mardi 13 mai 2025

Ce matin au kiosque, la centième : Cadillac, robot androïde, tourisme de masse et Florence

Toutes les bonnes choses ont une fin. Voici la centième. J’ignore si ces chroniques sont une « bonne chose » ni s’il est utile de les rassembler pour en faire un petit ouvrage dont l’intérêt sera davantage d’exister en format livresque, modestement - et on peut s’interroger sur l’utilité d’exister autrement que modestement -, plutôt que de générer un lectorat autre que confidentiel.

Il fait doux ce matin dans les rues silencieuses de Bécon ; un havre de paix, en quelque sorte. En selle sur mon vélo, l’air chargé d’effluves de rosiers, de pittosporums et de seringats, glisse comme une caresse sur mon visage. Un vent de félicité… 

Gilles est seul, assis à l’une des trois tables du parvis judicieusement exposée aux premiers rayons du soleil, à se faire dorer la pilule. 

Les deux jeunes arbres de la place - des érables probablement, il faudra que je vérifie - affichent un houppier printanier dense et la promesse d’une ombre accorte pour les (très) chaudes journées d’été qui ne manqueront pas de nous accabler encore cette année. « Drill, drill, drill, baby drill ! » vocifère le Père Ubu de l’autre côté de l’Atlantique ; un appel au chaos ordinaire, sans doute applaudi par cette femme qui affiche fièrement une poitrine de competition sous un T-shirt siglé « Trump girl » dans le générique de « L’heure américaine » de la chaîne France Info.

Gilles, lui, ne fore pas. Il a enfourché sa Royal Enfield et s’est rendu hier à Suresnes pour contempler les voitures de collection qui s’exposent tous les deuxièmes dimanches du mois sur les pentes du Mont-Valérien. Aston-Martins, Jaguars, Rolls, et autres Austin-Healey font ici admirer leurs chromes entretenus avec un soin maniaque par leurs (riches) propriétaires ; des types qui peuvent avoir deux, trois ou quatre bagnoles à 100 000 balles ! soupire Gilles, en s’interrogeant sur l’origine de toute cette « oseille ». Mais son regard s’est aussi porté sur une estafette Renault état concours et une Juvaquatre qui lui ont rappelé son enfance beconaise. Nous embrayons (forcément) sur la nostalgie des formes sensuelles des voitures des années 60. Il me parle d’une Daimler qu’il détenait comme un trésor, de tablettes arrière et de tableaux de bord en ronce de noyer, de la parade de compteurs ronds et de manettes chromées, du cuir cousu mains des sièges, … Et puis le parfum subtile que ces intérieurs généraient, et ce moteur qu’il avait poussé jusqu’à 240 km/h. 

Il avait possédé, jeune, une Cadillac aux ailes triomphantes et aux phares avant généreux comme une superbe poitrine (il me fait le geste des deux bras pour que je prenne la mesure de la volupté en question). 

Mon père, lui, avait une 403 et jalousait un boucher de sa connaissance qui roulait en 404, lequel, équipé d’un ventre satisfait, prenait un malin plaisir, pour peu qu’il croisât mon père alors qu’il astiquait sa 404, à caresser avec tendresse le galbe aigu des ailes de son véhicule, comme il devait caresser la croupe de la bête qu’il avait sélectionnée chez un éleveur, imaginant déjà le train de côtes de bœuf ou le morceau de bavette qu’il allait en extraire. Mon père troqua sa 403 aux ailes pataudes contre une Volvo 121 bleu ciel, intérieur cuir et toit ouvrant, m’invitant, à chacun de nos trajets, à « écouter le silence du moteur ».

Christiane nous demande l’autorisation de s’asseoir à notre table. Autorisation accordée ; nous cessons subito nos « discussions de mec ». Que nous raconte Christiane ? Elle va plutôt bien, elle n’a pas entendu l’orage de cette nuit mais c’est certainement parce qu’elle regardait un western à la télé et que ça canardait de partout. Nous déplorons avec elle le tourisme de masse qui contamine toutes les belles capitales. Poutine ne se déplacera certainement pas à Istanbul nous confit-elle. Genevieve nous rejoint à son tour, café et croissant en mains. Son infirmière avait du retard ce matin. Des avions à Roissy ont été détournés. C’est le bordel avec les travaux du Grand Paris Express et les issues de secours qu’ils sont en train de creuser boulevard de la Paix, nous dit Gilles. 

J’évoque le robot androïde vu à la Biennale d’architecture de Venise où je viens de passer trois jours la semaine dernière ; un robot que les visiteurs pouvaient interroger. Impression mélangée de curiosité et de crainte en observant les traits de son visage en silicone capables d’exprimer des sentiments, ses lèvres qui accompagnaient presque parfaitement ses réponses générées par l’intelligence artificielle. Glacial.

Robert qui nous a rejoint à son tour saisit le sujet « robot » pour rechercher le nom de ce feuilleton télévisée de science-fiction des années 60 avec ces extra-terrestres et leur petit doigt qui les dénonçait.

Genevieve se souvient du nom : « Les envahisseurs » avec David Vincent, cet architecte américain qui, témoin de l’atterrissage d’une soucoupe volante, veut convaincre ses semblables que les extra-terrestres ont débarqué et veulent coloniser la Terre.

Les envahisseurs que l’on identifiait effectivement à leur auriculaire qu’ils ne pouvaient replier et qui, quand ils mouraient se consumaient dans un halo rougeâtre laissant un petit tas de cellulose. 

Lui non plus n’a aucune bonne nouvelle à nous communiquer. « Le monde est fou », nous dit-il. Mais ce n’est pas vraiment une bonne nouvelle. Son beau-frère s’est bousillé le dos en jouant beaucoup trop au golf. Les gens ne savent pas être raisonnables. Il faut connaître ses limites et les accepter. Il y a des choses que l’on ne peut plus faire, arrivé à un certain âge. 

La croissance exponentielle de l’IA est liée à cet appétit toujours plus délirant de consommer davantage. Gagner du temps, encore et toujours. Et ce temps « gagné » est comme un ogre jamais repu. 

Genevieve nous parle d’un jour où, pour procréer, il n’y aura plus besoin d’un contact physique entre un homme et une femme. 

Les bateaux-immeubles de croisière sont totalement délirants. Un jour à Santorin, Robert a préféré laisser sa femme visiter en meute la ville pendant qu’il s’installait peinard, avec son journal, à une terrasse de café. 

Les EPHAD peuvent coûter une fortune ; jusqu’à 7000€ par mois. 

Mais où est Jean-Michel pour cette dernière ? À Florence, fantasmant (probablement) sur la naissance de Vénus à la Galerie des Offices ou sur le corps de danseur exotique du David de Michel-Ange et ses 5,17m de haut de la Galerie de l’Academie.

Statistiques sur les 7 derniers jours: c’est Singapour qui remporte - et de loin - la palme des consultations du blog : 332 ! Deuxième, Hong-Kong, avec juste une vingtaine. Mais, diable, qu’est-ce qui peut bien les intéresser ici ?

C’est ainsi que les hommes vivent.