Véra signifie "foi" dans la langue slave et le sous-titre de ce roman est : Une Manon Lescaut russe. L'auteur, Vsevolod Petrov (1912-1978) était historien de l'art et critique. Il a écrit ce court récit, inspiré par des événements vécus, au retour de la guerre, en 1946. Il ne fut publié que 60 ans plus tard et vient de paraître dans sa traduction française en 2019.
Je n'ai jamais lu "Manon Lescaut" de l'Abbé Prévost, roman paru en 1731 et qui fit scandale, dans lequel un jeune homme de bonne famille, le chevalier Des Grieux, tombe amoureux d'une jeune femme, Manon, rencontrée un soir dans une auberge. L'idylle tourne assez vite à une passion tumultueuse rythmée de revers, de désillusions, et la belle Manon se révèle rapidement prête à tout - et les infidélités se succèdent - pour permettre au couple de vivre aisément et parfois de survivre. Des Grieux lui-même, comme envoûté par la belle et sous la mauvaise influence du frère de Manon, se met à fréquenter les cercles de jeu et commettre forfaits et escroqueries. Evidemment les choses finissent par tourner mal et, de séjours en prison en évasions, le couple se retrouve contraint à partir pour l'Amérique ; Manon, en tant qu'exilée et Des Grieux comme matelot, incapable de se séparer de son amour. En bref, le thème principal est celui de l'amour impossible entre deux êtres que tout oppose a priori.
La jeune Véra du roman de Petrov est une jeune femme libre qui vit au présent - carpe diem -, que les autres femmes jalousent du fait de son charme mais aussi de son insouciance vis-à-vis des convenances. L'essentiel du roman se déroule dans un quasi huis-clos* avec une dizaine de personnages - doctoresses, infirmières, officiers et hommes de rang - dans un wagon d'un convoi sanitaire dont la destination est le front et qui fait quelques haltes au gré des ravitaillements, des embouteillages sur les voies ou des bombardements. Le narrateur, jeune officier (romantique ?), lecteur de Goethe ("Les souffrances du jeune Werther" est son livre de chevet) s'éprend de la belle Véra dans laquelle il voit son double opposé ("Véra était tout à fait différente de moi. Nous ne correspondions en rien. (...) Je l'aimais probablement aussi parce qu'elle était tout mon contraire."). Il souffre de la légèreté de sa maîtresse mais son amour est plus fort que tout. Sa passion le conduit quelques temps à s'illusionner en imaginant un futur commun avec Véra, mais c'est la jeune femme qui, en fin de compte, est la plus lucide, et pressent, redoute, l'impasse de leur destin commun.
Depuis les Rita Mitsuko nous savons tous que "les histoires d'amour finissent mal, en général", et celle-ci n'échappe pas à la règle.
C'est les termes "simplicité" et "délicatesse" qui viennent à l'esprit s'il fallait qualifier en deux mots ce roman** ; dans l'écriture, dans la description des paysages le plus souvent ensevelis sous la neige, dans le rythme lent des situations. Evidemment la question du temps - passé, présent, futur - est aussi central dans le roman puisque ce sont des notions étrangères à Véra ("à ses yeux le passé n'existait pas") et qu'en revanche, pour le jeune narrateur, la question de la temporalité est essentielle.
C'est un livre immense et magnifique qu'il faudrait lire, relire, et partager.
*Il faudrait qu'un metteur en scène s'empare de cette histoire et en fasse une pièce de théâtre !
** Mais c'est une gageure ! Quelle idée ?
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