Pour lire « Le blé en herbe » de Colette, il n’est pas inutile de se munir d’un dictionnaire des plantes et/ou d’avoir à portée de mains de quoi consulter Wikipedia. Cette recommandation ne vaut, bien entendu, que pour ceux qui ignoreraient ce que sont des scabieuses, des mélilots ou des renouées, et la définition d’une houssine, d’un fredon ou de la syzygie ; c’est à dire pour le commun des lecteurs, sauf erreur de ma part.
On n’écrit plus de romans comme écrivait Colette. En serait-on encore capable d’ailleurs si on faisait abstraction de l’argument consistant à jeter un avis lapidaire : « c’est démodé ! » ?
La lecture du « Blé en herbe » est une félicité douce et savante. Félicité car la langue est maniée avec une virtuosité admirable comme les motifs d’une œuvre précieuse de marqueterie. Douce par la manière toujours délicate par laquelle Colette suggère les scènes d’amour. Savante par le choix précis des mots, en particulier ceux qui décrivent le paysage de cette côte cancalaise et l’atmosphère marine dans laquelle elle nous fait pénétrer.
Et puis, il y a cette tension entre les deux principaux personnages qui ne cesse de fluctuer jusqu’à son paroxysme.
Les questions de la fidélité, du mensonge, d’une certaine cruauté des sentiments, des convenances, de la passion égoïste, du passage de l’innocence à la réalité du monde adulte, de l’incompréhension, de la soumission-domination, questions intemporelles, constituent la toile de fond du roman.
L’une des phrases les plus formidables est celle-ci (« la dame en blanc » et le jeune Phil sont ensemble dans une chambre ; ils ont certainement déjà fait l’amour ; la première s’est approchée de la fenêtre et s’interroge sur cet « amour », puis revient vers son jeune amant qui la regarde « avidement ») : « Ainsi chargée, elle se hâta vers l’étroit et obscur royaume où son orgueil pouvait croire que la plainte est l’aveu de la détresse, et où les quémandeuses de sa sorte boivent l’illusion de la libéralité. »