jeudi 2 avril 2009

Rien de spécial à dire

Quand on a rien de spécial à dire sinon des trucs épouvantables, alors on se tait. Mais ce n'est pas si facile quand les mots ne demandent qu'à exister. Ils piaffent sous le clavier. Ils se bousculent derrière l'écran. Ils hurlent leur désir de reconnaissance : apparaître, s'unir, composer, par affinités, dans un ordre stylé : article, sujet, verbe, complément ou bien verbe, sujet, article, complément ; pourquoi pas ? Il est probable qu'à ce petit jeu, une conjonction cède à la tentation de faire l'intéressante. Une préposition peut se pousser un peu du col ! J'ai vu des phrases qui perdaient tout leur sens, titubaient, asphyxiées par un excès d'efforts - une virgule qui peine à arriver, un point qui se fait attendre, des parenthèses qui s'emboîtent comme des poupées russes, un sens que l'on ne retrouve plus : interdit, giratoire, unique, insensé, au-delà du sens, indésens...
C'est parfois triste de voir passer une phrase sinistre aux accents graves, avec une mine désolée de commis voyageur sans bagages. Mais c'est sympathique de constater que - même de nos jours - il y en a qui n'hésite pas à sauter à la ligne, à tenter une échappée dans un paragraphe tout neuf en klaxonnant avec des accents aigus à n'en plus finir, comme sur la route des vacances. Mais gare aux imprudences : une intonation un peu trop appuyée, un mot plus haut que l'autre, et c'est le dérapage verbal !
Un jour - un matin précisément - j'en observais une du coin de l'oeil, silencieuse, offrant aux premiers rayons du soleil une moue délicieuse et ss silhouette latine ; j'appris qu'elle se prénommait : "motus et bouche cousue" et que son exercice de prédilection consistait à se glisser dans le cercle des rumeurs pour tenter de saisir un non-dit susceptible de se disculper dans des points de suspension ; parfois même il lui arrivait de dénoncer une médisance prise au piège d'une parenthèse.
Si vous avez un peu de patience, à la tombée d'un texte, vous pouvez rencontrer la phrase-reine, la conclusive, la lyrique, celle qui se rengorge en imaginant que toute l'assemblée n'a de regard que pour sa sortie ; que chaque lettre de chaque mot de chaque phrase de chaque paragraphe qui la précède n'existe que pour déguster sa chute.
Point final.
Conclusion : quand on a rien de spécial à dire sinon des trucs épouvantables, alors on devrait vraiment se taire.

4 commentaires:

  1. Oui, tu as raison d'évoquer tout cela. Je me trompe peut-être mais j'ai l'impression que le statut des mots, des petites phrases, des choses dites change de fonction dans notre société actuelle. Tout se passe comme si la forme se substituait au fond, comme si ce qui était important ce n'était pas ce qui était dit ou écrit. C'est un peu comme dans une partie d'échec, les choses dites ne prennent leur sens réel, celui qui est le moteur du comportement, que trois ou quatre coups après.
    Ne rien dire, dire le contraire de ce qu'on fait, dire ce qu'on fait sous de multiples formes en utilisant la répétition systématique sont des actes qui ne révèlent leur véritable sens que lorqu'on découvre la logique qui qui les sous-tend.
    Nous devons en permanence décoder le discours, le hic c'est que le décodage est un art qui ne s'apprend pas beaucoup à l'école (à l'exception de quelques grandes institutions de la République). Cette nouvelle fonction du langage, ce professionnalisme naissant des coureurs d'estrade et de prébendes fait que les moutons de Panurge se précipitent tout droit vers les portes de l'abattoir, tels les chevaux de la légende de Solutré.
    Notre système politique est totalement faussé par des bonimenteurs de foire qui se prennent pour Isocrate ou Cicéron.
    Isocrate, l'orateur athénien disait ceci : "Parce que nous avons reçu le pouvoir de nous convaincre mutuellement,et de faire apparaître clairement à nous-mêmes l'objet de nos décisions,non seulement nous nous sommes débarassés de la vie sauvage, mais nous nous sommes réunis pour fonder des cités; nous avons établis des lois, nous avons découvert des arts."
    Quant à Cicéron, il considérait que le logos, qui peut se définir comme la capacité de parler et de se parler, de convaincre et de se convaincre, est le vrai fondement de la démocratie. "Le citoyen est orateur et le meilleur orateur sera le meilleur citoyen."
    Aujourd'hui le discours public a changé de nature, cette arme de la démocratie peut de retourner contre elle et le meilleur bateleur pourrait bien se révéler être le pire des citoyens, celui qui mesure sa grandeur et son pouvoir à l'aune d'une montre suisse.

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  2. Je n'aurais jamais pensé que ces qq phrases extraites d'une pensée en mal d'imagination puissent t'amener à de telles considérations. Je ne connaissais pas Isocrate. Il me semble que sa phrase n'est pas tout à fait comparable à celle de Cicéron (habile politique si je ne m'abuse ?) : dans le 1er cas, il y a compréhension, échange, dialogue et dans le second il y a sens unique !
    Après tout, je me fous de tout ça car j'ai la goyave !

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  3. Je n'aurais jamais pensé que ces qq phrases extraites d'une pensée en mal d'imagination puissent t'amener à de telles considérations. Je ne connaissais pas Isocrate. Il me semble que sa phrase n'est pas tout à fait comparable à celle de Cicéron (habile politique si je ne m'abuse ?) : dans le 1er cas, il y a compréhension, échange, dialogue et dans le second il y a sens unique !
    Après tout, je me fous de tout ça car j'ai la goyave !

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  4. Je n'aurais jamais pensé que ces qq phrases extraites d'une pensée en mal d'imagination puissent t'amener à de telles considérations. Je ne connaissais pas Isocrate. Il me semble que sa phrase n'est pas tout à fait comparable à celle de Cicéron (habile politique si je ne m'abuse ?) : dans le 1er cas, il y a compréhension, échange, dialogue et dans le second il y a sens unique !
    Après tout, je me fous de tout ça car j'ai la goyave !

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