Il n'est pas inutile de s'intéresser à cette courte période architecturale (1895-1905 environ) à une époque où l'on célèbre la représentation, où un courant que l'on pourrait dénommer "le nouveau baroque" a cessé d'être anecdotique. Car aujourd'hui, les incantations d'un Loos - "L'ornement est un crime" - ou celles d'un Mies - "Less is more" - sont plutôt battues en brèche par les laudateurs du récit pictural, du maniérisme, ou de l'écriture funambulesque.
Mais revenons à Jules Lavirotte, dont la vie ne fut pas précisément un long fleuve tranquille, même s'il connut quelques années de belle prospérité. Il a 18 ans, est en classe secondaire, quand il tombe amoureux de la femme du directeur de l'établissement qui a 7 ans de plus que lui. Sa famille - des notaires conservateurs (pléonasme ?) lyonnais - s'oppose à cet idylle scandaleuse (pour l'époque). Le jeune Jules est éloigné à Paris où il entre aux Beaux-Arts pour y suivre l'enseignement très académique de l'architecture. A 31 ans, il se désespère de sa condition, ce qu'il traduira dans une lettre : "L'architecture est une carrière idiote ! Sous tous les points de vue ; arrivé à 31 ans sans avoir gagné un sous et avec toutes les chances de ne pouvoir en gagner ensuite !!! Enfin qui vivra verra."

Un peu plus tard; c'est un de ses cousins germains qui lui demande de faire les plans d'une villa dans les environs de Lyon, puis le jeune couple ayant bien intégré l'importance des réseaux - et en particulier ceux de l'aristocratie mondaine parisienne -, les commandes d'hôtels particuliers et d'immeubles de rapport se succèdent, tous situés dans les beaux quartiers (avenue Rapp, boulevard Berthier, rue de Grenelle, etc.). C'est certainement au 29, de l'avenue Rapp que tout le talent expressionniste de Lavirotte a pu s'exprimer dans une débauche de courbes sensuelles et suggestives, rehaussées par les grès du céramiste Alexandre Bigot.
Ce serait injuste de cantonner sa production à des immeubles à "la beauté terrifiante et comestible" comme Dali se plaisait à qualifier le Modern Style, car Lavirotte conçut également des maisons modestes, un hôtel thermal et fut l'architecte originel du Pathé-Wepler, Place Clichy.
Un probable excès d'audace ou de gourmandise dans des investissements immobiliers conduisit le couple Lavirotte à une fin de vie moins fastueuse, et plutôt pénible sur le plan professionnel.

Le 7 janvier 1911, M. Brincourt écrit dans "L'architecture" : "Pour certains, le seul nom de Lavirotte est un épouvantail et fait lever les bras au ciel. Oh ! nous connaissons de lui des œuvres quelque peu troublantes et révolutionnaires, où le bon sens est parfois un peu heurté, où les théories d'école sont violemment bousculées, où le désir du nouveau, exaspéré par une imagination impétueuse, conduit parfois à l'excentricité. mais certaines erreurs ne sont-elles pas instructives, à condition d'en sortir, et ne sont-elles pas préférables aux platitudes d'ennuyeuse banalité ?"
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