
Comment ne pas voir un récit autobiographique dans cette dérive qui nous conduit du parc zoologique de son enfance - un univers onirique, hors du temps, où les odeurs puissantes des animaux se conjuguent avec le souvenir de la figure de ce patineur noir, allégorie d'une certaine innocence - au bar à rencontres dans lequel l'homme drague, avec des mots avinés et une tendresse maladroite, une femme dont on ne connaîtra que très peu de choses et dont on observera la soumission (pécuniaire ? par pitié ?) ; une dérive du fin fond de l'Angola, théâtre d'une guerre absurde où le sordide côtoie en permanence l'ennui, où la mort et la folie rodent comme ces chiens galeux africains, jusqu'à son horizon actuel de solitude ?
L'enfance comme un marqueur pour toute une vie, cette expérience de la guerre, comme un autre marqueur profond, la dépression, la recherche sans illusions de l'amour, le regard sur soi, aussi cruel et sans concessions que le regard porté sur les autres, coincés dans une vie morne : voilà la face sombre de l'univers de Lobo Antunes traduit dans un style unique qui peut paraître par endroit pesant, forcé, dérangeant, dans lequel surgissent des pépites comme autant de fulgurances, où l'humour, toujours noir, n'est pas absent.
Lobo Antunes nous associe à une autre "Recherche du temps perdu", infiniment plus douloureuse, amère, désespérante que celle de Proust, à une prose aux accents baudelairiens des "Fleurs du mal".
Un livre essentiel.
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