Sandor Maraï (1900-1989) |
Un homme d’origine espagnole, ancien moine-inquisiteur,
écrit depuis Genève une longue lettre à son frère qui vit à Avila en Espagne.
Nous sommes en 1600. Cette lettre est le récit de son expérience des seize mois
qu’il vient de passer à Rome auprès de la Sacrée Congrégation de l’Inquisition
romaine. Il y a reçu un enseignement précis et rigoureux des méthodes déployées
par les exécutants de l’Inquisition, dans les rangs desquels chacun à un rôle
particulier à tenir, pour traquer l’hérésie partout où elle est susceptible d’exister.
Il a partagé à plusieurs reprises les heures d’attente des confortatori – les confortateurs -, moines ou simples bourgeois,
qui sont volontaires pour intervenir ultimement, juste avant que le supplicié
soit conduit au bûcher, pour tenter de lui faire abjurer son hérésie. Mais
jamais il n’a pu pénétrer dans le Château Saint Ange, où sont reclus les
prisonniers les plus célèbres, pour
assister à ces derniers instants avant l’exécution finale. A la veille de son
départ de Rome, on l’autorise à accompagner cette troupe sinistre qui doit
tenter de sauver un « hérétique d’une engeance incomparablement plus
tenace que n’importe qui » : Giordano Bruno. Cette expérience
constitue une révélation pour l’inquisiteur novice.
Sandor Marai nous plonge au cœur de cette organisation
criminelle qui institutionnalisa la terreur durant plusieurs siècles sur une
grande partie du continent européen et jusqu’aux colonies. Mais le très grand
écrivain hongrois qui s’est suicidé en 1989, prend le prétexte de ce récit
historique pour dénoncer les régimes totalitaires comme le nazisme ou le
stalinisme qu’il a subit et qui l’on contraint à l’exil. Il met en évidence le
mécanisme terrible des dictatures idéologiques qui se fondent sur une vérité
unique dictée par une minorité de psychopathes et l’adhésion massive d’individus
guidés par la peur, l’intérêt personnel ou cette déchéance du statut humain
dénoncée par Hannah Arendt : la banalisation du mal.
Au terme de ce sombre tableau à l'écriture somptueuse, un espoir subsiste : « Il
restera toujours quelque part un hérétique qu’ils ne réussiront pas à brûler à
temps. Et un seul homme est capable de contaminer tous les hommes sains, tel le
lépreux qui ne porte pas de clochette à son cou. »
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