vendredi 15 novembre 2024

A la recherche du futur 3

« Dire qu ‘ « il faut une politique économique plus juste et équitable » est une chose, croire que cela conduira le peuple à se détourner des populistes est une illusion », pense mon ami B. faisant suite aux déclarations de Lucie Castets parues dans Alternatives Économiques.

Il a sans doute raison et le « dire » doit être suivi du « faire » et du « faire savoir », sans quoi il ne s’agira que de vaines incantations.

Le « faire savoir » est aujourd’hui fondamental et il passe par les canaux des réseaux sociaux qui sont une caisse de résonance incontournable à une époque où une majorité de personnes - et en particulier dans les classes d’âge de 18 à 35 ans - s’informent quasiment exclusivement via ces médias. 

Plusieurs articles ont souligné le déficit de la gauche en matière de maniement des réseaux sociaux dans le relai des idées politiques. Ce déficit s’explique en partie du fait qu’il est plus facile de dénoncer ou d’affirmer sans preuves que de bâtir un argumentaire solide, documenté et objectif. Par ailleurs, à l’ère du triomphe du clash, de la « punchline »et de la « scrollture » (scroller + lecture), le message alliant virulence et concision constitue une arme de destruction massive de la capacité de réflexion et d’analyse. Un message relayant des idées positives, des actions suggérant un effort particulier sur la base de concepts tels que la protection du vivant, la solidarité ou une notion du bonheur détachée de pulsions consuméristes et d’enrichissements financiers, sans qu’il s’agisse d’un appel à embrasser une cause philosophico-ésotérique fumeuse, a ainsi toutes les difficultés du monde pour trouver son auditoire. 

Question en guise de conclusion : Et si nous parvenions à redéfinir le bonheur ?

mercredi 13 novembre 2024

A la recherche du temps futur 2

Voici un premier commentaire d’un ami avec lequel je converse de ces sujets :

Mon cher Claude

(…) La question est sérieuse : comment sort-on du populisme à l’heure des réseaux ? Les réseaux peuvent-ils se retourner ? La dimension économique je  n’y crois pas. Les populistes peuvent affamer le peuple qu’il les soutiendra encore. Ça s est vu sous toutes les dictatures. Il est très difficile d’en sortir. Il faut utiliser au maximum les espaces qui nous restent.

Ceci veut aussi pour Castets. Dire « il faut une politique économique plus juste et équitable » est une chose, croire que cela conduira le peuple à se détourner des populistes est une illusion.

Décidément la question du peuple moteur de l histoire et du progrès social et humain est centrale et des plus épineuses.

(…) 

Il faut espérer que les populistes feront suffisamment d’erreurs pour scier la branche sur laquelle ils ont indûment pris place.

Décidément il faut peut être substituer Orwel à Marx et Hegel.

Espérons néanmoins : chaque jour est un jour nouveau et le monde peut en être bouleversé.

A la recherche du temps futur 1

Le monde se prépare à des lendemains compliqués ; ça n’a échappé à personne sauf aux simples d’esprit ; même les cyniques doivent y trouver matière à profit ; je range les indifférents parmi la première catégorie, avec moins d’excuses.

J’entends souvent l’argument, relevant du fameux et parfois sinistre « bon sens », consistant à déclarer que l’histoire de l’humanité a toujours été ponctuée de crises épouvantables (guerres, épidémies, génocides, etc.) et qu’elle s’en est toujours sortie. Bien sûr, celle qui s’annonce fera date. Mais la Science saura se faire providentielle et nous permettra de surmonter cette crise ; c’est tout du moins l’avis des technicistes (qui ne sont pas tous, ni cyniques ni indifférents).

Rien n’est moins certain : les signes d’un effondrement possible si nous ne changeons rien à nos modes de vie - effondrement annoncé par le milieu scientifique depuis 50 ans - sont de plus en plus tangibles et défraient l’actualité.

Mais il me semble important de distinguer 2 crises, même si elles sont interconnectées : l’une de nature sociétale (ou sociale, ou psychologique), l’autre environnementale. 

Dans cette chronique, j’ai voulu m’intéresser prioritairement à la première, sans négliger la seconde de nature éminemment « existentielle » ; les résultats de l’élection aux US ne sont pas étrangers à ce choix.

Ainsi, je m’interroge, non pas sur les causes de l’attractivité du populisme et de l’extrême-droite dans des pays qui ont longtemps porté les valeurs de la démocratie - on connaît assez bien ces causes sans que l’on puisse toujours en analyser ou comprendre les paradoxes -, mais sur la capacité d’un discours porteur de valeurs démocratiques, préconisant en particulier la solidarité et la protection du vivant, à parvenir à renverser le « main stream » actuel dont le paroxysme est tout entier dans le courant « MAGA » dont on peut résumer les leitmotivs : xénophobie et priorité nationale, glorification de la consommation et déni environnemental, haine des élites et des immigrés.

Mon vœu le plus cher, dans ce cadre, serait de trouver une réponse à la question qui me taraude depuis un certain temps : quelle stratégie non violente adopter pour parvenir à renverser cette tendance ?

J’ignore si ce texte sera lu et suscitera des commentaires, mais un autre vœu serait que la réponse puisse se bâtir à partir de plusieurs - le plus possibles - de contributions.

A suivre (dans une prochaine chronique).

samedi 9 novembre 2024

Ce matin au kiosque 60 : Pessoa, FigMag, Brel

Je suis venu plus tôt que d’ordinaire au kiosque : 9H00. Les tables du parvis ne seront occupées par les « habitués » que plus tard dans la matinée : 10H00. Jean-Michel s’affaire à garnir ses rayons des nouvelles publications du jour. Deux piles du Figaro Magazine sont déjà en place. Une quarantaine d’exemplaires  avec le président du RN sur fond de dôme des Invalides en couverture pour faire la promo de son bouquin qui sort demain (JM m’a montré hier ledit bouquin dans la remise). Tout ça va partir comme des petits pains. Misère. 

Un client, un jeune homme aux cheveux longs jusqu’aux épaules. Aspect timide. Je suis en train de vanter auprès de JM la qualité de la BD sur Pessoa que j’ai achetée ici-même hier. Je lui avais évoqué le formidable spectacle vu la veille au Théâtre de la Ville sur le grand poète portugais aux 72 heteronymes. Et, JM, talentueux libraire, m’avait montré l’unique exemplaire qu’il avait ; et que j’achetai immédiatement. Mais à présent, nous revenions sur la cata de l’élection de Trump. Le jeune homme nous écoutait. Je lui dis : « Seule la poésie peut nous sauver, non ? » JM saisit l’exemplaire d’Apprentissage qui trône toujours près de sa caisse, me désignant comme l’auteur. « Je sais, vous me l’avez déjà dit. » Et, se tournant vers moi : « C’est dur la poésie. Je suis pas trop… Il y a un problème avec les intellectuels. Les gens aujourd’hui s’en méfient. Ils racontent des truc fumeux… » Il dégage une mèche de cheveux de ses yeux. Je lui réponds : « Oui, certainement… mais je m’interroge sur la façon dont nous pourrions communiquer ; ça paraît tellement difficile, à une époque de l’instant, du zapping, de faire entendre des idées qui nécessitent un minimum de réflexion, c’est à dire de temps… plus personne n’est prêt à faire cet effort ». Il cherche sur son smartphone quelque chose. Il me le tend. Je lis : « La bêtise c'est de la paresse. La bêtise c'est un type qui vit, et il se dit : ça me suffit. Ça me suffit. Je vis, je vais bien, ça me suffit. Et il se botte pas le cul tous les matins en disant : c'est pas assez, tu ne sais pas assez de choses, tu ne vois pas assez de choses, tu ne fais pas assez de choses. C'est de la paresse je crois la bêtise. Une espèce de graisse autour du coeur qui arrive ; une graisse autour du cerveau. Je crois que c'est ça. » Jacques Brel.

Et puis ce jeune homme nous quitte car il doit prendre le train.

JM me dit qu’il est avocat, spécialisé dans l’immobilier.

Christine, la rédactrice de nombreux commentaires écrits sur des post-it, est entrée et interroge JM sur un livre qu’il n’a pas mais qu’il va commander. Je le laisse en compagnie de cette grande lectrice.

C’est l’heure pour moi de partir. On est toujours dans la même m… et ça risque pas de s’arranger, sauf miracle.

Je vais encore être infidèle à Becon quelques semaines. Atterrissage vers le 20 novembre.

jeudi 7 novembre 2024

Ce matin au kiosque 59 : Jean-Michel ou l’oreille cassée

Avant d’arriver au kiosque (au magasin de presse dirait Ginette), je fais une halte chez le cordonnier, place de la gare. Une semelle de l’une de mes chaussures de marque Schmoove (fabriquées au Portugal) s’est décollée sur l’arrière. « Dites-moi si vous voulez bien me rendre ce service de me recoller cette semelle ? » Le cordonnier - celui qui est entièrement chauve et qui arbore un éternel sourire comme si les muscles de son visage avaient fait définitivement le choix du bonheur - examine ma semelle et, tout en la décollant légèrement, me dit : « Vous avez une petite course à faire ? » Et vous pensez que lorsque nous serons définitivement tombés dans les griffes d’Amazon ou même que nous n’effectuerons plus nos courses que dans des « malls » à l’américaine, nous trouverons encore ce service aimable et humain de proximité ? A cet égard, je profite de l’audience planétaire de cette chronique pour inviter tous les lecteurs à boycotter Amazon ainsi que les « malls » aseptisés.

Jean-Michel m’accueille avec un sparadrap sur l’oreille gauche. Mais même s’il eut s’agit de l’oreille droite, nulle inquiétude qu’on le confonde avec le Père Ubu de Mar-a-Lago. De même, il n’a pas subi une balle émanant d’un obscur tireur posté dans un immeuble neo-haussmannien face à la gare ; non, il s’est blessé avec un Picsou magazine ! Comme quoi le travail d’un libraire associe pénibilité et dangerosité. Vivement la retraite, Jean-Michel !

Après le café au comptoir, je rejoins sur la terrasse Anne-Marie qui est seule en tête-à-tête avec un journal. Anne-Marie est allée chez le coiffeur. Je lui fais remarquer et un voile de coquetterie paraît passer comme une ombre sur son visage ; une ombre de contentement, je précise, car on a trop souvent tendance à associer ombre à sombre ou à pénombre (et rarement à concombre), ce qui n’est pas sympathique pour un phénomène naturel qui présente parfois quelques intérêts (les jours de canicule par exemple).

Je fais état de mes sorties : hier soir, un spectacle sur Pessoa au Théâtre de la Ville (magnifique) et « Juré 2 » le soir encore avant, le dernier film de Clint Eastwood (très bien). 

Elle me parle de ses sorties à elle : celle par exemple sur les traces des films de Gérard Oury, ou bien une autre, plus architecturale, une promenade depuis Montmartre jusqu’à l’église St Eustache en parcourant les passages couverts. À Levallois, elle a également arpenté la ville pour y admirer les « murales ».

Pascal et Utah arrivent. Pascal fait la remarque du coiffeur à Anne-Marie (décidément : les grands esprits …) et nous demande si nous avons vu le concert des Stones à la télé ; celui de New-York. Que nenni, ce qui ne m’empêche pas de dire que j’ai vu Keith Richard en vidéo récemment et qu’il paraissait bien allumé. Pascal me le confirme. Mais on ne peut qu’être admiratif pour l’extraordinaire résilience de ces chanteurs milliardaires octogénaires. 

Trump, les Stones, Elon Musk… convoqués sur le parvis de la gare de Bécon les Bruyères (au passage, boycottez également X, ex-Twitter) ! 

L’homme qui vit sa vie en vélo nous rejoint en nous faisant la confidence qu’il regrettait de ne pas s’être engagé dans l’armée. La nostalgie camarade !

Monique enfin prend place aux côtés d’Anne-Marie et je dois m’excuser auprès d’elle car je doit partir faire quelques courses.

Je récupère de ce pas mon soulier et me confond en remerciements sincères. Je vais à la boulangerie pour constater avec dépit qu’il n’y a toujours pas de gougères. Mon inquiétude me taraude jusqu’à ce qu’on me dise que le boulanger en charge de cette délicieuse spécialité bourguignonne  est malade, et que ce n’est pas la fin des gougères (ni, probablement, celle des haricots, mais comme je n’ai pas de légumes à acheter…).

J’ai bien le sentiment que cette chronique ne casse pas une patte à un canard, ni qu’elle ne vaut peut-être même pas un pet de lapin, mais si vous pensez que le génie littéraire est spontané, eh bien, vous vous trompez !

mercredi 6 novembre 2024

Ce matin au kiosque 58 - Sidération, Consternation


Sidération. 

5 novembre au matin. L’humanité a enclenché la marche arrière. Sur la protection de l’environnement, le droit des femmes, la solidarité entre les peuples. Et la marche en avant vers plus de racisme, de pollution, de disparités, de conflits. 

Consternation.

Comment l’Amérique a-t-elle pu réélire un tel individu dont les discours et les actes sont à ce point régressifs, et le plus souvent creux, d’une nullité à faire bailler ? Un candidat qui n’hésite pas à affirmer qu’il gouvernera l’Amérique en dictateur ? A voir la foule de ses supporters dans les différents meetings, on pense aux foules fanatisées des grandes messes nazies. C’est une foule - une meute - qui, non pas se refuse à penser, mais ne sait plus ce que ce terme signifie. Échec total des démocrates. Biden porte une partie de la responsabilité de cet échec, mais tout le parti démocrate également. Après tout, n’est-ce pas une victoire logique ? Une grande partie du monde bascule vers des régimes autoritaires, l’illiberalisme contamine l’Europe et les idées d’extrême-droite progressent partout sur le vieux continent. 

Christian Salmon est l’auteur de « L’ère du clash », paru en 2019, dans lequel il met en évidence le fait que l’époque n’est plus à la dialectique - trop complexe, qui exige un minimum de réflexion -, mais à l’affrontement verbal, la déflagration dans les propos, les énormités retransmises en boucle sur les chaînes d’info en continu, les punch-lines à faire entrer dans du temps (réduit) de cerveau (réduit aussi) disponible, etc.


Aujourd’hui, j’ai aussi appris qu’un adolescent, le fils d’un ami, s’était suicidé dans la nuit en se jetant par la fenêtre. La dérive de l’Amérique n’en est pas la cause, mais une dépression qui ne parvient pas à guérir et la pression du milieu scolaire.

L’un des habitués, Philippe, vient de se faire retirer un rein et l’autre ne semble pas en meilleur état. Le moral est au plus bas. 


Macron s’est empressé de féliciter Trump avant même que ce dernier recueille officiellement la majorité des 270 sièges. Quelle précipitation indécente ! Il aurait mieux fait de déclarer 3 jours de deuil national pour la planète et l’avenir de nos petits-enfants.


Au kiosque, on semble relativiser l’impact de ces élections. On parle de taxation des produits français exportés vers les USA : champagne, foie gras, fromages, etc. On compatit pour l’Ukraine. 

J’ai envie de dire que ce n’est pas le champagne ou le foie gras le plus grave dans cette affaire. La politique annoncée de Trump risque de tuer les quelques efforts que l’occident a pu faire pour tenter d’atténuer l’impact de nos comportements sur la biodiversité ; elle confortera les dictateurs dans leur stratégie ; elle libèrera encore davantage la paroles des fachos et des complotistes.

Dans ce contexte, l’après Macron ce sera Marine Le Pen où Cyril Hanouna.