mardi 31 janvier 2017

Quoi de neuf ? L'utopie !

« Je pense que la période 1989/2020 représentera un tournant historique au cours duquel, s’il n’y a pas de résistance, on détruira deux à trois siècles de progrès social, intellectuel et culturel. (…) L’obscurantisme est revenu mais cette fois, nous avons affaire à des gens qui se recommandent de la raison. Là devant, on ne peut pas se taire. » Pierre Bourdieu

Il y a deux catégories de fanatiques : les nihilistes psychotiques qui détruisent par pur plaisir et les autres (les idéologues de tout poil) qui veulent le bonheur de l’humanité à tout prix – « Nous mènerons d’une main de fer l’humanité vers le bonheur », comme cela était inscrit sur la porte des camps des Solovski. A l'exception de la première catégorie à laquelle il convient d'ajouter les masochistes et les dépressifs pathologiques, tous les hommes qui peuplent cette planète, quel que soit la couleur de leur peau, l'identité de leurs dieux ou leur statut social, tous aspirent avant tout au Bonheur, dans l'exercice plus ou moins complexe et toujours à durée limitée de leur passage sur Terre. La difficulté réside dans le fait que, dans cette aspiration à la félicité, chacun y pousse ses priorités, avec les conséquences de l'aphorisme bien connu comme quoi «le bonheur des uns fait le malheur des autres ». 
Il faudrait donc s'accorder sur une définition du bonheur ; et plutôt que d’inventer un Plus Petit Commun Multiple (PPCM) qui laisserait un champ immense aux PGCD (Plus Grand Commun Diviseur), ayons l’ambition d’un PGCM (Plus Grand Commun Multiple). Pour y parvenir, peut-être faudrait-il raisonner par l'absurde. Ainsi, interrogeons nos contemporains sur ce qui peut ou non nous conduire au bonheur : un monde fondé exclusivement sur le profit ? Une société égoïste du chacun pour soi ? Des rapports entre citoyens basés sur la  violence et la puissance ? Une priorité pour des budgets affectés à la production d’armes plutôt qu’à la culture et à l’éducation ? Une indifférence à la dignité des individus ? Des stratégies de développement qui conduisent à hypothéquer l’avenir et dont les conséquences financières à terme sont incommensurablement désastreuses ? etc. 
Il est probable qu’une majorité d’entre eux (d’entre nous) se prononce en faveur d’un rejet clair de ce sinistre tableau ; et donc, en faveur de son contraire, c’est-à-dire en faveur de ce qu’aucun dénonce aujourd’hui comme « utopique » et « irréaliste ».



En janvier 1999, dans une interview recueillie par Isabelle Rüf pour l’émission « Fin de siècle », Pierre Bourdieu disait ceci : « Je pense que la période 1989/2020 représentera un tournant historique au cours duquel, s’il n’y a pas de résistance, on détruira deux à trois siècles de progrès social, intellectuel et culturel. (…) L’obscurantisme est revenu mais cette fois, nous avons affaire à des gens qui se recommandent de la raison. Là devant, on ne peut pas se taire. »

samedi 28 janvier 2017

Les Soft-skills sont-elles solubles dans la formation d'ingénieur ?



Dernière chronique en date parue dans le N° d'archiSTORM de janvier-février 2017, dont le texte (extraits) est reproduit ci-dessous. Les illustrations peuvent être différentes.

Les soft skills sont-elles solubles dans la formation des ingénieurs ?
Texte et Photos : Pergame

Non, les soft skills ne sont pas un nouveau cocktail tendance ! Encore que... Car on peut trouver de tout sous cet anglicisme, depuis les recettes de cuisines permettant au futur manager de cumuler les qualités de « outoftheboxeur », « synergisant », « révolueur » ou « éconoclaste[1] », jusqu’aux démarches fondées sur le savoir-être, l’apprentissage aux défis des situations professionnelles de demain caractérisées par « l’incertitude, la complexité et l’innovation[2] ».
Halles Alstom. Ile de Nantes
Des cabinets spécialisés, mais également les programmes d’enseignement de certaines grandes écoles d’ingénieurs, dispensent très sérieusement des formations qui, en complément des matières techniques traditionnelles, mélangent théorie et pratiques sensorielles ou émotionnelles autour de concepts tels que l’empathie, l’enthousiasme, la bienveillance, voire l’éthique[3].

 Les soft skills, contrairement aux idées reçues, ne s’opposent pas aux sciences dites « dures », mesurables, quantifiables, objectives, et plutôt associées aux environnements scientifiques au sein desquels évolue l’ingénieur ; celui-là même dont on regrette trop souvent le manque d’intelligence transversale, de curiosité, de capacité à communiquer, de « culture », ainsi qu’une certaine inaptitude à travailler en équipe[4].
Halles Alstom. Ile de Nantes
Rue de Lille, un matin de 2015
Eliasson à Versailles (2016)

L’intégration de ces « compétences douces » à un corpus de connaissances scientifiques a pour objectif, non d’ajouter encore une couche au « nous devons savoir » caractéristique de la formation des ingénieurs, mais d’acquérir une réelle autonomie, le sens des responsabilités et les qualités de communication indispensables au bon exercice de leurs fonctions futures.


L'architecte américaine Jeanne GANG au TEDWomen 2016

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TEDWomen est une manifestation sur trois jours qui enchaîne les conférences et les débats sur le thème de la capacité des femmes à être des créatrices et des facteurs de changement. Si vous voulez en savoir plus sur TEDWomen, suivez ce lien : 

Jeanne Gang est intervenue sur le thème des bâtiments qui conjuguaient la nature et la ville. Sa prestation (exceptionnelle) en suivant ce lien : 

vendredi 27 janvier 2017

Pourquoi Trump ?

Avec un sous-titre "Comprendre les fractures de l'Amérique", cet opuscule placé sous la direction d'Eric Fottorino (ex directeur du "Monde") remplit parfaitement son objectif de donner au lecteur les clés de la compréhension de cet événement insensé qui a vu s'installer (se vautrer ?) dans le fauteuil de la Maison Blanche, le 20 janvier dernier, celui qui restera dans l'histoire comme le 45ème Président des Etats-Unis - en espérant que la postérité ne retiendra pas d'autres plus sinistres performances de cet individu !
Alors : pourquoi Trump ? Bien entendu, la raison (est-ce le bon terme ?) est le fruit d'une conjugaison de facteurs où l'on trouve pèle-mêle : la révolte des "Blancs en colère", laissés pour compte d'un développement qui ne profite qu'à une minorité déjà nantie et plutôt instruite ; la contamination des cerveaux par une information diffusée via les réseaux sociaux et les émissions de télé-réalité dont "Le Donald" est le chantre ; le travail honteux des lobbies conservateurs et corrupteurs qui s'opposent à tout projet de réforme solidaire et qui manipulent l'opinion ; un système électoral confus qui donne aux 7 pays les moins peuplés qui représentent à peine 5,5 millions d'habitants, autant de représentants au Sénat que les 7 les plus peuplés avec 145 millions d'habitants ! ; la désaffection d'une proportion élevée d'américains vis-à-vis de la politique à laquelle ils ne reconnaissent plus aucune légitimité ; etc.
Tous ces facteurs se développent sur le terreau de la ségrégation et du racisme, de la vulgarité et de la "post-vérité", qui sont les outils favoris d'un milliardaire populiste, misogyne et xénophobe.
Après la question "Pourquoi Trump ?", celle qui vient immédiatement à l'esprit est : "Et pourquoi pas un ersatz du "Donald" en France ou ailleurs en Europe ?"
Réveillons-nous !


mercredi 25 janvier 2017

Le Grand Paris

Le titre du roman d'Aurélien Bellanger, pour quiconque porte un regard autre que distrait sur les questions relevant de l'urbanisme et de l'architecture en général, et du "Grand Paris" en particulier, résonne comme un appel irrémissible, une injonction, à son acquisition ; laquelle fut accomplie sans délai, aiguillonnée par "Le Moniteur" qui lui consacrait une page entière, et la perspective d'une rencontre prochaine avec l'auteur, une première fois à la remarquable librairie "Les Mots et les Choses", domiciliée à Billancourt, et une seconde à la Cité de l'Architecture. 
475 pages plus tard, nos attentes se sont-elles muées en une épiphanie à l'hybris recommandable ? Un doute subsiste lié à trois choses : 
- une relative déception de ne pas avoir été conduit pas à pas, comme dans "La Grande Arche" de Laurence Cossé, dans la fabrication de ce projet à la lumière des enjeux urbains, architecturaux et techniques qu'il mobilise, plus près des artisans - architectes et ingénieurs - de sa concrétisation ; 
- une écriture inutilement complexe par endroit qui, pour riche qu'elle est reste contaminée par un vocabulaire emphatique, et fait penser in fine à ces menus-dégustation d'une sophistication extrême au milieu desquels votre imaginaire se contenterait avec félicité d'un plat simplement roboratif ;
- une troisième partie aux tendances "houellbecquiennes" qui s'égare aux confins de l'aphélie dans les méandres probablement machinelien de considérations oiseuses sur l'islam.
Et pourtant, pourtant, ce livre est attachant. Il y a tout à la fois des fulgurances, de l'humour (les entretiens avec le "Prince"), incontestablement une langue riche (trop de notes ?), un détachement critique (les écoles de commerce, la vacuité du monde politique), de la tendresse mélangé à de la solitude.
Aurélien Bellanger prend le risque de s'attaquer à la forteresse "architecture et urbanisme" qui, en France, tolère peu d’immixtion dans son monde auto-proclamé "affaire d'experts", tout en pleurnichant sur le peu de considérations dont lui témoigne les "non-architectes" (terme ségrégationniste qu'un ténor dudit monde m'avait attribué jadis, lors d'un échange, oubliant certainement la parole de son mentor, Le Corbusier : "L'architecture c'est une tournure d'esprit, et non un métier"). 
Tout ceci compose un cocktail brillant dont il est difficile de s'extraire malgré les exercices obligés d'exégèse auxquels le lecteur doit se soumettre.
* en italique quelques termes savants du vocabulaire d'Aurélien Bellanger

lundi 16 janvier 2017

L'autre qu'on adorait


Avec un titre qui fait référence à l'immense chanson de Léo Ferré, "Avec le temps", Catherine Cusset déroule à la seconde personne du singulier la vie de Thomas Bulot, jeune homme surdoué - précoce dit-on aujourd'hui -, victime jusqu'au tragique de son incapacité pathologique à suivre dans la vie une trajectoire ordinaire. Le suicide au bout de ce qui ressemble à la tentative de survivre d'un naufragé dont l'agonie connait quelques répits momentanés par une succession de faux espoirs. Ce n'est pas trahir le livre que d'évoquer cette issue dramatique puisque, dès la troisième page, le lecteur découvre en même temps que son amie, le cadavre de Thomas, la tête enveloppée dans un sac plastique afin de ne laisser aucune chance à la vie.
Amoureux de la littérature en générale, et de Proust en particulier, Thomas ressemble à l'auteur de "La Recherche", "esclave de (ses) mauvaises habitudes", mais ne disposant pas de la liberté du dandy aristocrate et fortuné auquel il consacre une thèse qu'il ne parviendra jamais à faire publier. Car Thomas est écartelé entre ses désirs d'une vie flamboyante autant charnelle qu'intellectuelle, entre la France et les Etats-Unis, et sa procrastination maladive qui le ruine chaque jour davantage. Il est définitivement le "Prince des nuées" de Baudelaire avec "ses ailes de géants (qui) l'empêchent de marcher."
Le fantôme de Nina Simone - autre suicidaire - hante régulièrement les pages du roman, et c'est ivre de champagne et des Variations de Goldberg que Thomas "atteint la simplicité qui permet d'accomplir le geste."
"L'autre qu'on adorait" n'est pas précisément un livre "optimiste", mais il permet de comprendre la détresse qui peut s'emparer de personnages comme Thomas. Comment les aider ? Comment leur faire comprendre qu' "il faut qu'il parvienne à accueillir la douleur pour la transformer en création" ? Comment leur faire accepter de vivre en étant "à la fois énergique, fort et fragile" ?



jeudi 5 janvier 2017

"Petit pays" de Gaël Faye


Petit roman mais grandes émotions ! Gaël Faye dépeint les "dégâts collatéraux" du génocide rwandais dans une famille mixte - le père est français et la mère rwandaise - vivant au Burundi, et la montée de la violence dans les faubourgs de Bujumbura. Une violence terrible, destructrice, bestiale qu'on aurait tort d'imaginer réservée à des contrées "exotiques". Page après page, le lecteur ressent l'inquiétude du personnage principal, un jeune garçon, traqué par la haine et la vengeance ; traque qui l'obligera à perpétrer, piégé, le plus atroce des supplices sur un innocent. C'est en déraciné qu'il échoue en France, et c'est en étranger qu'il revient au Burundi pour y faire en final une rencontre aussi inattendue que terrifiante.
"Petit pays" n'est pas un roman historique qui se complérait à égrainer les atrocités d'un génocide. C'est un livre noir qui nous plonge dans une tragédie avec, tour à tour, les accents de la naïveté de l'enfant et son revers indissociable, la cruauté, que la folie des adultes porte à son paroxysme.