D’un récent voyage dans le nord-ouest de l’Espagne, depuis la Biscaye jusqu’en Galice, en passant bien sûr par la Cantabrie et les Asturies, je n’ai tiré, à une ou deux exceptions près, que des déceptions des bâtiments contemporains que j’ai pu voir. D'où le titre "Mais qu'est-ce qu'il m'arrive ?"
Je ne vais pas évoquer le Guggenheim de Bilbao où je suis allé cinq ou six fois, peut-être davantage, dont la force extravagante me fascine toujours - cette manière insolente de partir à l’assaut du Ponte de la Salve, cette allure de créature sortie des âges, au repos sur les berges de la Nerbioi Ibaia. Je l’ai laissé cette fois de côté pour lui préférer le pont-transbordeur de Guecho dans la banlieue de Bilbao, le plus ancien au monde encore opérationnel (1893).
A Santander, mon impatience à découvrir l’une des œuvres récentes de Renzo Piano s’est soldée par une première déception. J’ai abordé la Fondation Botin par le coté, c’est à dire depuis un angle où elle ressemble à une sorte d’immense soucoupe volante posée sur de rares appuis visibles. Cette impression de lévitation de la masse du bâtiment s’opère par la dissimulation de certains poteaux dans l’espace vitré d’un rez-de-chaussée habité par une cafétéria-librairie, et par les porte-à-faux des extrémités, surtout celui au-dessus de l’eau sous lequel se glisse le Paseo maritimo.
Quelques secondes après cette découverte insolite, un détail de l’enveloppe - que je savais constituée de milliers de disques de céramique blancs - m’a intrigué : un quadrillage de grande dimension dont les lignes n’étaient pas très régulières, que j’ai pris dans un premier temps pour des joints (absents des photos de la Fondation vues dans les magazines), s’est révélé être constitué des câbles principaux d’un filet qui enveloppait la totalité des façades… Stupeur et tremblements !
J’ai entrepris de faire le tour de l’édifice afin de tenter d’en appréhender la totalité. Peine perdue : impossible de percevoir le bâtiment dans sa globalité, aucune perspective évitant l’amputation de l’un ou l’autre des deux satellites qui composent le bâtiment, tels les deux moitiés d’un jouet futuriste articulé.
J’ai ensuite emprunté un escalier métallique pour accéder au musée situé au premier étage. Avant de pénétrer dans l’espace muséal, je me suis retrouvé dans un entre-deux (les deux coques de la soucoupe volante) saturé de dispositifs métalliques - escaliers, passerelles, verrières, marquises - parfaitement bien dessinés (comme toujours chez Piano), mais dont l’abondance exprimait une sorte d’éloge techniciste au détriment d’une poétique de l’espace qui aurait fait écho à la beauté marine du site et à la vocation sociale et culturelle de la Fondation.
Un zeste de réconciliation me fut apporté par un détour sur les passerelles en porte-à-faux au-dessus de l’eau et un autre par le belvédère aménagé sur le toit de l’une des coques : vues remarquables sur l’horizon maritime et les quartiers anciens de Santander ; dito pour l’espace d’exposition d’une très grande clarté qui s’ouvre sur une vue saisissante sur la baie.Bilan mitigé, alors qu’il ne devrait y avoir que de l’enthousiasme...
Aviles est une belle petite ville des Asturies logée au fond de l’une de ces rias qui ponctuent la côte, avec son centre ancien aux rues bordées de maisons portées par de solides piliers de pierre ou de bois, ménageant des galeries comme autant de circulations à l’abri du soleil et de la pluie, et sa vaste place du marché ceinte de hautes façades entièrement tapissées de bow-window.
C’est dans le bas de la ville, là où jadis venait s’amarrer une noria de bateaux de pêche, que surgit la dernière œuvre du maître centenaire brésilien, Oscar Niemeyer ; un centre culturel éponyme qui veut témoigner du renouveau post-industriel de la ville.

Quatre objets architecturaux distincts - une grande salle de spectacle, le « volcan », pour des expositions, une tour-belvédère avec restaurant sommital et un bâtiment polyvalent -, auxquels il convient d’ajouter une galerie, long ruban sinueux qui relie le « volcan » à la salle de spectacle, composent ce qui constitue aujourd’hui l’attraction touristique de la ville - un « effet Aviles » comme il y a un « effet Bilbao », mais en plus modeste.
On retrouve dans le dessin, la matérialité et la couleur uniformément blanche des bâtiments, le style Niemeyer, mais sans la force de certaines de ses œuvres antérieures : la tour-belvédère n’est pas le musée Niteroi de Rio, le « volcan » et le ruban sinueux copient avec moins de grâce ceux du Havre, l’auditorium présente une lourdeur inattendue du maître du rythme et de la volupté architecturale. Nouvelle petite déception, mais pas la plus grande.

On ne présente pas - ou plus - Saint-Jacques-de-Compostelle, tout du moins sa cathédrale et la place de l’Obradorio, point de convergence d’un engouement qui enfle d’année en année pour cet exercice d’endurance qui, pour certains, constitue une sorte de certificat d’auto-valorisation ou une case cochée au tableau de chasse des incontournables trophées touristiques labellisés par les tour-operators et les DRH des compagnies "hype".
Quoi qu’il en soit et si l’on fait abstraction des hordes de touristes/pélerins, la ville ancienne, toute de pierres et de religiosités, est magnifique.
Deux œuvres contemporaines figuraient dans ma liste des choses à voir : le musée d’art contemporain d’Alvaro Siza et le Centre de la culture de Galice d’Eisenmann.
Concernant le premier, l’état de sa façade en dalles minérales noircies (faute probablement d’entretien) me dissuadait - sans doute à tort - de pousser plus loin mes investigations (il semblerait que les espaces intérieurs et le jardin sont remarquables, m'a-t-on dit). Mais il en va des bâtiments comme des humains : une mauvaise apparence peut être dissuasive pour engager plus avant un dialogue.

Concernant le Centre de la culture de Galice, placé en retrait de la ville et lui faisant front, son gigantisme interroge autant que ses volumes métaphoriques suggérant le littoral galicien : rias et massifs rocheux découpés (c'est mon interprétation ou peut-être l'ai-je lu quelque part).
Impossible d’en avoir une vision globale (ici encore) sauf à affréter un hélicoptère.
La métaphore (supposée) est poussée jusque dans la couverture des toitures en pente et d’une partie des surfaces des « parois », par le biais d’un revêtement en dalles de pierre rugueuse de couleur ocre et rouille ; un choix de matérialité qui m’a paru plutôt judicieux.
Le langage structurel verse dans le registre déconstructiviste, mais avec une dyslexie qu’on imagine parfaitement compatible avec une fantaisie de promoteur immobilier.

L’exercice métaphorique qui a multiplié par quatre le prix initial (hémorragie stoppée avant la fin du projet) aurait pu aboutir à quelque chose de pire : la métaphore en architecture s’avérant un choix à risques, dont le résultat est le plus souvent banal ou catastrophique.

La Corogne, à l’extrémité ouest de la Galice, dispose d’un site exceptionnel confronté à un océan le plus souvent agité. Les romains, qui ont édifié au IIème siècle de notre ère un phare dénommé la Tour d’Hercule, ne se sont pas trompés quant à la beauté du site et la dangerosité des côtes. Cet édifice, recustomisé au 17éme dans un style classique, est le plus ancien phare du monde encore en service.
Le reste du front de mer de La Corogne s’inscrit dans la longue liste des littoraux espagnols vilainement bétonnés, où les architectes semblent avoir renoncés à toute velléité fantaisiste.
Dans ce contexte, le Musée Domus-Maison de l’homme de l’architecte japonais Arata Isozaki, aurait pu apporter une note un peu différente, mais cette voile d’écailles d’ardoise - elle aussi sous filet ! - ne met en évidence qu’un rectangle aveugle qui n’invite pas au détour.
Oviedo, dans les Asturies, au sud de Gijon et au pied de la Cordilliere de Cantabrique et ses très beaux Picos de Europa, est une ville dynamique, animée par une vie étudiante trépidante, agrémentée de remarquables édifices et d’une « rue de la soif » où les cidrerias, alignées comme à la parade, accueillent dès le jeudi soir une foule d’assoiffés, touristes et locaux confondus.
Dans les nouveaux quartiers des faubourgs d’Oviedo, Santiago Calatrava a livré un spectaculaire Palais des Congrès dans la veine d’un expressionnisme structurel démesuré, déjà exercé sur la gare de Liège ou celle du WTC à New-York. On est ici, à nouveau, très loin de la délicatesse et de la pureté de ses premières passerelles et de la ligne de son chais dans la Rioja. Se confronter aujourd’hui à ce type d’œuvres produit une impression d’anachronisme édifiant.

Deux œuvres en revanche méritent à mon sens d’être signalées pour leur qualité architecturale : le parador de Muxia, un ensemble entièrement neuf datant de 2020 et celui de Santo Estevo, près d’Ourense, qui a fait l’objet d’une remarquable rénovation., dans une abbaye de toute beauté.
A Muxia, l’architecte galicien Alfonso Penela, a conçu un dialogue subtile avec son environnement en inscrivant les chambres dans la pente escarpée qui dévale jusqu’au rivage sauvage de cette Costa da Morte. Les émergences - accueil, restaurant, salles de conférence et réunions - adoptent des formes origamiques sages et une belle matérialité qui augurent d’une voluptueuse quiétude.
Celle-ci règne également au parador Santo Estevo grâce à la très belle rénovation de cette ancienne abbaye bénédictine au cœur de la Ribeira Sacra, l’un des meilleurs vignobles de Galice, sur les coteaux de la magnifique vallée du Sil. Dans le plus grand des trois cloîtres - le roman-, la façade vitrée que les architectes ont proposé pour l’aile nord dont il n’était pas possible de relever les ruines, inscrit sa modénature contemporaine avec justesse dans l’écrin du roman galicien du XIIème siècle.