Paru en 1982, traduit en 1987 en français (remarquable traduction de Laure Bataillon nous dit on) et édité chez Flammarion, le livre était épuisé jusqu'à ce qu'une petite maison d'édition, Le Tripode, ait l'excellente idée d'exhumer ce livre dont des personnes averties nous indiquent qu'il s'agit de l'une des œuvres-clés de l'univers littéraire de Saer, écrivain argentin (1937-2005), qui a écrit plus de trente ouvrages.
"L'ancêtre" est inclassable : ce n'est ni un roman-historique, ni un conte philosophique ; plutôt les deux à la fois, mais dans ce qu'il y a de meilleur, servi par un style formidable. Le roman est inspiré d'une histoire réelle, celle d'un mousse d'une quinzaine d'années embarqué dans une expédition maritime vers les "Indes" en 1515, et seul rescapé d'une petite troupe descendue à terre, exterminée par des indiens. Le mousse restera dix ans dans cette tribu avant d'être libéré par une autre expédition. Saer donne à son héro un mystérieux statut de privilégié - le def-gui - aux multiples acceptions. Le roman est écrit par le mousse devenu vieillard, après avoir vécu d'autres vies (moinillon, saltimbanque) qui paraissent un peu dérisoires à l'aune de son expérience dans les îles. Ce serait une gageure de vouloir résumer ce roman dont on sent (à défaut de les identifier tous) les multiples "ressorts". J'engage à consulter le commentaire sur cette œuvre écrit sur le bloc "L'escalier des aveugles*" ; il est remarquable et propose un certain nombre de clés de compréhension du texte.
Plusieurs thèmes sont à l'honneur dans ce roman : celui de la vérité (qui n'existe pas), du doute (qui doit être le passage obligé de la réflexion), du rationnel et du visible (murailles contre tous les "complots"), de la faute ou du mal (qui s'imposent pour équilibrer le bien), celui du souvenir (qui forge notre identité), l' "être" qui se dit "paraître" dans le langage des indiens, ...
Mais Saer ne prétend pas donner une leçon d'intelligibilité de la vie ; bien au contraire. Le manichéisme alterne avec l'irrationnel, le réel avec l'imaginaire. La seule vérité semble résider dans la complexité des choses, ce qui oblige à l'humilité et au respect.
Extraits :
"La mort et les souvenirs en cela se révèlent égaux. Ils sont pour chaque homme, uniques, et eux qui croient avoir, pour les avoir vécus dans une même expérience, des souvenirs communs, ne savent pas qu'ils ont des souvenirs différents et qu'ils sont condamnés à la solitude des ces souvenirs comme à celle de leur mort."
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