Avant d’arriver au kiosque (au magasin de presse dirait Ginette), je fais une halte chez le cordonnier, place de la gare. Une semelle de l’une de mes chaussures de marque Schmoove (fabriquées au Portugal) s’est décollée sur l’arrière. « Dites-moi si vous voulez bien me rendre ce service de me recoller cette semelle ? » Le cordonnier - celui qui est entièrement chauve et qui arbore un éternel sourire comme si les muscles de son visage avaient fait définitivement le choix du bonheur - examine ma semelle et, tout en la décollant légèrement, me dit : « Vous avez une petite course à faire ? » Et vous pensez que lorsque nous serons définitivement tombés dans les griffes d’Amazon ou même que nous n’effectuerons plus nos courses que dans des « malls » à l’américaine, nous trouverons encore ce service aimable et humain de proximité ? A cet égard, je profite de l’audience planétaire de cette chronique pour inviter tous les lecteurs à boycotter Amazon ainsi que les « malls » aseptisés.
Jean-Michel m’accueille avec un sparadrap sur l’oreille gauche. Mais même s’il eut s’agit de l’oreille droite, nulle inquiétude qu’on le confonde avec le Père Ubu de Mar-a-Lago. De même, il n’a pas subi une balle émanant d’un obscur tireur posté dans un immeuble neo-haussmannien face à la gare ; non, il s’est blessé avec un Picsou magazine ! Comme quoi le travail d’un libraire associe pénibilité et dangerosité. Vivement la retraite, Jean-Michel !
Après le café au comptoir, je rejoins sur la terrasse Anne-Marie qui est seule en tête-à-tête avec un journal. Anne-Marie est allée chez le coiffeur. Je lui fais remarquer et un voile de coquetterie paraît passer comme une ombre sur son visage ; une ombre de contentement, je précise, car on a trop souvent tendance à associer ombre à sombre ou à pénombre (et rarement à concombre), ce qui n’est pas sympathique pour un phénomène naturel qui présente parfois quelques intérêts (les jours de canicule par exemple).
Je fais état de mes sorties : hier soir, un spectacle sur Pessoa au Théâtre de la Ville (magnifique) et « Juré 2 » le soir encore avant, le dernier film de Clint Eastwood (très bien).
Elle me parle de ses sorties à elle : celle par exemple sur les traces des films de Gérard Oury, ou bien une autre, plus architecturale, une promenade depuis Montmartre jusqu’à l’église St Eustache en parcourant les passages couverts. À Levallois, elle a également arpenté la ville pour y admirer les « murales ».
Pascal et Utah arrivent. Pascal fait la remarque du coiffeur à Anne-Marie (décidément : les grands esprits …) et nous demande si nous avons vu le concert des Stones à la télé ; celui de New-York. Que nenni, ce qui ne m’empêche pas de dire que j’ai vu Keith Richard en vidéo récemment et qu’il paraissait bien allumé. Pascal me le confirme. Mais on ne peut qu’être admiratif pour l’extraordinaire résilience de ces chanteurs milliardaires octogénaires.
Trump, les Stones, Elon Musk… convoqués sur le parvis de la gare de Bécon les Bruyères (au passage, boycottez également X, ex-Twitter) !
L’homme qui vit sa vie en vélo nous rejoint en nous faisant la confidence qu’il regrettait de ne pas s’être engagé dans l’armée. La nostalgie camarade !
Monique enfin prend place aux côtés d’Anne-Marie et je dois m’excuser auprès d’elle car je doit partir faire quelques courses.
Je récupère de ce pas mon soulier et me confond en remerciements sincères. Je vais à la boulangerie pour constater avec dépit qu’il n’y a toujours pas de gougères. Mon inquiétude me taraude jusqu’à ce qu’on me dise que le boulanger en charge de cette délicieuse spécialité bourguignonne est malade, et que ce n’est pas la fin des gougères (ni, probablement, celle des haricots, mais comme je n’ai pas de légumes à acheter…).
J’ai bien le sentiment que cette chronique ne casse pas une patte à un canard, ni qu’elle ne vaut peut-être même pas un pet de lapin, mais si vous pensez que le génie littéraire est spontané, eh bien, vous vous trompez !