mardi 3 mai 2016

Morland... Mort lente ? Ou More Land ?



Le 2 mai 2016 au soir s'est tenue au Pavillon de l'Arsenal une conférence portant sur le projet lauréat du concours pour rénover l'ex-bâtiment de la Préfecture de Paris, autrement dénommé "Morland", dans le cadre de l'appel à projets innovants lancé par la Ville de Paris. L'architecte du projet, David Chipperfield, l'artiste auquel avait été confié la tâche de faire rêver l'attique de la tour, Olafur Eliasson, et l'investisseur, Laurent Dumas, président-fondateur d’Emerige, étaient présents pour l'occasion. Jean-Louis Missika, artisan de réinventer Paris, introduisait la conférence.



Dans la première partie de son intervention, David Chipperfield s'est employé à justifier la relation vertueuse que Paris avait su imposer entre le public et le privé ; par opposition à Londres qui a trop privilégié le second. Il n’y a pas d’incompatibilité entre le monde de la finance et celui de l’intérêt public, nous a exposé Chipperfiled ; la preuve : le projet de Morland. On peut s’interroger sur l’énergie déployée par l'architecte sur ce registre : était-il en service commandé après les polémiques que cet appel à projets a suscité dans le microcosme architectural qui a pointé du doigt la part belle faite aux investisseurs, au détriment des maîtrises d'œuvre peu ou pas rémunérées pour un travail long et exigeant ? Son insistance sur ce thème le laisserait supposer. Ou bien est-ce une conviction personnelle parfaitement en cohérence avec le "main stream" libéral actuel ?

Il y eut ensuite une séquence "common ground" pour reprendre le thème de la biennale de 2012 dont il était le commissaire, au cours de laquelle le futur probable Pritzker avertit tout un public d'étudiants qu'il fallait oublier cette posture romantique de l'architecte-artiste, et tenta de nous convaincre que l'important en architecture c'était d'écouter les non-architectes. Beau sujet de débat !
Enfin, nous eûmes quelques explications sur le projet. Bien sûr, la relation à la Seine, forcément la connexion avec le fleuve depuis le boulevard Morland, évidemment l'exploitation du dernier étage de la tour, incontournablement l'agriculture urbaine sur les terrasses, et puis un zeste de porosité, un autre de mixité ; il y aurait pu avoir un zeste de réversibilité voire même de « sérendipité » car rien ne s’imagine de nos jours sans ce « hasard bienveillant » (tiens, rien sur la bienveillance ?...).
La fermeture de la "cour d'honneur" de Morland - un espace sans intérêt pour Chipperfield - justifiée par la création d'un patio plus intime ne m'a pas convaincu. Quid de l'appel vers la Seine ? Quid de la monumentalité de la tour ? (il est significatif que l'affiche de la conférence ne fait apparaître que les derniers étages de la tour et non l'objet dans sa totalité). Il est envisageable que des raisons de rentabilité du foncier ou de nécessité programmatique aient supplanté ici la logique urbaine. Mais il sera difficile, si mes souvenirs sont bons, d’édifier ce nouveau bâtiment situé dans l’alignement de Morland, compte tenu de la proximité de la ligne de métro souterraine (un détail technique). Pas convaincu non plus par ce rez-de-chaussée en arcades dont les arcs mollassons jurent avec la modénature affirmée du bâtiment originel (qu'il a su à juste titre conserver). Le creusement du rez-de-chaussée de la tour afin de créer le passage vers la Seine sera aussi un joli défi technique (mais « fuck the technique ! » comme dirait l’autre).
Olafur Eliasson nous a parlé de la différence entre les sens et l'imaginaire, et m’a révélé qu’il y avait une différence entre toucher la glace et ressentir à son contact le froid, et imaginer ce froid en voyant un glaçon. Cet homme a trop lu en boucle la 1ère phrase de « Cent ans de solitude » !...
Mais quel remarquable compteur ! Il nous l’a dit d’ailleurs à un moment : l’important était de savoir dire les choses ; le « story telling » comme pilier de notre culture en quelque sorte ? Au bilan, un beau récit illustrant parfaitement un projet dont on perçoit encore mal les contours concrets ; mais nous sommes encore dans le rêve et, bien entendu, il est indispensable de commencer par-là (dixit Shakespeare) ...
Missika s’est dévoué pour poser une question : il souhaitait juste en savoir davantage sur ce fameux cheminement vers la Seine. Réponse évasive et expéditive de l'architecte.
Quelques autres questions pas bien méchantes qui ont tourné autour des considérations entre art et architecture, artistes et architectes, et il fallut conclure car ces deux éminents personnages avaient obligatoirement des obligations (la notoriété d’une personnalité est directement proportionnelle avec son degré d’obligations).
L'investisseur a promis une ouverture en février 2020. L'artiste et l'investisseur se sont congratulés comme s'ils avaient remporté une manche d'un combat de catch. Rendez-vous est pris. Il faut souhaiter à ce projet qu'il n'en reste que le meilleur.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire