vendredi 24 mars 2017

L'écriture ou la vie de Jorge Semprun

Je crois que c'est important de lire "L'écriture ou la vie". C'est important de lire ce récit qui n'est pas simplement celui d'un jeune homme de 20 ans, déporté à Buchenwald, à quelques kilomètres de Weimar, la patrie de Goethe et de Shiller, mais le regard que porte un homme sur une vie qui ne cesse d'être une interrogation sur la mort, la mémoire du mal absolu. Semprun a choisi d'être écrivain, mais il mettra 50 ans avant d'écrire sur les latrines infectes, "lieu de libertés multiples dans le plus lointain cercle de l'enfer", sur les derniers instants de Halbwachs, cet éminent philosophe et sociologue, décomposé par une dysenterie avilissante, sur l'absence des oiseaux chassés par l'odeur du four crématoire : "fade, écœurante... l'odeur de chair brûlée sur la colline de l'Ettersberg..." ; cette même colline arpentée par Goethe. 
Aujourd'hui, dans un monde ouvert à tous les possibles où la pensée est souvent bafouée, accusée sans mesure de complicité avec les nantis, où la barbarie recouvre une légitimité, il est bon (vital) de s'interroger sur le sens de notre passage sur cette terre ; et des livres comme "L'écriture ou la vie" constituent les béquilles qu'il nous faut pour tenter d'y voir clair et ne pas oublier car "Un jour prochain, pourtant, personne n'aura plus le souvenir réel de cette odeur ; ce ne sera plus qu'une phrase, une référence littéraire, une idée d'odeur. Inodore, donc."

jeudi 23 mars 2017

Jules Lavirotte (1864-1929)

 La Fondation Taylor, sis, 1, rue La Bruyère, Paris 9ème, est à l'initiative d'une exposition sur l'oeuvre de Jules Lavirotte, architecte du Modern Style (autrement appelé "Art Nouveau) et contemporain d'Hector Guimard qui l'éclipsa quelque peu sur le plan de la notoriété.
Il n'est pas inutile de s'intéresser à cette courte période architecturale (1895-1905 environ) à une époque où l'on célèbre la représentation, où un courant que l'on pourrait dénommer "le nouveau baroque" a cessé d'être anecdotique. Car aujourd'hui, les incantations d'un Loos - "L'ornement est un crime" - ou celles d'un Mies - "Less is more" - sont plutôt battues en brèche par les laudateurs du récit pictural, du maniérisme, ou de l'écriture funambulesque.
Mais revenons à Jules Lavirotte, dont la vie ne fut pas précisément un long fleuve tranquille, même s'il connut quelques années de belle prospérité. Il a 18 ans, est en classe secondaire, quand il tombe amoureux de la femme du directeur de l'établissement qui a 7 ans de plus que lui. Sa famille - des notaires conservateurs (pléonasme ?) lyonnais - s'oppose à cet idylle scandaleuse (pour l'époque). Le jeune Jules est éloigné à Paris où il entre aux Beaux-Arts pour y suivre l'enseignement très académique de l'architecture. A 31 ans, il se désespère de sa condition, ce qu'il traduira dans une lettre : "L'architecture est une carrière idiote ! Sous tous les points de vue ; arrivé à 31 ans sans avoir gagné un sous et avec toutes les chances de ne pouvoir en gagner ensuite !!! Enfin qui vivra verra."
Saint Thomas, patron des architectes, du entendre ses jérémiades, car un an plus tard, il obtient sa première commande d'une aristocrate fortunée qui lui confie la réalisation d'un palais en Tunisie.
Un peu plus tard; c'est un de ses cousins germains qui lui demande de faire les plans d'une villa dans les environs de Lyon, puis le jeune couple ayant bien intégré l'importance des réseaux - et en particulier ceux de l'aristocratie mondaine parisienne -, les commandes d'hôtels particuliers et d'immeubles de rapport se succèdent, tous situés dans les beaux quartiers (avenue Rapp, boulevard Berthier, rue de Grenelle, etc.). C'est certainement au 29, de l'avenue Rapp que tout le talent expressionniste de Lavirotte a pu s'exprimer dans une débauche de courbes sensuelles et suggestives, rehaussées par les grès du céramiste Alexandre Bigot.

samedi 18 mars 2017

Expérimenter, Inventer, Innover, Imaginer, Réinventer : What Else ?

(Chronique Février-Mars 2017 ArchiSTORM)
Il faudrait être aveugle et sourd pour avoir échappé à cette « épidémie », ainsi que Margaux Darrieus[1] la dénomme dans une récente chronique ; cette fièvre qui s’est emparée du microcosme francilien depuis le lancement de « Réinventer Paris » en novembre 2014, et agite depuis toute consultation en « offre globale » et autres « AMI[2] ».
Mais cette injonction à l’innovation tous azimuts (« les axes d’innovation pourront être techniques, technologiques, architecturaux et constructifs, sociaux, serviciels et programmatiques », affirme Jean-Louis Missika[3]) n’aurait pas étonné le grand Oscar Niemeyer qui déclarait que « l’architecture, c’est de l’invention ».
Pas davantage du côté du regretté Peter Rice pour lequel « Toute solution implique une pensée originale, une contribution spécifique qu’il faut bien appeler une innovation. Le résultat n’a pas besoin d’être spectaculaire : il suffit que ce soit inédit ou même seulement original.[4] »

Tout un chacun pris dans l’urgence du quotidien n’a pas forcément le loisir d’avoir la hauteur de vue de ces deux figures du monde de la conception, et il est bon que nos édiles, dont il est d’usage aujourd’hui de s’interroger sur l’utilité de leurs fonctions, soient les initiateurs de ce remue-ménage – pour ne pas dire, remue-méninges. Car, comme l’affirme Philippe Aghion, Professeur au Collège de France[5], « les entreprises, comme les gens ont tendance à innover mais dans leur domaine d'expertise, dans un phénomène de dépendance au passé qui nécessite une intervention de l'Etat. »

Le projet : une communauté d’intérêts partagés
Ayant eu moi-même l’occasion de participer à un certain nombre de ces AMI(s) et la chance d’avoir pu poursuivre dans l’épreuve du concours, j’aimerais apporter le regard d’un représentant du monde de l’ingénierie et de la technique vis-à-vis de ces consultations d’un nouveau style.
Je ne dois pas cacher que je suis d’ordinaire plutôt partisan du dialogue intime entre l’architecte et l’ingénieur, tout du moins jusqu’à un certain stade de la conception ; on va dire, jusqu’à l’APD compris, au minimum. Pour savoir ce que les services techniques et méthodes d’une entreprise peuvent apporter au projet, je suis en revanche favorable à l’élargissement de ce dialogue avec les constructeurs et les industriels dès que la faisabilité économique des scénarios de conception l’exige. J’ajouterais : sous réserve que ce dialogue soit équilibré et que l’ensemble des acteurs soit mobilisé pour la réussite du projet entendu au sens de « communauté d’intérêts partagés ». Je voudrais être convaincu que l'évolution de nos métiers, sous les aiguillons du BIM et de la responsabilité sociétale liée au développement durable, conduira les générations futures à œuvrer dans cette direction.

vendredi 17 mars 2017

Kunstmuseum de Bâle


Le musée à l'architecture massive construit dans les années 30 par Rudolf Christ et Paul Bonatz s'est vu adjoindre en 2016 un tout nouveau bâtiment que l'agence bâloise Christ & Gantenbein a conçu comme "le petit frère contemporain" du bâtiment d'origine. C'est en quelque sorte une affaire de filiation puisque Rudolf Christ n'est autre que le grand-oncle d'Emmanuel Christ.
La jeune agence s'est payée au passage le luxe de battre plusieurs "starchitectes" dont Rem Koolhaas, Zaha Hadid, Peter Zumthor et Tadao Ando, tous les quatre Pritzker Price.

On peut accéder aux 3000m2 d'espace d'exposition supplémentaire qu'offre l'extension, soit directement depuis l'extérieur, soit depuis le bâtiment principal, en passant par un vaste corridor souterrain qui débouche dans une véritable nef comme sculptée dans la masse, avec son escalier majestueux en marbre gris-vert de Carrare, et des murs immenses traités dans une matérialité que je qualifierais de "primitive" pour exprimer toute la puissance qui s'en dégage. Les architectes en parle comme d'une "figure spatiale expressive et libre". Libre ? Ce n'est pas leur faire injure que d'affirmer qu'il s'agit sans doute d'une liberté contrôlée, mesurée, dessinée, conférant à cette oeuvre dans l'oeuvre une présence et une force rare.
Concernant l'extérieur, il est difficile de faire plus sobre - ce qui ne veut pas dire indigent. Et si la brique teintée grise constitue le revêtement uniforme des façades, ce "matériau du pauvre" prouve une nouvelle fois sa capacité à faire sens dans le contexte précis de cette confrontation urbaine à près d'un siècle de distance.
L'ensemble muséal recèle des petits trésors et, en particulier, deux remarquables Picasso - "L'Arlequin assis" et "Les deux frères", mais aussi des Van Gogh, Cézanne, Munch et autres Chagall, et de nombreux Hodler, "peintre de l'impossible*" découvert lors de l'exposition de 2007-2008 au Grand-Palais.
* Exposition "Hodler, Monet, Munch - Peindre l'impossible" Musée Marmottan (jusqu'en janvier 2017)

jeudi 9 mars 2017

Paris-Haussmann : what else ?

Remarquable conférence au Pavillon de l'Arsenal ce mercredi 8 mars des deux protagonistes de l'exposition présentée actuellement dans ces mêmes lieux sur l'immeuble haussmannien comme source d'inspiration pour les problématiques de la conception urbaine et architecturale d'aujourd'hui.
Umberto Napolitano, l'architecte, Franck Boutté, l'ingénieur, ont prouvé en deux heures intenses, qu'il existait une vraie complémentarité entre l'approche analytique et scientifique, et la démarche de création et de fabrication de la ville ; qu'il y avait même une impérieuse nécessité (quasi ontologique ?) à réaliser cette exégèse pour, in fine, en extraire l'essentiel ; ce qui est le contraire de l'approximatif qui caractérise trop de discours et les rabaissent au statut de bavardages. Et qu'est-ce que l'essentiel ? Cette leçon que le modèle haussmannien, à l'heure de la recherche de densité sans la compacité, de la réversibilité d'usage, de la mutualisation et de l'aménité, des économies d'énergie, pouvait constituer , après avoir été fortement décrié et longtemps humilié par le "façadisme", un référentiel pertinent.
Umberto Napolitano
Franck Boutté
Il ne reste plus alors à la modernité que de le revisiter ... avec intelligence.

mercredi 1 mars 2017

RCR, Prix PRITZKER 2017

On s'y attendait depuis pas mal de temps, et voilà, enfin !, RCR au firmament de l'architecture !
Je renvoie mes lecteurs à un article paru dans ce blog en octobre 2014, en suivant ce lien :

 http://pergame-shelter.blogspot.fr/2014/10/musee-soulages-rodez-la-cuisine.html