilatoire.
La seule personne à connaître l’intégralité de ce « Who’s Who » est bien sûr JM.
Philippe nous a raconté ses déconvenues lors de leurs vacances au Québec où, durant la seule moitié d’après-midi qu’ils ont eu de libre, ils en ont profité pour se perdre dans le parc des chutes de Montmorency, et finir (heureusement provisoirement) par patauger gaillardement dans des marais.
De Montréal, où ils n’ont passé que quelques heures, le programme prévoyait la visite de la « ville souterraine » et un coup d’œil au stade olympique dont il n’est pas certain que le nom de son concepteur - l’architecte du Parc des Princes, Roger Taillibert - ait été mentionné par leur guide. Aucune possibilité d’admirer les magnifiques « murales » du quartier du Plateau-Mont-Royal, de déguster des œufs brouillés avec une saucisse en compagnie du fantôme de Leonard Cohen au restaurant Baggel etc., Place du Portugal, d’admirer le dôme géodésique de la Biosphère de 76m de diamètre de Buckminster Fuller, ni le complexe stupéfiant d’ « Habitat 67 » d’un autre architecte, Moshe Safdie ! On comprend que ce voyage ne les ait que moyennement enthousiasmés.
J’ai acheté le petit roman « Blizzard » de Marie Vingtras que JM tenait à la main et dont il m’a fait un éloge basé sur le nombre élevé de prix qu’il a reçus. J’ai acquis cette folie pour quelques euros.
Avant de quitter tout ce beau monde, j’ai émis une suggestion concernant M. et la possibilité de l’emmener une journée à la mer en voiture. Ça semble jouable. Maintenant, il faut trouver le jour.
Faut-il que je vous dise qu’hier soir je suis allé voir le film « Les graines du figuier sauvage », Prix du jury à Cannes. Film que je recommande, sauf aux âmes (trop) sensibles ?
Que je suis allé faire un tour à la fête du « Monde », au siège du journal à Austerlitz ? Je ne suis pas un inconditionnel de ce bâtiment dont la façade, intégralement en éléments verriers taillés comme des ventelles, aurait dû faire office d’immense écran diffuseur de l’activité du journal. Qui se souvient de la métaphore des fragments du globe terrestre dans le dessin en courbe des différents parties du bâtiment ? Et de la raison de cet enjambement qui s’assimile à un pont (la faute à un très gros transformateur indéplaçable situé au centre du site) ?
Je n’ai absolument pas profité des ateliers de rencontre avec les journalistes du célèbre quotidien du soir, ni même de la visite du bâtiment. Je me suis assis sur un banc et j’ai rédigé toute la première partie de cette chronique sur une table de biergarten en constatant que parmi les visiteurs, il semblait y avoir une proportion importante de CSP+, peu de gens de couleur et probablement aucun représentant des classes dites populaires. Et sachez que j’ai commis cette écriture dans les relents de graillou qu’un food truck exotique libérait dans mon dos avec une extrême générosité. Abnégation !
C’est ainsi que les hommes vivent.
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