Ici on tente de s'exercer à écrire sur l'architecture et les livres (pour l'essentiel). Ça nous arrive aussi de parler d'art et on a quelques humeurs. On poste quelques photos ; celles qu'on aime et des paréidolies. Et c'est évidemment un blog qui rend hommage à l'immense poète et chanteur Léonard Cohen.
lundi 16 novembre 2020
CONFINITUDE
J'ai commencé cette serie de post de poèmes au lendemain di confinement. Je me suis dit que je tenterai de partager chaque jour un poème. je l'ai fait sur FaceBook et je les reproduis ici.
J'aime bien la parole de Christiane Taubira :
"La poésie sera toujours supérieure aux couillons !"
A tout seigneur, tout honneur, un poème de Léonard Cohen, "Famous Blue Raincoat" (traduction libre de votre serviteur) :
"Il est quatre heures du matin, fin décembre.
Je t'écris juste pour savoir si tu vas mieux.
New York est glacial mais c'est ici que je suis bien pour vivre.
La musique flotte dans Clinton Street tard dans la nuit.
On me dit que tu as construit une petite maison, loin, au fond du désert.
Que tu vis maintenant de presque rien.
J'espère que tu en garderas quelques traces.
Oui, et Jane est revenue avec une mèche de tes cheveux.
Une mèche que tu lui avais donnée, disait-elle, cette nuit où tu avais décidé de t’évader.
Es-tu jamais parvenu à t’évader ?
La dernière fois que nous t'avons vu, tu paraissais avoir tellement vieilli.
Ton inséparable imperméable bleu, usé, jeté sur tes épaules.
Tu étais allé à la gare pour attendre un train, n’importe lequel.
Mais tu es revenu chez toi sans Lily Marlène.
Et tu as traité ma femme comme une paillette de ta vie.
Quand elle est revenue elle était la femme de personne.
Je te revois avec une rose entre les dents, comme un petit voleur de gitan.
Tiens, je vois que Jane se réveille.
Elle t'adresse ses amitiés.
Et que puis-je encore te dire mon frère, mon assassin ?
Que puis-je vraiment te dire ?
Je crois que tu me manques.
Je crois que je te pardonne.
Je suis heureux de t’avoir trouvé sur mon chemin.
Si jamais tu reviens par ici pour Jane ou pour moi,
Je veux que tu saches que ton ennemi repose.
Je veux que tu saches que sa femme est libre.
Merci pour la peur que tu as enlevée de ses yeux.
Je pensais que c'était naturel aussi n’avais-je jamais essayé de le faire.
Oui, et Jane est revenue avec une mèche de tes cheveux,
Une mèche que tu lui avais donnée, disait-elle, cette nuit où tu avais décidé de t’évader.
Es-tu jamais parvenu à t’évader ?"
lundi 26 octobre 2020
"L'ère du clash" et "La Tyrannie des Bouffons"
Ces deux essais de Christian Salmon permettent de mieux comprendre comment un certain nombre de dirigeants - à commencer par Trump aux Etats-Unis, mais aussi Berlusconi en Italie ou Bolsonaro au Brésil - ont pu accéder (et se maintenir !) au plus hautes fonctions d'un état a priori démocratique tout en apparaissant comme des clowns aux yeux d'une majorité de leur compatriotes et au-delà.
Ces lectures m'amènent à un certain nombre de réflexions.
Le concept de débat : aujourd'hui, le concept de "débat" - au sens où nous avions l'habitude de le concevoir, c'est à dire un échange d'idées et de points de vue, voire une confrontation, dans le respect de la position des différents acteurs -, s'est transformé en invective, en discrédit, en insulte ou même en mensonge assumé.
Défaite de la pensée : elle provient en grande partie, et l'on pourrait dire de façon paradoxale, d'un excès d'informations dont le flux ne cesse d'augmenter tant en quantité qu'en vitesse de propagation. C'est la crue en continu de l'information qui oblige à "zapper" d'un évènement à un autre, à s'interdire tout exercice minimal d'analyse et de critique. Le monde est devenu un gigantesque comptoir du Café du Commerce où chacun y va de son jugement "autorisé", une immense émission de télé-réalité.
L'Albatros de Baudelaire : dans ce contexte, l'humaniste et le vrai démocrate sont comme l'albatros de Baudelaire dont les "ailes de géants l'empêchent de marcher" et qui suscitent les ricaneries de la part de ces pêcheurs imbéciles qui les miment dans leur maladresse. Les bouffons qui participent à la marche du monde imposent leur référentiel matérialisé par l'écran ou les instruments de la propagation virale de leurs stratégies (les réseaux sociaux). La grande détresse de la pensée aujourd'hui tient dans le fait qu'aucun référentiel est suffisamment fort pour s'y opposer.
Une lueur d'espoir : Je ne vois qu'une lueur d'espoir et elle nous vient des antipodes, de Nouvelle-Zélande, avec la réélection au poste de Premier Ministre de Jacinda Ardern. Puisse-t-elle nous montrer le chemin d'un nouveau référentiel !
dimanche 9 août 2020
Les "cagots" ont-ils disparu ?
Une récente visite de l'église de Ciboure au Pays Basque m'a fait découvrir le terme "cagot". Une plaque indicative de l'histoire du bâtiment plaquée sur l'un des murs extérieurs mentionne le fait qu'un cimetière réservé aux cagots était situé à proximité de l'église et que celle-ci comportait une porte d'accès qui leur était également réservée. Wikipedia renseigne abondamment sur les cagots et j'invite les curieux à se rendre sur la page de cet extraordinaire outil de connaissances (belle preuve de l'intérêt d'une démarche participative) en cliquant ici, mais également sur cet autre site là encore.
En bref, on peut avancer - bien qu'il existe encore de nombreuses zones d'ombres sur leur origine exacte - que les cagots sont nés de la conjonction de phénomènes de superstition populaire et de discrimination sociale, amplifiée par le pouvoir religieux et politique. C'est au XIIIème siècle que l'on voit apparaître les mots de crestia ou crestian qui désignent des individus susceptibles d'être porteurs de maladies assimilables à la lèpre, sans qu'ils soient véritablement des lépreux. Du fait de la peur attachée à cette maladie, les crestias font l'objet d'une relégation dans des zones spécifiques (le plus souvent en marge des villages) et d'interdits multiples : ils ne peuvent pratiquer qu'un nombre très limité de métiers (principalement ceux en relation avec la construction), l'accès à certains lieux tels les églises leur est réglementé, ils ne peuvent se marier qu'entre eux. Toute infraction à ces règles orales ou même écrites est sévèrement punie.
Les chercheurs font remonter la dénomination cagots au XVIème siècle, quand la théorie sur l'origine de cette population de proscrits les associe aux goths plutôt qu'aux lépreux. Une hypothèse Auparavant et, malgré l'ordonnance de 1683 de Louis XIV qui en abolissait le statut (pour des raisons plus économiques qu'humanitaires, Colbert et le roi cherchant alors des ressources pour financer l'endettement du royaume), l'ostracisme dont ils furent l'objet a pu se perpétuer encore durant de nombreuses années, comme en atteste un quartier du village d'Arizkun (Navarre) qui leur était réservé jusqu'au début du XXème siècle.
Les cagots eux-mêmes avaient été précédés des
La superstition populaire affirmait qu'ils étaient porteurs de la peste (l'équivalent de notre Covid-19 !) ou tout du moins agents de transmission de la maladie. A cet effet, ils devaient être "confinés" dans des lieux spécifiques (le plus souvent en périphérie des agglomérations) et assujettis à un certain nombre de règles les excluant de la vie communautaire. Certaines hypothèses associent l'origine de leur relégation territoriale au fait qu'ils aient appartenu à une peuplade vaincue ou dissidente sur le plan religieux qui se serait réfugiée, pour sa survie, dans des lieux difficilement accessibles tels que les montagnes, les forêts ou des zones marécageuses.
Concernant la discrimination sociale, il s'agit d'une constante dans l'histoire des sociétés - voire même un facteur consubstantiel - de disposer d'une fraction de la population sur laquelle il est possible de faire porter la responsabilité des maux (maladies, guerres, crises économiques, crises sociales, etc.) qui affectent régulièrement lesdites sociétés. L'histoire contemporaine et l'actualité en multiplient les exemples.
L'amplification de ce type de phénomène par le pouvoir religieux et politique (souvent confondus dans l'histoire) constitue rien moins, pour le premier, que la nécessité de renforcer son emprise sur les consciences en trouvant une "raison" à ce qui pourrait être jugé comme "déraisonnable" (comment Dieu, omniscient et infiniment miséricordieux pourrait-il accabler l'Homme ?). Pour le second, elle correspond au besoin de trouver une justification soit dans l'échec d'une politique, soit dans sa raison d'être. Le nazisme en est un exemple parfait (si la dimension religieuse ne peut lui être associée, celle du "sacré" et de la charge symbolique associée au personnage du führer s'y substituent).
En bref, on peut avancer - bien qu'il existe encore de nombreuses zones d'ombres sur leur origine exacte - que les cagots sont nés de la conjonction de phénomènes de superstition populaire et de discrimination sociale, amplifiée par le pouvoir religieux et politique. C'est au XIIIème siècle que l'on voit apparaître les mots de crestia ou crestian qui désignent des individus susceptibles d'être porteurs de maladies assimilables à la lèpre, sans qu'ils soient véritablement des lépreux. Du fait de la peur attachée à cette maladie, les crestias font l'objet d'une relégation dans des zones spécifiques (le plus souvent en marge des villages) et d'interdits multiples : ils ne peuvent pratiquer qu'un nombre très limité de métiers (principalement ceux en relation avec la construction), l'accès à certains lieux tels les églises leur est réglementé, ils ne peuvent se marier qu'entre eux. Toute infraction à ces règles orales ou même écrites est sévèrement punie.
Les chercheurs font remonter la dénomination cagots au XVIème siècle, quand la théorie sur l'origine de cette population de proscrits les associe aux goths plutôt qu'aux lépreux. Une hypothèse Auparavant et, malgré l'ordonnance de 1683 de Louis XIV qui en abolissait le statut (pour des raisons plus économiques qu'humanitaires, Colbert et le roi cherchant alors des ressources pour financer l'endettement du royaume), l'ostracisme dont ils furent l'objet a pu se perpétuer encore durant de nombreuses années, comme en atteste un quartier du village d'Arizkun (Navarre) qui leur était réservé jusqu'au début du XXème siècle.
Les cagots eux-mêmes avaient été précédés des
La superstition populaire affirmait qu'ils étaient porteurs de la peste (l'équivalent de notre Covid-19 !) ou tout du moins agents de transmission de la maladie. A cet effet, ils devaient être "confinés" dans des lieux spécifiques (le plus souvent en périphérie des agglomérations) et assujettis à un certain nombre de règles les excluant de la vie communautaire. Certaines hypothèses associent l'origine de leur relégation territoriale au fait qu'ils aient appartenu à une peuplade vaincue ou dissidente sur le plan religieux qui se serait réfugiée, pour sa survie, dans des lieux difficilement accessibles tels que les montagnes, les forêts ou des zones marécageuses.
Concernant la discrimination sociale, il s'agit d'une constante dans l'histoire des sociétés - voire même un facteur consubstantiel - de disposer d'une fraction de la population sur laquelle il est possible de faire porter la responsabilité des maux (maladies, guerres, crises économiques, crises sociales, etc.) qui affectent régulièrement lesdites sociétés. L'histoire contemporaine et l'actualité en multiplient les exemples.
L'amplification de ce type de phénomène par le pouvoir religieux et politique (souvent confondus dans l'histoire) constitue rien moins, pour le premier, que la nécessité de renforcer son emprise sur les consciences en trouvant une "raison" à ce qui pourrait être jugé comme "déraisonnable" (comment Dieu, omniscient et infiniment miséricordieux pourrait-il accabler l'Homme ?). Pour le second, elle correspond au besoin de trouver une justification soit dans l'échec d'une politique, soit dans sa raison d'être. Le nazisme en est un exemple parfait (si la dimension religieuse ne peut lui être associée, celle du "sacré" et de la charge symbolique associée au personnage du führer s'y substituent).
samedi 23 mai 2020
"Parcours d'un jeune de Mancey 1939-1945 Georges Duriaud" de Gérard MORIN
Mancey est une petite commune de Saône-et-Loire, située à 7 km à l'ouest de Tournus et sensiblement à mi-chemin entre Mâcon et Chalon-sur-Saône. On est ici en Bourgogne dans les côtes vallonnées du Mâconnais, un territoire encore très agricole où les vignes produisent des "petites" cuvées à la modestie sympathique, en retrait des grandes appellations plus septentrionales de la Côte de Nuit ou de la Côtes de Beaune.
Ce caractère de simplicité et d'authenticité, on le retrouve dans le récit écrit par Gérard Morin qui a voulu rendre hommage à l'un de ses voisins, Georges Duriaud qui va avoir 100 ans en janvier prochain.
Georges n'a que 23 ans quand sa vie bascule avec son engagement dans le maquis. Issu d'une famille d'agriculteurs - le livre décrit parfaitement, dans le détail et avec les termes locaux, la vie de ces gens rythmée par les saisons, au plus près de la nature, des "gens de peu" pour reprendre l'expression de Pierre Sansot - le jeune Duriaud, davantage rompu aux travaux des champs, se retrouve du jour au lendemain dans la peau d'un braqueur de perceptions, à coucher dans les forêts de Brancion, à apprendre le maniements des explosifs et des armes de guerre, à être traqué par la milice et les soldats de l'occupant.
Le livre alterne les souvenirs de ce jeune résistant et les temps forts de la guerre de 39-45. Il comporte un grand nombre d'illustrations et de photos. C'est en particulier très émouvant de regarder le visage de ces jeunes femmes et de ces jeunes hommes - ils n'ont pour la plupart pas 30 ans - et de lire leurs destins, souvent tragiques.
Georges Duriaud est l'un de ces héros anonymes - comment se fait-il qu'il ait fallu qu'il attende d'avoir 77 ans, 53 ans après la fin de la guerre, pour être fait chevalier de la Légion d'honneur ? - dont il est bon et utile de rappeler le parcours, loin de la "société du spectacle" et pourtant tellement essentiel.
Gérard Morin, désormais écrivain et éditeur, a pris le temps de l'écoute et de la recherche pour nous faire partager ce témoignage édifiant. L'exemple d'un otium placé sous le signe de l'amitié. On attend d'autres opus !
Ce caractère de simplicité et d'authenticité, on le retrouve dans le récit écrit par Gérard Morin qui a voulu rendre hommage à l'un de ses voisins, Georges Duriaud qui va avoir 100 ans en janvier prochain.
Georges n'a que 23 ans quand sa vie bascule avec son engagement dans le maquis. Issu d'une famille d'agriculteurs - le livre décrit parfaitement, dans le détail et avec les termes locaux, la vie de ces gens rythmée par les saisons, au plus près de la nature, des "gens de peu" pour reprendre l'expression de Pierre Sansot - le jeune Duriaud, davantage rompu aux travaux des champs, se retrouve du jour au lendemain dans la peau d'un braqueur de perceptions, à coucher dans les forêts de Brancion, à apprendre le maniements des explosifs et des armes de guerre, à être traqué par la milice et les soldats de l'occupant.
Le livre alterne les souvenirs de ce jeune résistant et les temps forts de la guerre de 39-45. Il comporte un grand nombre d'illustrations et de photos. C'est en particulier très émouvant de regarder le visage de ces jeunes femmes et de ces jeunes hommes - ils n'ont pour la plupart pas 30 ans - et de lire leurs destins, souvent tragiques.
Georges Duriaud est l'un de ces héros anonymes - comment se fait-il qu'il ait fallu qu'il attende d'avoir 77 ans, 53 ans après la fin de la guerre, pour être fait chevalier de la Légion d'honneur ? - dont il est bon et utile de rappeler le parcours, loin de la "société du spectacle" et pourtant tellement essentiel.
Gérard Morin, désormais écrivain et éditeur, a pris le temps de l'écoute et de la recherche pour nous faire partager ce témoignage édifiant. L'exemple d'un otium placé sous le signe de l'amitié. On attend d'autres opus !
dimanche 17 mai 2020
"Nous avons les mains rouges" de Jean Meckert
Jean Meckert (1910-1995) est un auteur prolixe (plus d'une trentaine de romans) salué par des grands noms de la littérature tels Gide, Queneau ou Martin du Gard.
"Nous avons les mains rouges" a été publié en 1947. Il s'agit de son quatrième livre après "Les coups" paru en 1940. Le thème central traite de l'épuration après la fin de la seconde guerre mondiale. Laurent, tout juste sorti de deux ans de prison pour un meurtre suite à une bagarre, se retrouve embarqué dans une drôle d'association de justiciers à la tête de laquelle figure un héro de la résistance, M. d'Essertaut, propriétaire d'une scierie. Les deux filles de ce dernier, la plus jeune, sourde et muette, Christine, et une militante passionnée, Hélène, le pasteur Bertod, et Armand, un colosse au passé de détenu comme Laurent, complètent le groupe qui entend régler leur compte à tous ceux qui ont su profiter des années de guerre pour prospérer et disposer à présent de situations confortables.
Mais les règlements de compte vont au-delà de la simple menace ou de la correction : il s'agit le plus souvent d'exécuter les profiteurs.
Laurent, sans attaches particulières, sans argent, trouve dans la famille d'Essertaut un gite, un travail dans la scierie et un flirt en la personne de Christine. Il découvre peu à peu les agissements du petit groupe auquel sont associés d'autres anciens camarades de la Résistance. Si au début, il parait réfractaire à toute cette folie, il finit par y adhérer par faiblesse et par amitié pour Armand qui l'a pris sous sa protection.
Jean Meckert évoque une période trouble de l'histoire de France où certains se sont érigés en justiciers commettant des crimes odieux au prétexte d'avoir risqué leur vie pendant les six années de guerre. Mais il dresse aussi le portrait d'une société toujours prompte à trouver un bouc-émissaire.
"Nous avons les mains rouges" est un très grand roman d'un auteur injustement méconnu aujourd'hui.
"Nous avons les mains rouges" a été publié en 1947. Il s'agit de son quatrième livre après "Les coups" paru en 1940. Le thème central traite de l'épuration après la fin de la seconde guerre mondiale. Laurent, tout juste sorti de deux ans de prison pour un meurtre suite à une bagarre, se retrouve embarqué dans une drôle d'association de justiciers à la tête de laquelle figure un héro de la résistance, M. d'Essertaut, propriétaire d'une scierie. Les deux filles de ce dernier, la plus jeune, sourde et muette, Christine, et une militante passionnée, Hélène, le pasteur Bertod, et Armand, un colosse au passé de détenu comme Laurent, complètent le groupe qui entend régler leur compte à tous ceux qui ont su profiter des années de guerre pour prospérer et disposer à présent de situations confortables.
Mais les règlements de compte vont au-delà de la simple menace ou de la correction : il s'agit le plus souvent d'exécuter les profiteurs.
Laurent, sans attaches particulières, sans argent, trouve dans la famille d'Essertaut un gite, un travail dans la scierie et un flirt en la personne de Christine. Il découvre peu à peu les agissements du petit groupe auquel sont associés d'autres anciens camarades de la Résistance. Si au début, il parait réfractaire à toute cette folie, il finit par y adhérer par faiblesse et par amitié pour Armand qui l'a pris sous sa protection.
Jean Meckert évoque une période trouble de l'histoire de France où certains se sont érigés en justiciers commettant des crimes odieux au prétexte d'avoir risqué leur vie pendant les six années de guerre. Mais il dresse aussi le portrait d'une société toujours prompte à trouver un bouc-émissaire.
"Nous avons les mains rouges" est un très grand roman d'un auteur injustement méconnu aujourd'hui.
samedi 21 mars 2020
" Charlotte" de David Foenkinos
Charlotte, c'est Charlotte Salomon, une jeune femme juive-allemande, une artiste que certains ont qualifié de "génie", et qui a été assassinée par les nazis en octobre 1943 au camp d'extermination d'Auschwitz, alors qu'elle n'avait que 26 ans et qu'elle était enceinte. Charlotte qui était parvenue à se réfugier en France, à Villefranche-sur-Mer, dans la propriété d'une riche américaine, fut dénoncée par un appel anonyme au criminel de guerre nazi, Aloïs Brunner, qui dirigeait les opérations de chasse aux juifs sur la Côte d'Azur depuis l'hôtel Excelsior de Nice. Brunner parvint à échapper à la justice pour les crimes qu'il a commis (130 à 150.000 juifs exécutés à son actif) en se faisant passer pour mort à la fin de la guerre. Les services secrets israéliens retrouvèrent sa trace en Syrie où il était le protégé d'Hafez el Assad, mais ne parvinrent pas à l'exfiltrer comme Eichmann, son patron. Il mourut en 2001, terré comme un rat, dans le sous-sol d'une maison à Damas.
David Foenkinos a écrit un livre dont il est difficile de s'extraire et que l'on referme à la dernière page avec une émotion très forte. Il utilise par ailleurs une forme d'écriture par phrases courtes et assemblées comme un poème, les unes à la suite des autres. Loin d'être déroutant, ce procédé stylistique apporte à la narration à la fois légèreté et profondeur. Chaque mot prend sa place et résonne au plus près du drame qui se joue autour de cette jeune femme accablée par le destin.
L'auteur nous fait part également de sa fascination pour son héroïne jusqu'à aller sur les traces des lieux qu'ils l'ont accueillie en Allemagne ou sur la Côte d'Azur, interroger des témoins, tenter de forcer le mur d'enceinte du site de l'ancienne villa l'Hermitage où elle fut arrêtée, transformé en une opération immobilière "haut de gamme" pour adeptes probables de "gated communities".
La version "de luxe", illustrée par une cinquantaine de reproduction d’œuvres de l'artiste, confère un supplément de sens au roman.
"La grand-mère et la petite fille se comprennent.
Leur cœur bat de la même façon.
Comme s'il était enroulé dans une étoffe.
Il se débat en sourdine, sans faire de bruits dans le corps.
A la manière coupable dont les survivants respirent."
p 157
"Sur le quai, elle observe certains hommes.
Ils sont habillés comme pour un mariage.
Ils sont élégants, se tiennent droits, avec leur valise en main.
Portent des chapeaux qu'ils pourraient ôter au passage d'une femme.
On ne perçoit pas la moindre hystérie.
C'est une forme de politesse dans la déchéance.
Ne surtout pas montrer à l'ennemi le ravage intérieur.
Ne pas lui offrir le plaisir d'un visage supplicié."
p 227
David Foenkinos a écrit un livre dont il est difficile de s'extraire et que l'on referme à la dernière page avec une émotion très forte. Il utilise par ailleurs une forme d'écriture par phrases courtes et assemblées comme un poème, les unes à la suite des autres. Loin d'être déroutant, ce procédé stylistique apporte à la narration à la fois légèreté et profondeur. Chaque mot prend sa place et résonne au plus près du drame qui se joue autour de cette jeune femme accablée par le destin.
L'auteur nous fait part également de sa fascination pour son héroïne jusqu'à aller sur les traces des lieux qu'ils l'ont accueillie en Allemagne ou sur la Côte d'Azur, interroger des témoins, tenter de forcer le mur d'enceinte du site de l'ancienne villa l'Hermitage où elle fut arrêtée, transformé en une opération immobilière "haut de gamme" pour adeptes probables de "gated communities".
La version "de luxe", illustrée par une cinquantaine de reproduction d’œuvres de l'artiste, confère un supplément de sens au roman.
"La grand-mère et la petite fille se comprennent.
Leur cœur bat de la même façon.
Comme s'il était enroulé dans une étoffe.
Il se débat en sourdine, sans faire de bruits dans le corps.
A la manière coupable dont les survivants respirent."
p 157
"Sur le quai, elle observe certains hommes.
Ils sont habillés comme pour un mariage.
Ils sont élégants, se tiennent droits, avec leur valise en main.
Portent des chapeaux qu'ils pourraient ôter au passage d'une femme.
On ne perçoit pas la moindre hystérie.
C'est une forme de politesse dans la déchéance.
Ne surtout pas montrer à l'ennemi le ravage intérieur.
Ne pas lui offrir le plaisir d'un visage supplicié."
p 227
jeudi 12 mars 2020
"L'économie contre l'écologie ?" revue Esprit Février 2020
A lire pour tenter de comprendre comment il devrait être possible de réorienter notre société de croissance néo-libérale vers une société de raison solidaire. Oui, une certaine dérive de l'économie, celle qui produit de la spéculation, est nocive à l'avenir de l'humanité car elle créé de la valeur individuelle au détriment du collectif ; et à ce titre est contre l'écologie.
J'ai toujours pensé que la citation apocryphe de Lavoisier : "rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme", s'appliquait également pour les richesses et que la richesse qui se crée quelque part a été "transféré" d'ailleurs. "Un peu" pris à "beaucoup" de personnes devient "beaucoup" pour ce "peu" de personnes. Le problème est que le "beaucoup" est souvent pauvre quand le "peu" est déjà très riche. L'écologie est aujourd'hui (enfin) reconnue comme éminemment politique, c'est à dire qu'il ne s'agit plus de défendre que les oiseaux et les coquelicots (comme l'écologie a pu être caricaturée), mais une certaine relation avec le vivant que nos stratégies de croissance, dans le modèle qui est le nôtre aujourd'hui, détruisent irrémédiablement.
J'ai toujours pensé que la citation apocryphe de Lavoisier : "rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme", s'appliquait également pour les richesses et que la richesse qui se crée quelque part a été "transféré" d'ailleurs. "Un peu" pris à "beaucoup" de personnes devient "beaucoup" pour ce "peu" de personnes. Le problème est que le "beaucoup" est souvent pauvre quand le "peu" est déjà très riche. L'écologie est aujourd'hui (enfin) reconnue comme éminemment politique, c'est à dire qu'il ne s'agit plus de défendre que les oiseaux et les coquelicots (comme l'écologie a pu être caricaturée), mais une certaine relation avec le vivant que nos stratégies de croissance, dans le modèle qui est le nôtre aujourd'hui, détruisent irrémédiablement.
"L'écologie du XXIe siècle - Entretiens avec celles et ceux qui vont changer le monde"
Il faut lire ce recueil d'entretiens d'activistes engagés dans le changement de paradigme de notre société. On en parle beaucoup de ce "changement de paradigme", on s'accorde à penser que c'est une nécessité, on peut en rêver même ; mais eux, ils le font !
Apôtres de la non violence, défenseur de la désobéissance civile, manifestants violents assumés, chacun à leur manière, ils ou elles s'engagent pour mettre un terme à la situation ubuesque d'une société consciente de l'impasse dans laquelle elle se fourvoie si elle poursuit son développement mortifère, mais qui refuse de prendre les dispositions indispensables à sa survie, comme un malade à qui l'on prédirait le stade terminal à moyenne échéance et qui refuserait de subir la thérapie douloureuse qui serait sa seule chance d'éviter une issue fatale.
Apôtres de la non violence, défenseur de la désobéissance civile, manifestants violents assumés, chacun à leur manière, ils ou elles s'engagent pour mettre un terme à la situation ubuesque d'une société consciente de l'impasse dans laquelle elle se fourvoie si elle poursuit son développement mortifère, mais qui refuse de prendre les dispositions indispensables à sa survie, comme un malade à qui l'on prédirait le stade terminal à moyenne échéance et qui refuserait de subir la thérapie douloureuse qui serait sa seule chance d'éviter une issue fatale.
mercredi 4 mars 2020
"La plus précieuse des marchandises - Un conte" de Jean-Claude Grumberg
Les contes, ce n'est pas que pour les enfants ; c'est aussi pour les grands enfants, et celui-ci, tout particulièrement.
L'histoire commence par "il était une fois" et elle s'achève par "l'amour qui fait que la vie continue". Entre ces mots, il y a des convois de wagons qui traversent une forêt, et dans l'un d'entre eux, un père qui tente l'impossible pour sauver un de ses enfants ; une pauvre femme qui habite dans cette forêt, qui découvre ce bébé emmitouflé dans un châle précieux ; un don du ciel pour cette mère sans enfant prête à tout pour le sauver de la barbarie ; il y a aussi des hommes, ils sont peu nombreux, des hommes rugueux dont le cœur n'a pas été totalement contaminé par la haine de l'autre ; et puis un père parvenu à survivre, seul, au cauchemar et dont la force de vivre est entretenue par une infime lueur d'espoir : que son enfant est survécu.
Jean-Claude Grumberg, auteur d'une trentaine de pièces de théâtre, livre dans ce "conte" quelque chose de précieux, d'une beauté profonde, avec des mots simples et une formule apparemment naïve ; un conte pour tous, pour la mémoire, c'est à dire pour la vie.
L'histoire commence par "il était une fois" et elle s'achève par "l'amour qui fait que la vie continue". Entre ces mots, il y a des convois de wagons qui traversent une forêt, et dans l'un d'entre eux, un père qui tente l'impossible pour sauver un de ses enfants ; une pauvre femme qui habite dans cette forêt, qui découvre ce bébé emmitouflé dans un châle précieux ; un don du ciel pour cette mère sans enfant prête à tout pour le sauver de la barbarie ; il y a aussi des hommes, ils sont peu nombreux, des hommes rugueux dont le cœur n'a pas été totalement contaminé par la haine de l'autre ; et puis un père parvenu à survivre, seul, au cauchemar et dont la force de vivre est entretenue par une infime lueur d'espoir : que son enfant est survécu.
Jean-Claude Grumberg, auteur d'une trentaine de pièces de théâtre, livre dans ce "conte" quelque chose de précieux, d'une beauté profonde, avec des mots simples et une formule apparemment naïve ; un conte pour tous, pour la mémoire, c'est à dire pour la vie.
mardi 3 mars 2020
"Le monde selon Amazon" de Benoit Berthelot
3 ans d'enquête par Benoit Berthelot, journaliste à "Capital" (un magazine pas explicitement gauchiste) ont permis d'accoucher d'un livre qui révèle le monde que nous concocte un dénommé Jeff Bezos (un nom prédestiné ?), multimilliardaire de son état, l'homme le plus riche du monde, créateur de la plus formidable machine à cash, mais aussi du plus extraordinaire rouleau compresseur liberticide jamais créés ; extraordinaire car nous l'alimentons tous avec un degré de servitude plus ou moins conscient, liberticide car bientôt, si nous ne réagissons pas, non seulement nous ne disposerons de plus aucune intimité, mais nous n'aurons plus le choix de vivre autrement.
C'est "1984" puissance x que nous propose Amazon : la novlangue est bien rodée, les antennes de Big Brother pénètrent les foyers (plus de 20 millions d'assistants domestiques Amazon Echo ont été vendus dans le monde), la connaissance est formatée, le néo-esclavage est de rigueur dans les gigantesques entrepôts de la compagnie (provisoirement car les robots remplaceront bientôt les manutentionnaires), etc.
Livre à ne manquer sous aucun prétexte car Amazon, lui ou elle, ne vous manquera pas !
C'est "1984" puissance x que nous propose Amazon : la novlangue est bien rodée, les antennes de Big Brother pénètrent les foyers (plus de 20 millions d'assistants domestiques Amazon Echo ont été vendus dans le monde), la connaissance est formatée, le néo-esclavage est de rigueur dans les gigantesques entrepôts de la compagnie (provisoirement car les robots remplaceront bientôt les manutentionnaires), etc.
Livre à ne manquer sous aucun prétexte car Amazon, lui ou elle, ne vous manquera pas !
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