La table-ronde intitulée « Mutations scientifiques et technologiques » du séminaire organisé par l’Academie d’architecture sur le thème « Mutations de l’architecture » traitait de la question des nouveaux usages liés à l’IA et leurs impacts sur l’architecture et l’exercice de la profession.
J’en suis ressorti un peu frustré et encore plus inquiet.
Concernant la frustration, hormis la gageure consistant à contenir un tel débat en seulement 1H30 (il mériterait un séminaire), elle vient de ce que la place de l’architecte (rôle, pouvoir décisionnaire, liberté d’action et d’interaction, …) dans le contexte futur d’une généralisation de l’IA n’a pas vraiment été abordée. Pourtant, il s’agit à mon sens d’un point majeur : disposer d’un tel outil et en maîtriser (si possible) le potentiel est une chose ; rester en position de décisionnaire et de « chef d’orchestre » en est une autre. On me dira que cette place de « chef d’orchestre » est déjà bien compromise avec la généralisation des offres globales (ce point à d’ailleurs été souligné par Ingrid Taillandier dans son intervention).
Mon inquiétude est liée au fait que, parce que l’IA va se « banaliser » dans le processus de conception*, le recours à l’architecte pour les phases préliminaires du projet ne sera plus indispensable ; il semble d’ailleurs que ce processus soit déjà bien engagé. On peut toujours arguer que rien ne remplacera la sensibilité, l’émotion, l’irrationnel attachés aux qualités « incontournables » de l’homme de l’art ; je redoute que les propositions (véritablement impressionnantes) de l’IA, puisées dans le « Big data » et livrées dans des délais records, ne satisfassent des gens pour lesquels la priorité restera le « time is money ». Il faudra toujours des professionnels pour guider l’IA me direz-vous encore. Mais ces derniers peuvent tout à fait être de simples « employés » au service des acteurs précédemment évoqués, intégrés aux sociétés, sans le statut de « contre-pouvoir » indispensable (de mon point de vue) à la qualité architecturale.
En bref, la généralisation de l’IA va transformer en profondeur le métier et le statut de l’architecte - et certainement pas en le valorisant. L’acte de concevoir et construire perdra de la substance et de la qualité par la disparition du formidable levier à la créativité que représente l’existence dans le processus de projet du contre-pouvoir.
On voit déjà des « consortiums » intégrant tout ou partie du conseil en aménagement urbain, de l’assistance à Maitre d’ouvrage, de la maîtrise d’œuvre, de la construction et de la commercialisation. Toute la chaîne de réalisation d’une opération dans une seule main. Le « clés en mains » dont rêvent tous les promoteurs et tous les grands groupes de BTP est à portée d’IA ! L’un des freins à cet appétit pourrait être, comme me l’a suggéré Aymeric Zublena, la question de l’assurance. Autre débat.
Un autre sujet d’inquiétude est celui de l’enthousiasme débridé des jeunes architectes qui baignent dans l’IA. Je redoute que l’excitation liée à la participation à une aventure tout à fait extraordinaire leur fasse perdre le sens de l’engagement architecturale qui ne consiste pas à produire à grande vitesse des images, du respect des normes et de la fonctionnalité, mais d’opérer une réflexion sur les usages, de sentir la matérialité et la « physicalité » d’un espace, et enfin de parachever une « praxis** ».
Christian de Portzamparc, dans sa leçon inaugurale au Collège de France, avait mis l’accent sur l’importance du toucher, des sens d’une manière générale, dans l’architecture. Je crois que, jamais, l’IA ne pourra produire les Thermes de Vals ou la Bruder Klaus Field Chapel. Les optimistes pourraient y voir une victoire pour l’architecture ; je pressens plutôt que nous devrons nous passer de ce type d’édifices.
Enfin, comment peut-on militer pour la frugalité en architecture, concevoir avec le soucis de préserver le vivant et contribuer, par le recours à l’IA, à des dépenses folles en termes d’énergie et ainsi participer à l’accélération de l’émission de GES dans l’atmosphère ?
Autre source d’inquiétude liée aux besoins démesurés en énergie de l’IA. Microsoft va réactiver Three Mile Island. On peut imaginer la dissémination possible de mini-centrales sur la planète ! On a appris lors de ce séminaire, que Microsoft devait installer un centre de données dont la puissance consommée est de 900 MW (l’équivalent d’un réacteur de centrale EDF).
Le diable n’est plus dans le détail (ni Dieu non plus)…
* au sens où il sera facile et rapide pour l’un quelconque des acteurs de la construction - et je pense en particulier aux promoteurs et aux entreprises - de s’emparer de cet outil et de procéder à des simulations de conception
**au sens du processus initié par une idée jusqu’à un résultat (ici la matérialité du projet). Le parachèvement pourrait être l’une des étapes futures d’appropriation du processus de construction par L’IA.
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