Dans ce petit roman (une centaine de pages) écrit en 7 mois entre novembre 1982 et juin 1983; Prix Renaudot 1984, la toute nouvelle lauréate du Prix Nobel de littérature 2022, la française Annie Ernaux, évoque par fragments le souvenir de son père disparu et partage, par endroits, avec le lecteur son travail d'écriture.
Les premières pages du livre sont consacrées à la description des obsèques de son père, décédé 2 mois après qu'elle ait été reçue au Capès de Lettres. Le roman s'achève par le récit de la mort (l'agonie) de son père et des fragments de mémoire sans liens apparents entre eux.
Entre ces deux limites, Annie Ernaux raconte une vie "ordinaire", celle d'un père d'extraction très modeste, campagnarde, honteux de ce statut autant que résigné ; une vie d'ouvrier, puis de petit commerçant, dans une époque qui va le laisser sur le bord de la route.
On a d'ailleurs l'impression de regarder dans un rétroviseur un paysage qui s'éloigne progressivement jusqu'à disparaître et ne plus subsister que dans les plis d'une mémoire. A la recherche du père perdu ?
L'écriture est fluide, sobre, débarrassée de tout effet stylistique, ponctué de termes en italique dont l'auteure nous dit que c'est "non pour indiquer un double sens au lecteur et lui offrir le plaisir d'une complicité, que je refuse sous toutes ses formes, nostalgie, pathétique ou dérision. Simplement parce que ces mots et ces phrases disent les limites et la couleur du monde où vécut mon père, où j'ai vécu aussi. Et l'on n'y prenait jamais un mot pour un autre."
L'une des toutes dernières phrases témoigne de la "raison" du livre et de ce qui constitue une faille autant qu'une richesse dans la vie d'Annie Ernaux : "J'ai fini de mettre à jour l'héritage que j'ai dû déposer au seuil du monde bourgeois et cultivé quand j'y suis rentré."