samedi 18 juin 2011

L'île Seguin ou le Krak de Manhattan sur Seine


Le 6 mars 1999 dans "Le Monde", Jean Nouvel, "le plus célèbre des architectes français" (PCDAF), signait un article au titre épique : "Boulogne assassine Billancourt", et jetait un pavé dans la mare de l'île Seguin dénonçant les projets de réaménagement du site déserté par les usines Renault.
"C'est un vaisseau de pierre, régulièrement et largement percé sur ces flans. La continuité de l'eau lui confère cette noblesse, qui d'habitude n'appartient qu'aux châteaux ou aux ouvrages militaires. C'est aussi beau que les kraks des Chevaliers. C'est le krak des ouvriers.(...) Il ne s'agit plus de ne pas désespérer Billancourt : aujourd'hui Boulogne assassine Billancourt. L'Ouest chic peut enfin s'affranchir de la promiscuité. Restons entre nous. L'ouvrier est sale ; son usine est laide.(...) L'important est qu'un tel lieu devienne un lieu de vie, un lieu d'épanouissement. (...) La mémoire est à conserver, la poétique du lieu à enrichir. Les projets nient complètement le génie du lieu, comme s'il ne s'était rien passé. On fait l'économie de l'Histoire.(...)" Parlant du projet qu'il dénonce, il ajoute : "On fait une sorte de programme attrape-tout, purement spéculatif (sic), dans lequel il y a en gros un tiers de logements, un tiers de bureaux, un tiers d'administration, quelques arbres et c'est fini.(...) On met le forme de la ville dans sa dimension la plus spéculative comme seul critère esthétique et d'urbanité."

12 années ont passé, un musée de milliardaire a fait illusion quelques temps, et aujourd'hui c'est plutôt des tentes de cirque qui investissent ce qui est désormais pour l'essentiel un terrain vague, en dehors d'un bout d'aménagement paysager "prêt à monter" équipé de tables en bois pour accueillir - probablement - des "appéros géants" pour bobos...
Et puis le 10 juin dernier, le "PCDAF", en qualité de grand coordonnateur de l'aménagement du site des anciennes usines Renault, annonce son projet dense car écologique (à moins que ça ne soir l'inverse ?) : 5 tours hautes d'une centaine de mètres, un long jardin couvert sous verrière, des commerces, des cinémas, et des pôles d'art et de musique à chaque extrémité.
Même si le "PCDAF" redit que ses tours doivent être imaginées comme des châteaux, la déclaration fracassante de mars 99 sonne aujourd'hui un peu faux (euphémisme).



Ainsi va, trop souvent, la vie des envolées lyriques en architecture et en urbanisme et des projets mirifiques qu'elles sont censées porter ; à l'image des produits de notre société : jetables !
Qui croire désormais, même après un beau discours ?
(surtout après un beau discours !)

Recto

Verso

4 commentaires:

  1. Et en attendant que les hommes se mettent d'accord, ce sont les oiseaux de l'île qui sont contents...
    (Si oiseau il y a)
    Pour le moment l'écologie est à son comble, l'île est en état "naturel".

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  2. Merci pour ton commentaire.
    Pour moi, l'état naturel de l'île c'était cette forteresse blanche que les démolisseurs ont abattue sans precautions. C'est une représentation de la barbarie : on rase l'histoire afin de ne pas prendre le risque qu'elle nous interroge. Car ce qui distingue le barbare de l'homme civilisé (et pas seulement celui des "grandes civilisations") c'est ce courage (cette nécessité ?) de se confronter à l'histoire.

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  3. On dit aussi que l'histoire se répète, donc.....wait and see.

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  4. Quand on dure assez longtemps on a vu tout et le contraire de tout.
    Montaigne

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