Common ground signifie "terrain d'entente" ; c'est le thème choisi pour la biennale d'architecture de Venise par son commissaire, David Chipperfield (non, pas celui qui fait disparaître des semi-remorques), architecte britannique, auteur de la rénovation-résurrection du Neue Museum de Berlin. Les architectes invités, ainsi que les pays qui possèdent un pavillon, jouent normalement le jeu de décliner ce thème dans leurs installations. C'est bien entendu le cas d'Herzog et de Meuron, l'une des agences les plus starisées, qui ont pris totalement le contrepied du slogan pour plutôt mettre en scène la discorde, voire la croisade, que la presse entretient sur leur projet de la Philharmonie d'Hambourg. Leur propos est de montrer ce qui ne se voit pas encore et qui est le fruit d'un travail de concertation entre les multiples intervenants d'un tel projet ; travail invisible pour celui qui ne s'attache qu'à l'image.
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Maison commune de Rikuzentaka |
Le pavillon japonais - qui a remporté le Lion d'or - présente un travail parfaitement en accord avec le leitmotiv d
e Chipperfield : autour de Toyo Ito et de quelques architectes, les habitants d'une petite ville dévastée par le Tsunami de 2011, ont conçu une "maison commune" dont l'architecture a été pensée en fonction des espaces souhaités par les habitants, et dont la structure est composée par des énormes troncs d'arbre déracinés par le cataclysme. Le tout, qui est en cours de construction, ne ressemble à rien de ce qui a déjà été vu, dans une intelligence globale constructive qui n'est pas dénuée d'une certaine plasticité.
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Les arbres qui percent les lames de béton |
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Un lapin de Vatanen ? |
Le pavillon finlandais, oeuvre de Svet Fehn (irréfutablement le plus beau de tous) propose des installations toute en subtilité, où l'humour et le rapport homme- nature sont omniprésents. Une boîte à idées pour qui veut être inspiré dans le processus d''élaboration du projet, et un petit lapin tout blanc, dressé sur ses pattes et se voilant les yeux avec ses antérieurs (certainement face à la maltraitance de la planète) sont remarquables.
Le café reproduisant un espace du squat spectaculaire de Torre David, une tour de bureaux de 45 étages à Caracas, construite et jamais achevée pour le siège d'une banque (750 familles l'ont investi et y habitent aujourd'hui), mérite également son Lion d'or. Ici point d'architecte, mais une réapropriation de lieux désertés par le capitalisme avec une rage légitime, celle de tout être humain à bénéficier d'un logement.
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Le rideau de Petra Blaisse |
La Hollande, pays non confronté aux problématiques du Vénezuéla, prête son espace à une installation relevant d'une certaine sensualité autant que de l'art conceptuel : un grand rideau unique composé de plusieurs éléments de texture et d'opacité différentes (velours, voilage,...), est guidé par un dispositif mécanique (tringle entrainée par une chaîne asservie à un moteur électrique) qui suit un cheminement sinueux au plafond ; le rideau se met en mouvement par courtes séquences de quelques secondes, se figeant un instant pour donner à contempler une nouvelle composition spatiale. Le rapport au thème de la biennale semble lointain, mais très vraisemblablement métaphorique et ontologique...
Une autre installation pour finir (provisoirement) sur cette biennale : intitulée "Banalité of Good" qui présente un panorama comparée des représentations des leitmotivs du progrès et du bonheur dans les années 60 dans 6 pays différents, et les leitmotivs d'aujourd'hui, démontrant clairement la régression des valeurs de solidarité au profit de l'individualisme et du consumérisme.
C'est formidable ce type d'évènements qui, pour reprendre la formule de Mies, "donne à l'esprit l'occasion d'exister."
Nota : il existe également une installation du "Off" sur la Giudecca qui s'intitule "The way of enthousiasm" ; vous comprendrez pourquoi, n'en déplaise aux fâcheux blasés, j'ai trouvé ce cru tout à fait honorable (et vous allez voir la suite !)