« L’effet Bilbao » est donc reproductible !
2014 constitue pour les
architectes catalans RCR[1],
une année prolifique en projets inaugurés sur le territoire français. Ce n’est
effectivement pas courant qu’une agence de taille modeste – mais au talent remarquable
et reconnu – qui plus est étrangère, signe presque simultanément deux
opérations dont au moins l’une d’entre elles fait le « buzz »
architectural, puisque 6 semaines seulement après son ouverture 60 000
visiteurs étaient déjà comptabilisés ; chiffre correspondant au nombre
d’entrées escompté sur l’année ! Le figaro titre fin juillet :
« Le musée Soulages n’est pas un succès. C’est un triomphe. » Et sur
sa lancée d’atteindre les 100 000 en aout ! « L’effet
Bilbao » est donc reproductible ont du se dire quelques édiles qui rêvent
d’édifier sur leur commune « Le » bâtiment qui fera converger les
cars des tour-opérators et remplir les restaurants, qui flattera leur égo et
donnera, enfin, une adresse digne aux partenaires économiques de la cité ragaillardie.
Mais, prudence car « l’effet Bilbao » est rien moins que
rationnel ! Et pour un Musée Soulages qui nous réapprend où se situe plus
précisément Rodez, combien de « flops » architecturaux (moins
médiatisés) se sont révélés être davantage consommateurs que pourvoyeurs de
manne touristique !
4 boîtes parfaites de métal rouillé
L’alchimie ruthénoise tient
vraisemblablement du coup de génie : un musée consacré au plus grand
peintre français vivant (un mythe !) dont le fond a généreusement été
pourvu par le Maître lui-même[2],
doublé d’une œuvre architecturale – le contenant - qui joue le mimétisme avec
l’œuvre – le contenu -, dans un exercice métaphorique assez spectaculaire. Le
parti des architectes de placer le bâtiment sur le dévers de l’espace du foirail
est astucieux : les 4 boites parfaites de métal rouillé (acier Corten©)
extrudées à l’horizontale du plateau se laissent admirer par le visiteur sans
que celui-ci, même rétif à l’encontre de l’architecture minimale et quasi conceptuelle,
puisse prétexter une atteinte à l’harmonie de la cité. Les amateurs
d’imaginaires seront même comblés par le commentaire des architectes qui
parviennent à évoquer le rapport à la cathédrale dans une inversion du
système : verticalité pour l’édifice religieux et horizontalité pour
l’ouvrage profane.
C’est cette cuirasse d’acier qui intrigue
On ne se lasse pas d’observer la
matérialité de l’enveloppe qui renvoie au travail du sculpteur Serra, un autre
espagnol, dont certaines pièces monumentales ont été adoptées par le Guggenheim
de Bilbao et participent certainement à l’attractivité du célèbre musée de
Franck. O. Gehry. Car, davantage que l’habile déséquilibre de ces 4
parallélépipèdes aux dimensions différentes, alignés dans une posture quasi
militaire, c’est cette cuirasse d’acier qui intrigue. Totalement aveugle,
déclinant ses teintes orangées du safrané à des tons plus sombres, sa surface
guerrière, scarifiée et tatouée par endroits, évoque la matière brute et efficace,
dans une correspondance appuyée avec l’œuvre de Soulages. Les aménagements
paysagés qui ceinturent le musée, composés de tapis de pierres noires aux
angles vifs, contaminées par des lierres rampants, achèvent de placer cette
composition dans le registre de l’Essentiel, aux antipodes d’une architecture
de l’ornement.
Le Noir est bien une couleur
A l’intérieur de la
« forteresse » les architectes ont su faire varier les espaces –
luminosité, volumétrie, teintes des parois – pour s’adapter aux œuvres
présentées. La collection couvre toute la création de Soulages depuis les
années 40 jusqu’aux œuvres plus récentes, et présente les différentes
techniques auxquels l’artiste s’est confronté – peintures, sérigraphies,
eaux-fortes, lithographies, vitraux. Des immenses toiles d’outre-noir ou de noir-lumière
comme le qualifie Soulages, permettent aux visiteurs de se rendre à
l’évidence : le Noir est bien une couleur[3].
L’acier Corten© est un matériau qui peut se révéler indocile
La seconde réalisation de l’agence RCR est
plus confidentielle et moins courue. Il faut pousser un peu vers l’ouest, du
côté de Montauban[4], pour
découvrir dans les vestiges d’un ancien château fort du XIIIème siècle, la
Cuisine, un centre d’art et de design autour des thématiques liées à
l’alimentation. Inauguré à une quinzaine de jours d’intervalle[5]
après le musée de Rodez, l’architecture porte la signature du moment de
l’agence : l’usage enthousiaste de l’acier Corten©. Mais ici, il s’agit
d’une composition avec une bâtisse existante faite de pierres solides et
rugueuses[6],
de murs appareillés à l’ancienne. L’introduction de la matière acier est plus subtile
et a nécessité un dessin davantage « travaillé » dans lequel on ne
retrouve pas l’impression de puissance qui émane des boîtes du Musée Soulages.
Les textures de l’acier sont également différentes ; le registre guerrier
est apaisé. On constate que l’acier Corten© est un matériau d’une richesse
plastique immense, et qui peut se révéler indocile.
La Cuisine accueille des stages,
des séminaires, des expositions temporaires d’artistes en résidence. Tous les
espaces sont traités en jouant sur la dualité métal/minéral et la lumière. A
cet égard, la bibliothèque circulaire logée dans une des tours de l’enceinte
offre une ambiance singulière, avec son cylindre monumental encastré dans la
charpente bois qui descend au milieu de la pièce et projette sur la table ronde
de consultation un unique halo de lumière, laissant le reste de la pièce dans
une pénombre un peu mystérieuse.
Le défi était immense de dignement représenter l’architecture
contemporaine
A Albi, au Grand théâtre,
fraîchement rénové par Dominique Perrault, se joue un autre concerto pour
façade vitrée-teintée et maille métallique. L’architecte de la Bibliothèque
François Mitterrand a imaginé de donner à la ville deux bâtiments pour le prix d’un ! En effet, selon la lumière et l’heure diurne ou nocturne, son enveloppe
audacieuse dessine la silhouette d’un curieux vaisseau muni d’immenses voiles
en métal tressé – matériau fétiche de Perrault -, ou laisse apparaître un autre
édifice à la volumétrie plus conventionnelle mais à la modénature complexe et
colorée. Le nouveau bâtiment constitue l’un des éléments majeurs de la
recomposition urbaine du quartier. Le défi était immense de dignement
représenter l’architecture contemporaine à quelques centaines de mètres de la
prodigieuse cathédrale Sainte-Cécile. Le visiteur peut se surprendre à
lâcher un : « Il fallait oser ! ».
[1] RCR
Arquitectes, créé en 1987 par Rafael Aranda, Carme Pigem et Ramon Vialta.
L’agence est basée à Olet près de Barcelone.
[2] Soulages
a fait le don de plus de 500 œuvres au musée.
[3] Titre de
l’exposition organisée en 1946 à la Galerie Maeght à Paris.
[4] A
Nègrepelisse précisément
[6] Assez
sérieusement « ratiboisée »
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