Je ne suis pas parvenu à quitter « Le consentement », le livre-témoignage de Vanessa Springora relatant l’emprise que le quinquagénaire « G.M. » - Gabriel Matzneff - s’est délecté d’avoir sur elle alors qu’elle n’avait que 14 ans, avant d’en avoir fini de lire la dernière ligne. Le livre achevé au cœur de la nuit, il me reste, en dehors du dégoût pour cet homme d’une perversité criminelle, auquel les qualificatifs de pédophile, manipulateur, mythomane, délinquant sexuel - ou « éphèbophile » comme l’invente l’auteure -, peuvent être attribués avant celui d’écrivain, des interrogations au goût amer : Comment tous ces intellectuels, dont le rôle essentiel à mes yeux est de nous aider déchiffrer les mystères de la vie, ont-ils pu être à ce point complices et même « souteneurs » (le terme n’est pas usurpé) des agissements de G. au point de flatter son ego surdéveloppé en l’invitant sur les plateaux-télé, dans une émission-phare de la littérature (« Apostrophes ») ; comment un président, figure de la culture « à la française », a-t-il pu cautionner l’écrivain-pervers et son œuvre scélérate jusqu’à lui témoigner son admiration, quand, régulièrement, des passants ordinaires, sans doute moins cultivés mais certainement plus clairvoyants, n’hésitaient pas à dénoncer le criminel ? Comment tous ces intellectuels « de gauche » ont-ils pu être entravés par ce mantra qu’ils avaient aidé à institutionnaliser : « jouir sans entraves » ? On va dire « autre temps, autres mœurs ». Mais les oppositions récentes à condamner certains comportements au prétexte « qu’on ne peut plus rien dire, qu’on ne peut plus rien faire » prouvent que l’histoire n’avance qu’à petits pas.
Le livre interroge aussi sur la question de la séparation entre l’œuvre et son auteur. Pour ma part, j’ai tranché : avant d’être écrivain, Céline est un ignoble raciste antisémite et avant d’être « un monstre sacré » du cinéma, Depardieu est un gros porc (ce dont il ne semble pas se cacher vu ses grognements poussés à la seule vue d’une jeune femme, voire d’une jeune fille). Libre à chacun de lire Céline ou de visionner Depardieu.
Par ailleurs, une œuvre d’art et son auteur ne sont pas au-dessus des lois ; production humaine par excellence, celles-ci participent entièrement de ce qui fait « humanité », c’est à dire cet ensemble de règles communes qui permettent à une société d’élever quelques digues à la barbarie quand la seule conscience n’a jamais suffit.
Je réserverai un hommage ultime à Denise Bombardier (1941-2023) qui est courageusement intervenue (elle fut la seule) lors d’un Apostrophes en mars 1990 pour dénoncer le caractère éminemment criminel des agissements de Matzneff que le microcosme de l’édition protégeait alors par son silence.
Dixit Wikipedia, à la suite de cette intervention, les ouvrages de Denise Bombardier ont cessé d’être recensé ; en 2019 (hier !), l’ancienne directrice du « Monde des livres » (qui soutient toujours le pedocriminel Matzneff) la qualifiait de « purge » qui « participe à une chasse aux sorcières ».
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