samedi 27 décembre 2014

"Cien años de soledad" de Gabriel Garcia Marquez



Quel livre ! Une débauche luxueuse de littérature ! Cent ans de la vie de la famille Buendia et du village de Macondo que José Arcadio Buendia devait fonder "bien des années auparavant" ou "ce matin déjà lointain..."
C'est le livre de mille choses ; celui de la solitude bien sûr qui revient comme une rengaine inexorablement liée à la destinée humaine : les 17 fils d'Auréliano Buendia qui arborent "cet air de solitude qui aurait suffi à les faire identifier en n'importe quel endroit du globe." Rémédios la Belle qui "continua d'errer dans le désert de la solitude",  Auréliano Buendia qui "songeait à tous ces changements et, pour la première fois dans le cours silencieux de ces années de solitude...", "la solitude de Rébecca que l'on croyait morte et qui s'était emmurée dans sa maison avec sa servante...", et enfin cette citation : "le secret d'une bonne vieillesse n'était rien d'autre que la conclusion d'un pacte honorable avec la solitude."
La question de l'engagement, l'engagement total, le révolutionnaire, qui dépasse l'homme et le rend inhumain; ce colonel Auréliano Buendia, le héros, qui devient, par la folie de la conquête du pouvoir, "un inconnu d'un autre monde" qui laisse condamner à mort son ami, le général Moncada.
Le va et vient entre les époques rythmé par ces expressions si caractéristiques de "Cent ans de solitude" : "depuis ce jour lointain", "bien des années auparavant", "le jour où il le vit pour la première fois, (...) ce matin déjà lointain", "bien des années plus tard", "et elle continuerait d'y penser chaque jour de sa vie jusqu'à cette aube d'un automne encore éloigné...".
Les odeurs qui envahissent presque chaque phrase, qu'il s'agisse de celles des vivants ou celles des morts. Les prostituées, "des femmes à l'odeur de fleurs mortes", ou une présence identifiée par "l'odeur de sang séché sur les pansement des blessés", ou encore Auréliano José qui présente "une femme exubérante, toute parfumée de jasmin", et puis encore, "l'odeur de Remedios-la-belle qui continue à torturer les hommes au-delà de la mort."
Le livre de la nostalgie également, terme qui revient très souvent : "Confusément, enfin pris au piège de la nostalgie, il pensa que, marié avec celle-là, il serait peut-être devenu un homme qui n'aurait connu ni la guerre ni la gloire, un artisan anonyme, un animal heureux.", et ailleurs : "Car il était parvenu au terme de tout espoir, bien au-delà de la gloire et de la nostalgie de la gloire."
Et puis quelle 1ère phrase ! "Bien des années plus tard, face au peloton d'exécution, le colonel Auréliano Buendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l'emmena faire connaissance avec la glace."
Attention : chef d'oeuvre ! A lire et relire sans modération !

"Ce que j'ai voulu taire" de Sandor Marai




L'auteur des "Braises", l'un des plus grands écrivains hongrois du XXième siècle, fut aussi journaliste et témoin de son époque, et en particulier de ces dix années qui prennent leur origine le jour de l'entrée d'Hitler à Vienne et de l'annexion de l'Autriche par les nazis - l'Anschluss - le 12 mars 1938, et qui s'achèvent le 31 août 1948 quand Sandor Marai décide de s'exiler avec sa famille, et de fuir le régime communiste instauré en Hongrie.
"Ce que j'ai voulu taire" ausculte ces années terribles pour la Hongrie et pour les idéaux d'humanisme de Sandor Marai. L'écrivain observe et analyse la montée en puissance des idées d'extrême droite qui puisent leur énergie dans le ressentiment et la haine de l'autre, les mythes historico-nationalistes revanchards, des thèmes religieux exacerbés, face auxquelles la bourgeoisie humaniste de l'époque (et à laquelle Sandor Marai s'assimile) est incapable de proposer une alternative.
Ce témoignage, retrouvé récemment dans les archives de l'écrivain à Budapest, trouve un écho sinistre dans notre actualité politique et sociale caractérisée par la tentation du populisme et de l'extrême droite, et la perte de crédit de la valeur "Démocratie".
Entre essai et roman, servi par une très belle écriture, ce livre n'est pas sans rappeler "Le monde d'hier" de Stefan Zweig, compatriote de Marai et de près de 20 ans son aîné, tous deux contraints à l'exil, le premier en 1933, le second quinze ans plus tard, et tous deux ayant fait le choix du suicide ; Zweig, en 1942 au Mexique, par désespérance par rapport aux évènements engendrés par la folie nazie, et Marai, en 1989 aux Etats-Unis, de douleur après les décès presque simultanés de sa femme et de son fils adoptif, après 41 années d'exil. 

vendredi 12 décembre 2014

INSIDE

Le Palais de Tokyo, ruine moderne bricolée et colmatée avec deux francs-six sous par des architectes spécialistes d'une certaine forme d'Arte Povera, accueille actuellement une exposition dans laquelle cohabitent le remarquable et le moins remarquable. Les œuvres se déploient dans le dédale piranésien de ce vestige de l'exposition universellle de 1900.
Ignorons le pire pour se concentrer sur ce que notre œil mal éduqué et notre cerveau mal cultivé ont pu retenir.
La cabane (forcément au Canada, bien que le cartel évoque un chalet de randonneurs) à l'intérieur de laquelle il pleut des cordes (d'alpinistes) sur du mobilier traditionnel en bois, une suspension lumineuse et une carafe dont le contenu ne cesse de déborder (logique), nous a impressionnés, mon œil, mon cerveau et moi-même.
Une salle entière accueille les dessins animés dégueulasses d'un artiste qui ne manque ni d'humour ni d'imagination. Il nous inflige la vision de corps difformes et boursouflés s'exposant dans des scènettes affreuses. Ce n'est pas de mauvais goût ; c'est LE mauvais goût, sublimé, forcément sublimé.
Un espace saturé de blanc présente quelques sculptures, blanches également, que mon œil et mon cerveau et moi-même avons  délaissées au profit de l'œuvre majeure de cette pièce : le gardien noir, bien vivant, performer malgré lui, qui nous a accordé une photo.
Pour le reste il y a un mec pas brillant, assis par terre dans un réduit glauque, qui dégueule en boucle un mélange jaunâtre marbré de glaires rougeâtres, tant est si bien qu'il en est totalement recouvert, ainsi que l'espace misérable dans lequel il produit ses éructations. Peut-être aussi une place sur le podium du mauvais gout. En tout cas, parfaitement efficace pour écoeurer le bourgeois !
Dans une de ces immenses pièces que le Palais de Tokyo recèle en secret, une décharge plutôt spécialisée dans la récupération de matériaux de démolition de chantier a du céder quelques m3 de son gagne-pain sans prendre la précaution de le ranger un minimum.
Un ours gigantesque et taxidermisé dévoile (si le curieux pousse le vice jusqu'à contourner la bête) un flanc gauche découpé d'une entrée pour accéder dans le ventre de l'animal. Lequel a accueilli une performeuse qui s'y est enfermée pendant 13 jours. Pour les incrédules qui auraient du temps à perdre, ils peuvent rester 13 jours dans la pièce à contempler la vidéo de la performance.

J'allais oublier ce film montrant une vingtaine d'anciens mineurs, le visage armé d'une beauté de souffrance, fiers, les deux pieds incrustés dans un sol de pestiférés sous la croûte informe duquel leurs âmes errent encore, la voix tordue produisant des sons mécaniques en écho à l'univers sonore des entrailles de la terre, quand ils bradaient hier leurs existences pour une survie de misère (ouf !).



J'oubliais encore :
- de nombreux couloirs et escaliers livrés au Street Art avec quelques œuvres prodigieuses.
- un mur de la lapidation au revêtement de carrelage maculé de touffes de cheveux et de traces de sang, que des boules de pierre, projetées périodiquement par une machine à lancer des boules de pierre (ça existe !), fracturent sans pitié.
- un groupe d'humains à poils - des jeunes, des vieux, des athlétiques, des difformes, des hommes, des femmes - se poursuivent dans une pièce carrée en jouant à se toucher en poussant des cris hystériques à chaque contact.
- un homme seul, à poil encore, en noir et blanc, filmé en train de mimer des figures de boxe et se ramasser régulièrement des coups de poing imaginaires qui le projettent au tapis, duquel il se relève pour mimer des figures de boxe et se ramasser régulièrement des coups de poing imaginaires qui le projettent au tapis, duquel il se relève pour mimer...
- des sculptures en marbre reproduisant les cabanes improvisées d'un enfant dans un jardin à la façon des gisants de Joana Vasconcelos à la Punta de la Dogana (mais ici de Ryan Gander).

Conclusion : les voies de l'art contemporain sont impénétrables, mais méritent d'être empruntées.








samedi 29 novembre 2014

Quoi de neuf ? La Tour Triangle


Les pétitions font flores et les papiers enflammés aussi.

http://blogs.mediapart.fr/blog/graindeville/251114/la-tour-triangle-en-proie-au-manicheisme

Un crime de lèse modernité à l'encontre des opposants à sa construction qui dénoncent une aberration architecturale, historique, urbaine et énergétique ?
Le volet financier n'est pas en reste : un ballon d'oxygène économique pour les uns, une juteuse opération immobilière privée pour les autres.
Un atout pour "Paris - Ville-monde" ou une verrue pour le "Paris - so charming" ?
Une nouvelle icône de l'architecture contemporaine ou un monument supplémentaire à la gloire de la starchitecture ?
Une occasion unique d'éviter la museification de la capitale ou une incongruité dans une "ville horizontale" ?
La nouvelle Tour Eiffel du 21ème siècle ou un nouvelle Tour Montparnasse ?
Une tour de gauche ou une tour de droite ?
Et vous, vous êtes pour ou contre la Tour Triangle ?


Veinard(e)s : on a (presque) tout changé à droite !

mercredi 12 novembre 2014

Ukraine

Je ne suis jamais allé en Ukraine. On nous parle ici du bruit métallique des chenilles de chars russes qui violent en ce moment-même la frontière. On suit des reportages sur des populations terrorisées par la guerre qui se terrent dans des abris de fortune d'une ville fantôme dont le nom est Donesk. J'ai aperçu la photo d'un milicien pro-russe avec un petit chat sur l'épaule et un drôle de regard brutal et amusé sur le visage. On menace le tsar tout en tremblant comme un enfant qui joue le bravache en sachant que s'il doit se battre, il se fera rosser par son adversaire plus fort et qui n'a peur de rien.
7 ukrainiens sont venus rendre visite à Everybody Knows cette semaine. Rien n'indiquait dans les statistiques leur appartenance à l'une ou l'autre des factions en lutte. Ils ont trouvé un espace de paix. Bienvenu.

dimanche 9 novembre 2014

Humeur

Photo en couverture du "Monde" daté du dimanche 9 et lundi 10 novembre : la coupole en acier du Louvre d'Abu Dhabi. Une structure en étoile, magnifique de légèreté et pour la conception de laquelle on imagine que quelques savants calculs ont été nécessaires. Mais pas seulement : un travail de conception et de modélisation remarquable qui permettra à l'architecture d'exister. Accompagnant cette photo, un très long article où l'on évoque l'architecte Jean Nouvel (normal, le bâtiment est spectaculaire et on l'espère beau), les commanditaires (Le Louvre et les sponsors locaux), les édiles gouvernementaux, Ministre en tête, et... rien, pas un mot des concepteurs techniques (Buro Happold, une ingénierie anglaise), ni des bâtisseurs ! Ne serait-il pas légitime, a fortiori quand l'ouvrage met en avant sa très grande technicité (ce qui est précisément le cas de la photo), que soient mentionnés ses concepteurs techniques ?
Pense-t-on qu'en passant sous silence systématiquement le travail de l'ingénieur on parviendra à intéresser des jeunes à ce métier ? Mais pourquoi est-ce important d'intéresser des jeunes à ce métier bien moins valorisant que le trading, le marketing ou la fusion-acquisition ?
Saviez-vous que l'industrie française ne cesse de "décrocher", que "hier l'une des plus puissantes du Vieux Continent, (elle) est aujourd'hui menacée de marginalisation" ? En 6 ans "la production tricolore a chuté de près de 16%". Alors, continuons à ignorer les ingénieurs et ne nous plaignons pas de notre déficit commercial dramatique, de notre croissance en berne, des taxes qui augmentent, etc.

en italique : extraits du "Monde"


samedi 8 novembre 2014

Meursault, contre-enquete


"The party is over" chante Léonard Cohen dans "The street" ; la fête est terminée ... des prix littéraires, et Kamel Daoud n'aura pas été sacré "Goncourt" par le jury de chez Drouant pour son roman en forme de soliloque qui, 72 ans après la publication de "L'Etranger", prend le prétexte de l'absence d'identité de la victime dans le livre de Camus - désigné comme "l'arabe" -, pour lui en attribuer une, celle de Moussa, le frère du narrateur, et dérouler un récit d'une très grande richesse avec une rage poétique d'où le lecteur ne s'extrait pas indemne.
Un livre trop difficile pour le lectorat "populaire" visé par le Goncourt, a-t-on dit ; insuffisamment "politiquement correct" par ces temps de susceptibilités religieuses ? "Trop de notes" on du penser les Goncourt-Salieri...
PS : Merci à ML qui a découvert ce livre à l'occasion de sa sortie en mai dernier, qui s'est démenée pour le commander alors qu'il était absent des librairies, et qui se reconnaîtra si elle parvient jusqu'ici...



samedi 1 novembre 2014

Bizarre ? Vous avez dit bizarre ? Comme c'est bizarre ...







Veinard(e)s, on a (presque) tout changer à droite !

The street


J’ai été ton compagnon de boisson favori
Toujours prêt pour une dernière rigolade
Et puis notre bonne fortune à tous les deux s’est épuisée
Elle était tout ce que nous possédions
Tu as enfilé un uniforme
Pour t’engager dans la Guerre Civile
Tu semblais si confiant que je ne me suis pas inquiété
De savoir pour quel bord tu voulais combattre


Ce n’était pas si simple
Quand tu t’es levé et que tu es parti à pieds
Mais je garderai précieusement cette histoire
Pour une autre journée pluvieuse
Je sais le poids du fardeau
Et comment tu le traînes dans la nuit
Certains disent qu’il est creux
Mais ça ne veut pas dire qu’il est léger

Tu m’as quitté me laissant la vaisselle
Le bébé et la baignoire
Tu t’es acoquiné avec la milice
Jusqu’à adopter son camouflage
Tu as toujours dit que nous étions égaux
Aussi laisse-moi marcher avec toi
Fais juste une exception dans ta bande
Pour le vieux rouge blanc et bleu

Mon ami ne m’ignore pas
Nous fumions ensemble nous étions amis
Oubli cette histoire épuisante
De trahison et de revanche
Je vois le Fantôme de la Culture
Avec ses chiffres tatoués sur le poignet
Proclamer une nouvelle fin à cette histoire
Que nous avons tous manquée

J’ai pleuré à ton sujet ce matin
Et je pleurerai pour toi encore
Mais je suis ne suis pas dépositaire du pardon
S’il te plait ne me demande pas quand
Il sera possible d’avoir du vin et des roses
Et des magnums de champagne
Car jamais plus, non jamais plus
Nous ne boirons comme nous avons bu.

Refrain (X2)
La fête est terminée
Mais je suis toujours sur mes deux jambes
Je vais rester à l’angle de cette rue
Là où nous avions l’habitude de passer.

Allez buvons maintenant que c’est fini
Et buvons pour quand nous nous retrouverons
Je vais rester à l’angle de cette rue
Là où nous avions l’habitude de passer.


Léonard Cohen (libre traduction de J.N Spuarte)

samedi 25 octobre 2014

Almost like the blues


J'ai vu des gens affames
Il y avait des meurtres, il y avait des viols
Leurs villages étaient incendiés
Ils essayaient de s'enfuir

Je ne pouvaient pas soutenir leur regards
Alors je regardais mes chaussures
C'était affreux, c'était tragique
C'était un peu comme le blues

Je dois mourir doucement
Entre chaque pensée de meurtre
Et quand j'aurai fini de penser
Je devrai mourir enfin
Il y a de la torture et il y a des tueries
Il y a toutes mes critiques pitoyables
La guerre, les enfants perdus
Mon Dieu, c'est un peu comme le blues

J'ai laissé mon cœur se glacer
Pour lui éviter de trop pourrir
Mon père a dit que je l'avais choisi
Ma mère n'a jamais voulu le reconnaître
Oh les Gitans et les Juifs
J'ai écouté avec attention votre histoire
C'était bien, je n'étais pas fatigué de l'entendre
C'était un peu comme le blues

Il n'y a pas de Dieu au Paradis
Et il n'y a pas de Diable en Enfer
Comme le prétend l'illustre professeur
Qui sait tout mieux que nous
Mais j'ai reçu une invitation
Qu'un pécheur ne peut refuser
Et c'est presque comme une rédemption
C'est un peu comme le blues

Léonard Cohen (traduction libre de JN Spuarte)






"Autour du monde" de Laurent Mauvignier

De la Thaïlande où un voyage entre amis est révélateur d'une névrose suicidaire, à Moscou où un homme marié a une relation homosexuelle le jour de la naissance de son enfant ; du pont glacial d'un paquebot de croisière où un homme sauve un vieillard avec le secret espoir de coucher avec la fille de la victime, au road trip d'un jeune homme à travers les US à la recherche de son frère aîné en rupture de banc familial ; d'une plongée quasi thérapeutique au milieu des dauphins des Bahamas, aux fantasmes de deux vieillards italiens pour une illusion de paradis slovène à portée de ticket de Totocalcio ; d'une attaque de pirates dans le Golfe d'Aden qui tourne mal, aux jalousies mal digérées d'un jeune couple en voyage de noces vers le Canada ; du safari à l'épate de jeunes business men en Tanzanie, à la vie au service de touristes friqués d'un émigré indonésien à Dubaï ; de l'escapade romaine de deux amants qui ont trente ans de différence,au voyage en Israël d'une jeune femme chilienne à la recherche du passé trouble de sa famille pendant la seconde guerre mondiale ; de l'aventure tragique d'un étudiant mexicain au Japon avec une jeune japonaise tatouée qui survivra miraculeusement au tsunami  de 2011 à ce séjour touristique à Paris d'une famille japonaise qui assiste, impuissante, par médias interposés, au drame qui emporte ses plus proches parents, Laurent Mauvignier nous invite à parcourir la planète au gré de 14 nouvelles qui s'interpénètrent pour ne former qu'un seul roman dont le fil d'Ariane est le tsunami du 11 mars 2011, porté par une langue qui nous permet, grâce à sa beauté, de vivre véritablement - plutôt que d'assister - à ces "choses de la vie", souvent dramatiques, parfois dérisoires.    

vendredi 10 octobre 2014

Les mains du miracle

"Les mains du miracle" de Kessel était épuisé. Folio vient de le rééditer et une personne qui m'est chère a remarqué le livre sur le présentoir d'une librairie. Pourquoi pas Kessel, auteur un peu démodé, se dit-elle ?
Ce livre raconte une histoire vraie ; celle de Félix Kersten, un médecin doté d'un talent extraordinaire en matière de massages qui devient le masseur attitré et le confident d'un monstre : Heinrich Himmler. Le numéro 2 du Reich accordera son amitié et sa confiance à Kersten qui en profitera pour contribuer à sauver des dizaines de milliers de vies humaines. 
Kessel parvient à recréer l'atmosphère angoissante qui entoure ce sinistre criminel à la stature minable, les épaules tombantes et le corps flasque, rongé par des douleurs insupportables à l'estomac que les doigts prodigieux de son "seul ami" parviennent à soulager.
 
Kersten parviendra à déjouer tous les chausse-trappes tendus par les criminels nazis qui rodent autour de Himmler, et considèrent d'un œil assassin la trop grande influence de cet étranger sur leur maître (Kersten a la nationalité finlandaise) . Cette histoire est à peine croyable ; et pourtant !

"Tout est possible" pourrait être la leçon de ce livre.

dimanche 5 octobre 2014

Veinard(e)s : on a presque tout changé à droite !

Musée Soulages à Rodez, la Cuisine à Nègrepelisse et le Grand Théâtre d'Albi

« L’effet Bilbao » est donc reproductible !

2014 constitue pour les architectes catalans RCR[1], une année prolifique en projets inaugurés sur le territoire français. Ce n’est effectivement pas courant qu’une agence de taille modeste – mais au talent remarquable et reconnu – qui plus est étrangère, signe presque simultanément deux opérations dont au moins l’une d’entre elles fait le « buzz » architectural, puisque 6 semaines seulement après son ouverture 60 000 visiteurs étaient déjà comptabilisés ; chiffre correspondant au nombre d’entrées escompté sur l’année ! Le figaro titre fin juillet : « Le musée Soulages n’est pas un succès. C’est un triomphe. » Et sur sa lancée d’atteindre les 100 000 en aout ! « L’effet Bilbao » est donc reproductible ont du se dire quelques édiles qui rêvent d’édifier sur leur commune « Le » bâtiment qui fera converger les cars des tour-opérators et remplir les restaurants, qui flattera leur égo et donnera, enfin, une adresse digne aux partenaires économiques de la cité ragaillardie. Mais, prudence car « l’effet Bilbao » est rien moins que rationnel ! Et pour un Musée Soulages qui nous réapprend où se situe plus précisément Rodez, combien de « flops » architecturaux (moins médiatisés) se sont révélés être davantage consommateurs que pourvoyeurs de manne touristique !

4 boîtes parfaites de métal rouillé
L’alchimie ruthénoise tient vraisemblablement du coup de génie : un musée consacré au plus grand peintre français vivant (un mythe !) dont le fond a généreusement été pourvu par le Maître lui-même[2], doublé d’une œuvre architecturale – le contenant - qui joue le mimétisme avec l’œuvre – le contenu -, dans un exercice métaphorique assez spectaculaire. Le parti des architectes de placer le bâtiment sur le dévers de l’espace du foirail est astucieux : les 4 boites parfaites de métal rouillé (acier Corten©) extrudées à l’horizontale du plateau se laissent admirer par le visiteur sans que celui-ci, même rétif à l’encontre de l’architecture minimale et quasi conceptuelle, puisse prétexter une atteinte à l’harmonie de la cité. Les amateurs d’imaginaires seront même comblés par le commentaire des architectes qui parviennent à évoquer le rapport à la cathédrale dans une inversion du système : verticalité pour l’édifice religieux et horizontalité pour l’ouvrage profane.

C’est cette cuirasse d’acier qui intrigue
On ne se lasse pas d’observer la matérialité de l’enveloppe qui renvoie au travail du sculpteur Serra, un autre espagnol, dont certaines pièces monumentales ont été adoptées par le Guggenheim de Bilbao et participent certainement à l’attractivité du célèbre musée de Franck. O. Gehry. Car, davantage que l’habile déséquilibre de ces 4 parallélépipèdes aux dimensions différentes, alignés dans une posture quasi militaire, c’est cette cuirasse d’acier qui intrigue. Totalement aveugle, déclinant ses teintes orangées du safrané à des tons plus sombres, sa surface guerrière, scarifiée et tatouée par endroits, évoque la matière brute et efficace, dans une correspondance appuyée avec l’œuvre de Soulages. Les aménagements paysagés qui ceinturent le musée, composés de tapis de pierres noires aux angles vifs, contaminées par des lierres rampants, achèvent de placer cette composition dans le registre de l’Essentiel, aux antipodes d’une architecture de l’ornement.

Le Noir est bien une couleur
A l’intérieur de la « forteresse » les architectes ont su faire varier les espaces – luminosité, volumétrie, teintes des parois – pour s’adapter aux œuvres présentées. La collection couvre toute la création de Soulages depuis les années 40 jusqu’aux œuvres plus récentes, et présente les différentes techniques auxquels l’artiste s’est confronté – peintures, sérigraphies, eaux-fortes, lithographies, vitraux. Des immenses toiles d’outre-noir ou de noir-lumière comme le qualifie Soulages, permettent aux visiteurs de se rendre à l’évidence : le Noir est bien une couleur[3].

L’acier Corten© est un matériau qui peut se révéler indocile
 La seconde réalisation de l’agence RCR est plus confidentielle et moins courue. Il faut pousser un peu vers l’ouest, du côté de Montauban[4], pour découvrir dans les vestiges d’un ancien château fort du XIIIème siècle, la Cuisine, un centre d’art et de design autour des thématiques liées à l’alimentation. Inauguré à une quinzaine de jours d’intervalle[5] après le musée de Rodez, l’architecture porte la signature du moment de l’agence : l’usage enthousiaste de l’acier Corten©. Mais ici, il s’agit d’une composition avec une bâtisse existante faite de pierres solides et rugueuses[6], de murs appareillés à l’ancienne. L’introduction de la matière acier est plus subtile et a nécessité un dessin davantage « travaillé » dans lequel on ne retrouve pas l’impression de puissance qui émane des boîtes du Musée Soulages. Les textures de l’acier sont également différentes ; le registre guerrier est apaisé. On constate que l’acier Corten© est un matériau d’une richesse plastique immense, et qui peut se révéler indocile.
La Cuisine accueille des stages, des séminaires, des expositions temporaires d’artistes en résidence. Tous les espaces sont traités en jouant sur la dualité métal/minéral et la lumière. A cet égard, la bibliothèque circulaire logée dans une des tours de l’enceinte offre une ambiance singulière, avec son cylindre monumental encastré dans la charpente bois qui descend au milieu de la pièce et projette sur la table ronde de consultation un unique halo de lumière, laissant le reste de la pièce dans une pénombre un peu mystérieuse.

Le défi était immense de dignement représenter l’architecture contemporaine
A Albi, au Grand théâtre, fraîchement rénové par Dominique Perrault, se joue un autre concerto pour façade vitrée-teintée et maille métallique. L’architecte de la Bibliothèque François Mitterrand a imaginé de donner à la ville deux bâtiments pour le prix d’un ! En effet, selon la lumière et l’heure diurne ou nocturne, son enveloppe audacieuse dessine la silhouette d’un curieux vaisseau muni d’immenses voiles en métal tressé – matériau fétiche de Perrault -, ou laisse apparaître un autre édifice à la volumétrie plus conventionnelle mais à la modénature complexe et colorée. Le nouveau bâtiment constitue l’un des éléments majeurs de la recomposition urbaine du quartier. Le défi était immense de dignement représenter l’architecture contemporaine à quelques centaines de mètres de la prodigieuse cathédrale Sainte-Cécile. Le visiteur peut se surprendre à lâcher un : « Il fallait oser ! ».





[1] RCR Arquitectes, créé en 1987 par Rafael Aranda, Carme Pigem et Ramon Vialta. L’agence est basée à Olet près de Barcelone.
[2] Soulages a fait le don de plus de 500 œuvres au musée.
[3] Titre de l’exposition organisée en 1946 à la Galerie Maeght à Paris.
[4] A Nègrepelisse précisément
[5] 14 juin 2014










[6] Assez sérieusement « ratiboisée » 

Viva, de Patrick Deville



Limiter Viva à un "roman historique" dans lequel l'auteur se serait contenté de jouer d'une perspective réciproque entre Trotsky et Malcom Lowry serait terriblement réducteur. Patrick Deville aime à évoquer les utopies - "surtout à l'instant où elles s'écroulent" dit-il -, et mettre en scène des personnages portés par elles dont le destin est la plupart du temps tragique ; sans oublier, particulièrement dans Viva, la cohorte des "seconds rôles" qui gravitent autour des deux protagonistes principaux. Le Mexique des années 20 "dans cette décennie pendant laquelle tout s'invente, le monde est neuf dans le chaos régénérateur", est comme une sorte d'immense manège - la fameuse grande roue Ferris de "Sous le volcan" ? - qui tournerait de façon chaotique avec, embarquée à son bord, une kyrielle d'invités qui ont pour noms :
Lev Davidovitch Bronstein, alias Trotsky, le paria et l'écrivain refoulé, Malcom Lowry, le génie littéraire, ivre du "Volcan", Frida Khalo, l'artiste au corps et à l'âme torturés, Diego Rivera, le peintre muraliste et l'ogre de femmes, Tina Modotti, la belle photographe, la "traîtresse" qui livre son âme au diable, Vittorio Vidali, le diable lui-même, Artaud, le fou visionnaire, Mercader, l'assassin au piolet, André Breton, le petit écolier surréaliste ridicule devant Trotsky, Ret Marut, alias Traven, alias Cravan, alias Torsvan, alias..., l'auteur du "Trésor de la Sierra Madre", et des dizaines d'autres acteurs moins connus, dont on se régale à découvrir (merci le "Net") les itinéraires de vie souvent incroyables.
"Viva" est un livre dont on sort comme enivré, par la profusion de personnages, comme autant de fantômes que le talent de Deville fait revivre dans l'atmosphère particulière de l'époque et du lieu qu'il revient lui-même "hanter" dans certains paragraphes, à la fois mortifère et bouillonnante sur le plan artistique et littéraire.
Un livre à conseiller à ceux qui ont aimé "L'homme qui aimait les chiens" de Padura ; et aux inconditionnels de "Au-dessous du volcan".





  

samedi 24 mai 2014

Architectures contemporaines au Portugal. Morceaux choisis de l'Extremadura, l'Alentejo et de l'Algarve


En premier lieu, Lisbonne, avec 3 bâtiments visités, dont 2 de l' architecte, Joao Luis Carrilho da Graça (62 ans, natif de Portalegre et n'appartenant pas à la fameuse "Ecole de Porto"), auteur en France du théâtre de Poitiers.
Pour le premier, le musée archéologique du Château Sainte-Georges, il s'agit d'une construction morcelée dont l'objet est de protéger et mettre en valeur des fouilles opérées au cœur du célèbre château Saint-Georges qui domine la plus haute des sept collines de Lisbonne, mais de constituer aussi un cheminement pour le visiteur. Le terrain est de dimension réduite (1000 à 1500 m2 maximum). Le projet comporte essentiellement deux volumes distincts très épurés ; l'un avec des murs totalement blancs posés sur un socle de pierre, percés de rares ouvertures exclusivement verticales donnant accès aux espaces intérieurs, lesquels s'organisent autour de deux patios et selon une géométrie qui épouse le plan des constructions originelles exhumées ; le second est une sorte de cube en acier Corten présentant une fente horizontale périmétrique permettant d'apercevoir le volume intérieur constitué d'une fouille profonde de quelques mètres. La couverture des espaces est réalisée par de simples canisses. L'ensemble du projet est clos par une enceinte en acier Corten, également. Les fouilles ont un intérêt apparent limité, d'autant que les cartels explicatifs sont peu lisibles. Le contraste entre les matières autant qu'entre les couleurs (ciment blanc et corten) apporte, sans artifice formel, une force indéniable au projet.
Faut-il voir dans cette mise en relation des matières une évocation de l'Histoire, la confrontation du passé et du présent, ou bien un rapport entre architecture domestique et architecture guerrière ? Les murs blancs posés sur la pierre donnent une impression de grande légèreté. Toute l'écriture (ou presque) de Joao Luis Carriho da Graça est dans ce projet : rampe, longs murs blancs sans ouverture, composition géométrique épurée.


L'école de musique de Lisbonne, du même architecte, a été livrée en 2008. Situé à quelques encablures des prouesses arachnéennes rouge-sang du Stade de Luz (architecte : l'australien Damon Lavelle de HOK Sport), posé dans le quartier populaire de Benfica au nord-ouest du grand Parc de Monsanto, le bâtiment se présente comme un immense parallélépipède blanc aux murs périmétriques presque totalement aveugles. Une rampe en béton brut (initiatique ?) longe l'un des grands côtés du bâtiment et plonge pour s'ouvrir en final sur un espace spectaculaire. Celui-ci est composé, pour moitié d'un préau (sous-face béton brut également) porté par quelques poteaux cylindriques de couleur sombre, pour moitié par un espace ouvrant sur le ciel (souvent bleu à Lisbonne) délimité par de très hauts murs peints dans la couleur jaune typique de certaines maisons du Portugal. Un escalier spectaculaire en bois, presque noir, utilisable en gradins permet d'accéder et à une cour supérieure plantée d'une herbe folle et délaissée. Cet espace clos intérieur donne une impression d’arène pacifique, et mieux encore, d'agora. L'entrée de l'école s'inscrit presque confidentiellement sous le préau. Le jeu des couleurs (noir, jaune, bleu) est saisissant. La gamme vient s'enrichir de l'incontournable blanc (caractéristique de l'architecture vernaculaire portugaise) que l'on découvre au sommet de l'escalier-gradin, en aboutissant dans un cloître revisité dont les côtés sont occupés par les studios de répétition des musiciens ; chaque studio est
équipé d'un accès direct sur le "jardin" par une porte dessinée avec beaucoup de retenue et de soin.
On pourra s'interroger (est-ce autorisé ?) sur la résistance des façades exposées au sud et à l'ouest aux agressions du soleil dont témoignent les stores extérieurs (usés prématurément) et certaines portes en bois (revêtement de surface délité).

N'eut-il pas fallu prévoir un dispositif passif, soit de type végétal (une haie d'arbres ?), soit du registre du brise-soleil (avancée de la terrasse ou travail sur l'épaisseur du mur ?). La question est posée. La réponse viendra-t-elle ?
Pas de commentaires sur l'intérieur que nous n'avons pas été autorisés à visiter.

Musée d'art contemporain du Chiado
Rénové en 1994 (30 ans déjà !) par l'architecte Jean-Michel Wilmotte, suite à l'incendie du quartier en 1988, le musée qui abrite une collection permanente d'artistes portugais pour l'essentiel et accueille des expositions temporaires, déroule le vocabulaire caractéristique de l'architecte dans un contexte où il excelle : la conjugaison de l'ancien et du moderne. Bien sûr on remarque les traces de l'âge (un "lifting" pourrait être envisagé*), mais les fondamentaux sont solides : dialogue de la brique chargée d'une histoire autant spirituelle que culturelle (ancien couvent et anciens espaces de réunions d'artistes) avec une composition acier-béton-verre-bois sombre plus élaborée où règne le joint creux, jeux ponctuels et subtils de l'éclairage naturel pris sur le ciel, équipements techniques parfaitement intégrés, jardin minéral réglé au millimètre agrémenté de sculptures, etc.
Vu à l'occasion de cette visite une exposition surprenante et pleine d'enseignements sur le regard porté, il y a peine un siècle, par nos grands-parents sur la "race" noire que l'on exposait alors dans des zoos...
* du bâtiment, pas de l'architecte !

Bélem

La Fondation Champalimaud pour l'Inconnu est un peu en dehors du circuit obligé alimentant en continu le monastère des Hiéronymites en hordes de touristes. Ceux-ci vont ensuite se régaler de quelques unes des 30.000 succulentes et incomparables "Pastel de Nata" confectionnées quotidiennement à la pâtisserie de Belem. Pour être précis la Fondation, dont l'objet est la recherche contre le cancer, est située le long du Tage, sur la route côtière menant à Cascais (voir Fondation Fondation Paula Régo). Il s'agit d'un ensemble de deux bâtiments principaux - un centre de congrès et un centre clinique et de recherche - reliés par une passerelle en verre et métal de 21m de portée, remarquable de légèreté et de simplicité structurelle (apparente). Les concepteurs sont le bureau d'études Schlaich Bergermann und Partner de Stuttgart et le spécialiste Bellapart d’Olot en Espagne. Les amateurs de technique retiendront que "l'enveloppe circulaire en verre est constituée de panneaux de verre feuilleté cintrés de 1,95 x 1,32 m, selon une construction relativement légère composée d’un intercalaire de 2,28 mm DuPontTM SentryGlas® entre deux plaques de verre trempé HST de 8 mm chacune". Cet assemblage verrier a l'avantage de présenter une flèche moins importante et un meilleur comportement après rupture qu’avec un feuilleté produit avec un intercalaire PVB.
Les visiteurs avertis remarqueront l'intégration subtile de la protection solaire dans la conception structurelle. Les architectes ont particulièrement travaillé le rapport au Tage qui, à cet endroit - on est pratiquement à l'embouchure - est d'une très grande largeur : un amphithéâtre en plein air face au fleuve, une vaste esplanade qui s'élève en pente douce pour aboutirà deux colonnes jumelles monumentales, et à une pièce d'eau à débordement dont la surface tutoie la perspective plus lointaine de l'océan ; un traitement très minéral (parfaitement calepiné et exécuté avec une pierre claire) qui contraste avec la luxuriance du jardin intérieur réservé aux patients et aux chercheurs.
L'hommage au travail de Louis Khan en Inde ou pour l'Institut Salk à la Jolia en Californie  est évident (minéralité, oculus de grande dimension, etc.). 
Les architectes sont : Charles Correa (Inde), RMJM Hillier pour les laboratoires et l'agence portugaise Consiste.

Le futur (?) musée des coches de Bélem
Entouré de palissades, le chantier semble au point mort sinon abandonné. Le gros-œuvre est pratiquement achevé et il ne faudrait sans doute que quelques mois (mais peut-être trop d'€ !) pour achever ce curieux édifice dont il est difficile à l'heure actuelle d'appréhender le parti et d'en apprécier la qualité architecturale. Il s'agit d'un projet de l'architecte brésilien Paulo Mendes da Rocha (84 ans), Pritzker Price 2006. A suivre !


Cascais

La Fondation Paula Rêgo de Souto de Moura

Les cheminées inspiratrices de Sintra
C'est un bâtiment étrange par sa couleur - brique - et ses deux immenses pyramides tronquées inspirées, nous a-t-on dit, des cheminées des cuisines du Palais de Sintra. Il est érigé sur un terrain recouvert d'herbes et planté principalement de pins ; décor qui, avec la complicité du ciel bleu, compose un tableau (presque) surréaliste. La Fondation présente sur sa façade principale une seule ouverture rectangulaire, noire, basse, placée à l'extrémité d'une allée de dalles en pierres blanches. Ce dispositif donne l'impression d'accéder à un lieu mystérieux. Il y a un peu du blockhaus dans cette silhouette taillée à la serpe. Le parement en béton teinté dans la masse laisse s'exprimer "la trace de l'homme". Il a été travaillé en alternant des bandes lisses et des surfaces plus rugueuses sur lesquelles se lisent les empreintes du coffrage bois, sans que cette alternance soit immédiatement perceptible. Les rayons implacables du soleil portugais inventent une matérialité magnifique sur ces surfaces. Le béton a pris une patine laissant apparaître quelques veines laiteuses, comme une transpiration de la matière.
Une question (blasphématoire) peut se poser : pourquoi ces volumes puissants (les pyramides tronquées) n'abritent-ils pas des salles d'exposition plutôt que respectivement la cafétéria et la boutique-librairie ?





Le musée des phares d'Aires Mateus

C'est une œuvre discrète posée au pied du phare de Cascais. Elle se présente comme une succession de petites boites, uniformément blanches, sur les angles desquelles la lumière exerce à l'envi son "jeu savant, correct et magnifique".











Portalegre

Eglise Saint-Antoine (Architecte : Joao Luis Carrilho da Graça)


Un peu plus d'une heure à tourner et retourner dans la ville pour trouver cette église ... fermée ! Visiblement la population indigène sollicitée pour nous guider n'a pas été profondément marquée par cette œuvre dont les photos, préalablement visionnées sur un magazine, constituaient l'argument essentiel justifiant un détour d'une centaine de kilomètres...
On ne peut pas dire que le bâtiment soit remarquable de l'extérieur, sauf à apprécier tout particulièrement les murs d'enceinte uniformément blancs (encore !), de grande dimension (hauteur et longueur) et dans un rapport semi-autistique avec l'environnement urbain (des logements sociaux qui auraient peut-être mérités davantage que ce semi enclos face à leurs paraboles...). Mais c'est sans doute pour mieux révéler le "trésor intérieur" (que nous n'aurons pas vu) constitué d'un espace de prière dont l'un des murs est en verre donnant à voir le rocher dans toute sa beauté tellurique. L'entrée principale de l'édifice est constituée d'une très grande cour presque entièrement vide, qui met à distance l'espace de prière lui-même. Elle est encadrée par deux bâtiments (crèche et garderie) munis chacun d'une rampe (élément récurrent du vocabulaire de Carrilho da Graça) de la longueur de la cour.

Evora
 
La nouvelle Université d'art et d'architecture d'Evora est situé dans les faubourgs de cette petite ville qui renferme des trésors d'architecture, depuis les vestiges romains (2ème siècle) - le "Temple de Diane" similaire à la Maison Carrée de Nîmes - jusqu'à l'université du 16ème siècle bâtie par les jésuites et ses formidables azulejos, en passant par toutes les admirables constructions, nobles ou plus modestes, qui jalonnent le centre ville classé au Patrimoine mondial de l'UNESCO.
C'est sur le site d'anciens moulins industriels (type Moulins de Pantin en plus modestes) qu'Ines Lobo, une architecte portugaise, est venu implanter une sorte de très long hangar en tôle d’aluminium ondulé qui abrite les salles de cours et les ateliers. Le dessin est très pur et contraste avec la plastique plus sommaire de l'ancien bâti industriel.
Les circulations verticales en béton (escaliers extérieurs ou encloisonnés) présentent un traitement (volontairement ?) brutal. Contraste encore entre le produit industrialisé parfaitement ajusté et fini (la tôle) et les éléments minéraux coulés en place qui affichent (délibérément ?) les imperfections de leurs parements ? On reste perplexe voire dubitatif face à cette volonté architecturale ... 

Alvaro Siza, autre figure de l'architecture contemporaine portugaise, a fait un travail d'urbaniste appliqué au quartier populaire de Malagueira ; travail datant pour l'essentiel des années 97 et que les esprits avertis ont érigé en référence. Il eut fallu être accompagné par l'un de ces esprits pour apprécier l’œuvre dans sa perspective historique et son engagement social, dans l'intelligence proclamée de son tracé. La seule posture du regardeur s'avère décevante devant un paysage urbain assez banal et répétitif. Un aqueduc (en parpaings ?) gris et à la triste silhouette est censé réalisé un lien entre les unités d'habitats. Il va probablement de ce type d'urbanisme comme de certains livres dont la richesse doit être exhumée par le lecteur au prix d'un effort réel ; livres d'avant-garde fatigués de leur statut d'avant-gardiste, livres exigeant une lecture lente d'exégète, livres malmenés par notre société du spectacle et de l'instant.

La Fondation Eugénio de Almeida dont la vocation est de participer au développement culturel, social et en termes d'éducation de la région d'Evora, a investi l'ancien Palais de l'Inquisition (1536) proche de la cathédrale. Adossée à cette ancienne demeure au passé terrible, et intégrée à la Fondation, une maison qui pourrait avoir appartenu à Vasco de Gama présente un patio intérieur rehaussé de fresques profanes et sacrées remarquables. La Fondation s'est engagée dans une très belle restructuration pour livrer des espaces d'exposition, de séminaires et de conférence. Un travail d'aménagement urbain minéral, discret et raffiné, a été réalisé sur les abords immédiats de la Fondation. Une porte amovible de grande dimension présente un parement constitué de plaques de marbre opalescentes de très faible épaisseur ; de nuit, l'éclairage intérieur en révèle toute la beauté.
La restructuration (qui n'est pas encore achevée) est l’œuvre de ... qui me le dira ?    




Tavira

Souto de Moura avait fait une présentation passionnante de son projet de rénovation-reconversion du Couvent des Bernardines à la Biennale d'architecture de Bordeaux en 2012. Il était intervenu après 1H de discours quasi métaphysique de Rem Koolhaas avec un langage concret de bâtisseur, rappelant à l'assistance qu'il n'y a pas une nécessité absolue à attacher systématiquement au travail de l'architecte des concepts fumeux.

Avant
Après (les 3 palmiers ont été conservés !)
Il avait qualifié son intervention au Couvent des Bernardines de travail, juste sur la fenêtre, c'est tout ; la fenêtre. Après vérification in situ, l'essentiel est bien là, dans le traitement de cette modeste et utile ouverture caractérisant l'habitat humain depuis des millénaires après que l'homme soit sortit des cavernes. L'aphorisme de Mies van der Rohe "Dieu est dans le détail" (détournement de la citation traditionnelle plus pessimiste y voyant le Diable) prend tout son sens. Bien entendu le projet ne se limite pas au seul travail sensible de sculpture de cet interface entre extérieur et intérieur (pas une fenêtre n'est identique). Souto de Moura a placé une immense pièce d'eau au centre du quadrilatère dont la qualité première est d'être une piscine qui ne ressemble pas à une piscine. Quelle importance ? Respect du lieu simplement : les murs de cet ancien couvent en bordure des salines qui abrita une manufacture jusqu'en 1970 - une magnifique cheminée de brique restaurée témoigne de cette activité - renferment encore l'écho des prières et celui du labeur ; et ce n'est pas la moindre des qualités de ce projet (son génie ?) d'avoir su en restituer une forme de vérité par le choix de la couleur des enduits (un ocre qui devient or sous le soleil rasant du matin et du soir), celui des matériaux comme les pavés ou la pierre, le dessin des portes d'entrée des appartements qui évoquent celui des cellules des moines, etc.