mercredi 10 août 2022

Inès et la joie


 Le 19 octobre 1944, quelques centaines de républicains espagnols exilés en France s’infiltrent en Espagne par le Val d’Aran dans le but de renverser la dictature franquiste. L’opération a été commanditée par Jesus Monzon, chef du PCE de l’intérieur (les autres dirigeants sont en URSS). Politicien ambitieux, grand séducteur mais homme de gauche de conviction et d’une loyauté irréprochable : condamné à 30 ans d’emprisonnement par Franco, il ne trahira jamais ses « camarades » du PCE bien qu’ils l’aient banni de leurs rangs et accusé des échecs de la « Reconquistada », et ce, malgré les remises de peine que ses révélations lui auraient permis d’obtenir. Il est l’amant de Carmen de Pedro, femme sans envergure, que la Pasionaria (secrétaire général du PCE) a nommée pour la remplacer durant son exil. Le 27 octobre cette épopée s’achève par un repli contraint faute du soutien des alliés et du non-soulèvement de la population espagnole.
Inès est une femme issue de la haute bourgeoisie fasciste. Son frère, Ricardo, est membre dirigeant de la Phalange. Elle passe les 20 premières années de sa vie comme pouvaient le faire un grand nombre de jeunes femmes de ce milieu : à l’apprentissage de sa future vie de femme au foyer et de mère. Mais Inès se rebelle et l’une de ses voisines lui ouvre les portes d’un monde de liberté, progressiste et féministe. Vient la Guerre d’Espagne et Inès s’engage aux côtés des Républicains. Après la défaite de ces derniers, elle est emprisonnée plusieurs années dans une prison sordide, puis 2 ans dans un couvent et enfin dans la maison familiale dont elle finit par s’enfuir pour rejoindre les combattants du Val d’Aran.

Alminada Grandes, disparue fin 2021, place cet épisode oublié au cœur de son roman qui balaye une quarantaine d’années de l’histoire de l’Espagne depuis les années avant le coup d’état de Franco, jusqu’aux années 70. 

Elle fait dialoguer à la perfection la réalité historique et la fiction. Elle s’y emploie en inventant un grand nombre de personnages (on peut s’y perdre), chacun détenant une part d’humanité. Son procédé narratif est assez analogue à celui pratiqué dans son roman « Les secrets de Ciempozuelos » : 2 ou 3 narrateurs différents, des allers et retours fréquents entre passé et présent (parfois déroutants), des descriptions très réalistes du quotidien.

Les relations amoureuses entre les différents personnages constituent l’une des trames principales du récit. Elle use ainsi de cette phrase récurrente : « L’Histoire immortelle accomplit des choses étranges en croisant la trajectoire de l’amour des corps mortels. »

La cuisine espagnole (Inès révèle des talents culinaires) occupe une place également importante avec mille détails d’une attention toujours présente dans la préparation des plats, qu’il s’agisse de repas rustiques ou plus sophistiqués.

Plus de 1000 pages représente une somme dont l’épaisseur peut décourager. Ce serait dommage car non seulement l’auteure parvient à nous immerger dans les différents univers qu’elle compose, depuis les versants pyrénéens, les quartiers populaires de Toulouse, jusqu’à Madrid, mais elle nous invite à aller plus loin encore dans la connaissance de cette parenthèse tragique de l’Espagne, introduction aux épisodes les plus sanglants du XXeme siècle.


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