vendredi 20 septembre 2019

"Retour à Birkenau" de Ginette Kolinka

Une libraire m'a conseillé la lecture de ce petite livre. "Il est bien écrit et émouvant". Je confirme. En moins de 100 pages, ce témoignage d'une des dernières rescapées de l'enfer du camp d'extermination de Birkenau - que l'on associe le plus souvent à Auschwitz - nous touche profondément. Il nous plonge dans le personnage d'une jeune femme de 19 ans, arrêtée par dénonciation avec son père, son frère et son neveu, et déportée depuis Avignon jusqu'au fin-fond de la Pologne, dans un wagon de marchandise, avec la complicité de la police de Vichy.
Ses paroles simples reconstituent pour nous ce dixième cercle d'un enfer que Dante n'a pas imaginé : les ordres haineux des gardes, la puanteur, les humiliations, les coups, les parasites, la peur, la faim, chaque jour, chaque heure, chaque seconde ; et puis la résignation aussi, fatale à tous ceux qui ne sont pas revenus des camps.
Résultat de recherche d'images pour "retour à Birkenau"Ginette Kolinka a gardé le silence près de 50 ans, conservant par pudeur le secret de son indicible séjour parmi les morts-vivants, "pas par honte, plutôt pour ne pas embêter les gens."
Et puis il y a eu la Liste de Schindler et Steven Spielberg qui recherchait des témoignages. Elle a fini par accepter de parler, ce qui a permis à ce livre, précieux, d'exister. Un livre dont la lecture devrait être encouragée par le Ministère de l'Education Nationale car nous serions stupides et coupables de penser que notre monde, demain, ne peut pas à nouveau basculer dans une telle perte d'humanité.
"La première fois que je me suis réveillée à Birkenau, j'ai vu des tas de chiffons aux coins de la baraque. C'étaient les mortes de la nuit."
"La dernière fois que je suis retournée à Birkenau, c'était au printemps. (...) C'était beau. Comment puis-je employer un mot pareil ? (...)Au loin j'ai vu une silhouette qui remontait le long de la prairie. D'abord, je n'y ai pas cru, je me suis dit "ce n'est pas possible", mais c'était bien ça : une joggeuse. Elle faisait son footing ici. Sur cette terre grasse et méconnaissable qui avait vu tant de morts, dans cet air qui sentait le petit matin frais, la rosée. Elle courait tranquillement. J'en ai eu le souffle coupé. J'ai eu envie d'hurler, de lui crier : "tu es folle ?" L'étais-je moi. Il ne faut pas retourner à Birkenau au printemps. Quand les enfants jouent sur leur toboggan dans les jardins des petites maisons longeant l'ancienne voie ferrée qui menait au camp et à son funeste arrêt, la Judenrampe."

Je crois qu'il faut aller à Birkenau comme aussi à Buchenwald. Les fantômes des victimes et de leurs bourreaux peuplent toujours les baraques désertes ou les ruines des fours crématoires que les nazis avaient fait exploser pour tenter d'effacer toute preuve de leurs crimes. C'est la même chose à la prison S-21 à Phnom Penh : les fantômes sont là ; ils ne peuvent mourir, ils ne doivent pas mourir.

mercredi 18 septembre 2019

"Soif" d'Amélie Nothomb. (Ça pourrait être pire)

Résultat de recherche d'images pour "soif amélie nothomb critique"J'ai retenu le numéro d'une page, la 84. Le contexte : le Christ (et oui, vous allez être dans sa peau, son écorce et sa tête tout au long des 151 pages et demie du roman) va être hissé sur la croix. On vient de Lui retirer sa robe de lin. Il est en pagne. Après une réflexion profonde sur la nudité qui devrait réjouir les naturistes  : "Tant qu'on est habillé on est quelqu'un", Il poursuit son cheminement intellectuel (est-ce une métaphore ? oui je demande ça car l'usage de ce mot est tellement fréquent dans le livre qu'on a l'impression qu'Amélie Nothomb vient de le découvrir) : "On t'a laissé ton pagne, ça pourrait être pire". Et là c'est l'auteure qui nous balance un aphorisme puissant : "La condition humaine se résume ainsi : ça pourrait être pire." J'aurais pu retenir d'autres pages, et peut-être même toutes les pages, tant ce type d'aphorisme est multiplié (comme les petits pains ?). Mais le "ça pourrait être pire" me touche particulièrement car je l'utilise fréquemment : au téléphone quand quelqu'un me demande si ça va, le "Ça pourrait être pire !" plait beaucoup. Mais surtout dans sa déclinaison au conditionnel passé : "ça aurait pu être pire". C'est la réponse que je fais au maître d'hôtel qui vient me demander à la fin d'un repas plutôt agréable si tout s'est bien passé : "Ça aurait pu être pire". Allez, une anecdote pour se détendre : j'ai eu jadis une petite frayeur quand, au terme d'un dîner d'anniversaire chez Guy Savoy, alors que nous nous apprêtions à sortir, l'immense cuisinier nous faisant l'insigne hauteur de nous attendre à la porte pour nous saluer, je lui répondis, à son interrogation concernant notre repas : "Ça aurait pu être pire" ; je l'ai vu pâlir et, me rendant compte de ma bévue, je lui adressais dans la seconde un sourire, ajoutant : "c'était merveilleux". Ouf ! Cette formule est à manier avec prudence. J'aurais pu susciter une attaque cardiaque chez l'un de nos meilleurs cuisiniers ! Et enterrer en conséquence, et le chef, et la formule !
J'avais aimé "Stupeur et tremblements". J'avais tuer le temps d'un aller en TGV entre Paris et Lyon avec "Métaphysique des tubes". Et alors je m'étais dit qu'Amélie Nothomb ce n'était pas vraiment mon truc (ou alors pour tuer le temps entre Paris et Lyon, et maintenant Paris et Bordeaux). Mais j'avais préféré laisser le temps là où il était et surtout évité de le tuer ou de le perdre. Amélie dirait peut-être : "Le temps, ce bien qui nous est si précieux. Je hais les expressions "tuer le temps" ou "perdre son temps". Est-on capable de le tuer ou de le perdre ? Nous appartient-il pour que nous ayons l'outrecuidance (Amélie aime distiller quelques mots savants) d'imaginer un quelconque pouvoir sur lui ? Blablabla ..." mais elle est capable de dire (page 132) :" Ce qui disparaît quand on meurt, c'est le temps. Étrangement, il faut du temps pour s'en apercevoir."
Pourquoi ai-je acquis "Soif" ? Bernard Pivot, que je prends pour un lecteur recommandable, en a fait l'éloge (un peu limite en tant que président du Goncourt, mais enfin ...) et puis un autre commentateur assurant que c'était du Nothomb exceptionnel.
Bon, comme je ne suis pas méchant, je vais dire que je suis passé à côté de "Soif", que pour user de la métaphore, les 152 pages ne m'ont pas réellement désaltéré et que je suis resté sur ... ma faim.



dimanche 15 septembre 2019

"Avant que j'oublie" d'Anne Pauly


Résultat de recherche d'images pour "avant que j'oublie anne pauly"Dans ce premier roman, Anne Pauly nous décrit sa relation obsédante faite d'amour (beaucoup) et de haine (un peu) avec un être complexe à la fois attachant et antipathique, tendre et brutal, généreux et égoïste, fort et faible, héroïque et pathétique : son père. Comme faire son deuil d'un tel personnage sans se perdre soi-même quand, au moment de l'inventaire de l'univers hétéroclite du défunt, les souvenirs, ceux qui font corps avec vous-même, vous submergent ? C'est alors que dans tout ce fatras de choses accumulées au fil d'une vie ballottée, malmenée, par l'alcoolisme, le mysticisme, les maniaqueries et la maladie, Jeanne, un amour de jeunesse de son père, apparaît comme une ultime rédemption.


Un livre troublant, beau comme un ciel d'orage, servi par un style remarquable, qui fait partie de la sélection du Prix Goncourt 2019 et auquel on ne peut souhaiter que le meilleur.
Résultat de recherche d'images pour "avant que j'oublie anne pauly"

mardi 10 septembre 2019

Balade dans le Madiran

La région de Madiran qui donne des vins rouges puissants, mais aussi des blancs délicats dont le moelleux Jurançon, est accorte, vallonnée, rurale, ponctuée de belles petites surprises comme l'église romane (XIème) de St Jean Baptiste de Mascaraas avec son portail qui présente de très beaux chapiteaux historiés et à bestiaires fantastiques, une inscriptions énigmatique su la clé de la porte, des motifs floraux originaux sur le tympan et quatre archivoltes alternant des motifs géométriques et floraux délicats. L'intérieur de style baroque-naïf est peint de couleurs vives (la voûte de la nef est magnifique) et abrite plusieurs statues pleines de charmes, à la fois modestes et très expressives dans leurs factures. Des vitraux composés d'un assemblage régulier  de carrés et de rectangles aux couleurs vives rappellent peut-être l'appareillage des murs composé de pierres alliant le rouge, le sable clair et le brun.



L'église de Madiran elle-même, dans un tout autre style, résolument roman, donne à voir un chœur aux chapiteaux remarquables, une crypte rappelant celle de San Zaccharia à Venise (sans l'eau et en plus rustique) et une tour puissante, vestige probable d'une enceinte médiévale et partie du prieuré tout proche.


Deux visites de propriétés parmi les plus recommandées (et recommandables), Château Viella et Château Bouscassé qui conjuguent chacune le calme, le luxe et la volupté à leur manière et dans lesquels nous avons reçu un accueil très sympathique, nous ont allégés de quelques centaines d'euros mais enrichis de plusieurs dizaines de bouteilles ; à oublier pour certaines quelques années (aurons-nous cette patience ?).



Sur la route nous avons croisé un poilu encadré par quatre obus désormais inoffensifs, peints dans un bleu azur pacifique (de quoi faire oublier les presque 20 millions de morts de la "Grande guerre" ?).