Je crois que c'est important de lire "L'écriture ou la vie". C'est important de lire ce récit qui n'est pas simplement celui d'un jeune homme de 20 ans, déporté à Buchenwald, à quelques kilomètres de Weimar, la patrie de Goethe et de Shiller, mais le regard que porte un homme sur une vie qui ne cesse d'être une interrogation sur la mort, la mémoire du mal absolu. Semprun a choisi d'être écrivain, mais il mettra 50 ans avant d'écrire sur les latrines infectes, "lieu de libertés multiples dans le plus lointain cercle de l'enfer", sur les derniers instants de Halbwachs, cet éminent philosophe et sociologue, décomposé par une dysenterie avilissante, sur l'absence des oiseaux chassés par l'odeur du four crématoire : "fade, écœurante... l'odeur de chair brûlée sur la colline de l'Ettersberg..." ; cette même colline arpentée par Goethe.
Aujourd'hui, dans un monde ouvert à tous les possibles où la pensée est souvent bafouée, accusée sans mesure de complicité avec les nantis, où la barbarie recouvre une légitimité, il est bon (vital) de s'interroger sur le sens de notre passage sur cette terre ; et des livres comme "L'écriture ou la vie" constituent les béquilles qu'il nous faut pour tenter d'y voir clair et ne pas oublier car "Un jour prochain, pourtant, personne n'aura plus le souvenir réel de cette odeur ; ce ne sera plus qu'une phrase, une référence littéraire, une idée d'odeur. Inodore, donc."