mardi 12 mai 2009

Bécon les Bruyères Chapitre 1


En mai 1927, était publié aux Editions Emile-Paul frères, dans la collection "Portraits de France", un petit texte de 80 pages au titre lapidaire et prêtant à sourire : "Bécon les Bruyères". Il prenait place aux côtés d'opuscules plus urbains traitant de Toulon (Paul Morand), Rouen (André Maurois) ou Bayonne (Jean Cassou). L'auteur en était Emmanuel Bove, alors âgé de 29 ans et déjà célèbre avec "Mes amis", dont on comparait le talent à Proust ou Dostoeivski.
Les rituels permettent parfois au hasard de se justifier ; je m'explique. Quand je viens à Biarritz - et ça fait plus de 30 ans que je commets cette habitude - je m'oblige, sans que cette obligation tienne du devoir ou relève de la contrainte, à parcourir la ville selon un itinéraire toujours à peu près identique, jalonné d'étapes incontournables.
La première est inévitablement la Côte des Basques, que j'attaque par le haut, par ce belvédère équipé depuis peu d'un kiosque providentiel : "Les 100 marches". Lieu de rencontres du "Tout Biarritz bon chic-bien branché", on peut s'y régaler en panoramique de ce que je me plais à considérer comme "la plus belle vue du monde" : la plage de la Côte des Basques. Cette langue de sable versatile, lovée sous la falaise, déploie sa courbe sensuelle depuis la Villa Belsa jusqu'aux rochers de la Milady, comme la traîne négligée d'une mariée dont on regretterait l'inaccessibilité.
La seconde étape correspond souvent aux Halles centrales, paradant de pittoresque, avec ses commerçants choisis devenus complices et familiers au fil des années.
La troisième au classement - mais seulement par son éloignement de notre domicile - c'est la Plage du Miramar, ultime refuge au bout de la ville marine, et ses rochers habités du vacarme de l'écume, semblables à deux immenses épaves ennuyées.
Quatrième escale, plus intime : le Bookstore ; cet espace de librairie aux faux air de Western, placée juste à l'endroit où la ville cesse d'être urbaine pour devenir résolument estivale.
J'entre donc au Bookstore. A la seconde où j'en franchis le seuil, je me sens un peu dans une sorte de second "chez moi" ; c'est inévitable. Il y a cette cabine minuscule sur la droite qui me fait penser à la caisse d'un manège d'enfants ; il y a les livres recommandés par la maison, ou ceux qui sont le plus demandés, rangés sur une petite table au pied de l'escalier ; il y a cet escalier qui se dédouble à partir d'un palier intermédiaire pour vous conduire au premier étage ; et enfin cet espace du premier étage où trônent un grand Chesterfield complice et une autre cabine en bois verni noire, érigée comme la vigie d'un navire, accessible aux seuls membres de "l'équipage". La plupart du temps, il règne à cet étage un silence recueilli au milieu d'un désordre rassurant constitué de dizaines de piles de livres de hauteurs inégales posées à même le sol.
Cette fois, le silence était bien là, mais c'était un silence vide. Non seulement, les piles étaient plus rares, mais également beaucoup moins hautes. Les murs garnis d'étagères qui, jadis, regorgeaient d'ouvrages installés sans hiérarchie et avec une fantaisie plutôt sympathique, frôlaient l'anémie. Le silence d'hier avait perdu de son charme en perdant le voisinage de tous ces drames, ces vies, ces émotions, ces couleurs ou ces parfums contenus dans les milliers de pages des livres désormais absents. On ne lit pas de la même façon dans un espace vide et dans un lieu habité par les livres. Mais peut-être ne devrai-je parler que pour moi ?
Après avoir fait quelques pas sans conviction, je m'apprêtai à redescendre quand le hasard plaça avec malice sous mes yeux un ouvrage de petite taille avec une couverture banale, sans titre. Je le retournai et parvenai assez difficilement à lire
"PAR
EMMANUEL BOVE
BECON-
LES-BRUYERES
EDITIONS CENT PAGES
COSAQUES
2009"

2 commentaires:

  1. C'est curieux : je déteste la routine, et je suis fasciné par les rituels, à condition qu'ils ne soient pas imposés, mais librement choisis.

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  2. C'est ton côté mystique Gérard ! rassure-toi : ça ne se soigne pas.

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