dimanche 5 octobre 2014

Musée Soulages à Rodez, la Cuisine à Nègrepelisse et le Grand Théâtre d'Albi

« L’effet Bilbao » est donc reproductible !

2014 constitue pour les architectes catalans RCR[1], une année prolifique en projets inaugurés sur le territoire français. Ce n’est effectivement pas courant qu’une agence de taille modeste – mais au talent remarquable et reconnu – qui plus est étrangère, signe presque simultanément deux opérations dont au moins l’une d’entre elles fait le « buzz » architectural, puisque 6 semaines seulement après son ouverture 60 000 visiteurs étaient déjà comptabilisés ; chiffre correspondant au nombre d’entrées escompté sur l’année ! Le figaro titre fin juillet : « Le musée Soulages n’est pas un succès. C’est un triomphe. » Et sur sa lancée d’atteindre les 100 000 en aout ! « L’effet Bilbao » est donc reproductible ont du se dire quelques édiles qui rêvent d’édifier sur leur commune « Le » bâtiment qui fera converger les cars des tour-opérators et remplir les restaurants, qui flattera leur égo et donnera, enfin, une adresse digne aux partenaires économiques de la cité ragaillardie. Mais, prudence car « l’effet Bilbao » est rien moins que rationnel ! Et pour un Musée Soulages qui nous réapprend où se situe plus précisément Rodez, combien de « flops » architecturaux (moins médiatisés) se sont révélés être davantage consommateurs que pourvoyeurs de manne touristique !

4 boîtes parfaites de métal rouillé
L’alchimie ruthénoise tient vraisemblablement du coup de génie : un musée consacré au plus grand peintre français vivant (un mythe !) dont le fond a généreusement été pourvu par le Maître lui-même[2], doublé d’une œuvre architecturale – le contenant - qui joue le mimétisme avec l’œuvre – le contenu -, dans un exercice métaphorique assez spectaculaire. Le parti des architectes de placer le bâtiment sur le dévers de l’espace du foirail est astucieux : les 4 boites parfaites de métal rouillé (acier Corten©) extrudées à l’horizontale du plateau se laissent admirer par le visiteur sans que celui-ci, même rétif à l’encontre de l’architecture minimale et quasi conceptuelle, puisse prétexter une atteinte à l’harmonie de la cité. Les amateurs d’imaginaires seront même comblés par le commentaire des architectes qui parviennent à évoquer le rapport à la cathédrale dans une inversion du système : verticalité pour l’édifice religieux et horizontalité pour l’ouvrage profane.

C’est cette cuirasse d’acier qui intrigue
On ne se lasse pas d’observer la matérialité de l’enveloppe qui renvoie au travail du sculpteur Serra, un autre espagnol, dont certaines pièces monumentales ont été adoptées par le Guggenheim de Bilbao et participent certainement à l’attractivité du célèbre musée de Franck. O. Gehry. Car, davantage que l’habile déséquilibre de ces 4 parallélépipèdes aux dimensions différentes, alignés dans une posture quasi militaire, c’est cette cuirasse d’acier qui intrigue. Totalement aveugle, déclinant ses teintes orangées du safrané à des tons plus sombres, sa surface guerrière, scarifiée et tatouée par endroits, évoque la matière brute et efficace, dans une correspondance appuyée avec l’œuvre de Soulages. Les aménagements paysagés qui ceinturent le musée, composés de tapis de pierres noires aux angles vifs, contaminées par des lierres rampants, achèvent de placer cette composition dans le registre de l’Essentiel, aux antipodes d’une architecture de l’ornement.

Le Noir est bien une couleur
A l’intérieur de la « forteresse » les architectes ont su faire varier les espaces – luminosité, volumétrie, teintes des parois – pour s’adapter aux œuvres présentées. La collection couvre toute la création de Soulages depuis les années 40 jusqu’aux œuvres plus récentes, et présente les différentes techniques auxquels l’artiste s’est confronté – peintures, sérigraphies, eaux-fortes, lithographies, vitraux. Des immenses toiles d’outre-noir ou de noir-lumière comme le qualifie Soulages, permettent aux visiteurs de se rendre à l’évidence : le Noir est bien une couleur[3].

L’acier Corten© est un matériau qui peut se révéler indocile
 La seconde réalisation de l’agence RCR est plus confidentielle et moins courue. Il faut pousser un peu vers l’ouest, du côté de Montauban[4], pour découvrir dans les vestiges d’un ancien château fort du XIIIème siècle, la Cuisine, un centre d’art et de design autour des thématiques liées à l’alimentation. Inauguré à une quinzaine de jours d’intervalle[5] après le musée de Rodez, l’architecture porte la signature du moment de l’agence : l’usage enthousiaste de l’acier Corten©. Mais ici, il s’agit d’une composition avec une bâtisse existante faite de pierres solides et rugueuses[6], de murs appareillés à l’ancienne. L’introduction de la matière acier est plus subtile et a nécessité un dessin davantage « travaillé » dans lequel on ne retrouve pas l’impression de puissance qui émane des boîtes du Musée Soulages. Les textures de l’acier sont également différentes ; le registre guerrier est apaisé. On constate que l’acier Corten© est un matériau d’une richesse plastique immense, et qui peut se révéler indocile.
La Cuisine accueille des stages, des séminaires, des expositions temporaires d’artistes en résidence. Tous les espaces sont traités en jouant sur la dualité métal/minéral et la lumière. A cet égard, la bibliothèque circulaire logée dans une des tours de l’enceinte offre une ambiance singulière, avec son cylindre monumental encastré dans la charpente bois qui descend au milieu de la pièce et projette sur la table ronde de consultation un unique halo de lumière, laissant le reste de la pièce dans une pénombre un peu mystérieuse.

Le défi était immense de dignement représenter l’architecture contemporaine
A Albi, au Grand théâtre, fraîchement rénové par Dominique Perrault, se joue un autre concerto pour façade vitrée-teintée et maille métallique. L’architecte de la Bibliothèque François Mitterrand a imaginé de donner à la ville deux bâtiments pour le prix d’un ! En effet, selon la lumière et l’heure diurne ou nocturne, son enveloppe audacieuse dessine la silhouette d’un curieux vaisseau muni d’immenses voiles en métal tressé – matériau fétiche de Perrault -, ou laisse apparaître un autre édifice à la volumétrie plus conventionnelle mais à la modénature complexe et colorée. Le nouveau bâtiment constitue l’un des éléments majeurs de la recomposition urbaine du quartier. Le défi était immense de dignement représenter l’architecture contemporaine à quelques centaines de mètres de la prodigieuse cathédrale Sainte-Cécile. Le visiteur peut se surprendre à lâcher un : « Il fallait oser ! ».





[1] RCR Arquitectes, créé en 1987 par Rafael Aranda, Carme Pigem et Ramon Vialta. L’agence est basée à Olet près de Barcelone.
[2] Soulages a fait le don de plus de 500 œuvres au musée.
[3] Titre de l’exposition organisée en 1946 à la Galerie Maeght à Paris.
[4] A Nègrepelisse précisément
[5] 14 juin 2014










[6] Assez sérieusement « ratiboisée » 

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