samedi 7 décembre 2024

Ce matin au kiosque 70 : En fanfare, Claude Parent et le Domaine de la Chevalerie

Quelques rafales de vent m’accompagnent sur le chemin vers la gare. Elles finissent de déplumer les arbres dont les feuilles jaunes, or et rouille jonchent les trottoirs et s’affolent sur mes pas. Ces arbres semblent sortis tout droit d’un tableau de Corot. 

Il est encore trop tôt pour que l’un, l’une ou l’autre des habitués ait pris ses quartiers du matin à la terrasse du kiosque. 

Jean-Michel est à son poste, bien sûr, tel le pacha d’un navire ancré en rade de Bécon-sur-Mer.

« Je suis allé voir « En fanfare » hier. Je te le recommande. »

« Vous foutez vraiment rien, vous les retraités ; tous les soirs au cinéma ! », me lance-t-il avec son air faussement bougon qui décourage les non-habitués encalminés au 1er degré.

« J’ai même pleuré ! », je rajoute. « T’es un pleurnichard, toi », me dit-il. 


C’est vrai, un pleurnichard. Ça me fait penser à Claude Parent (un ami architecte qui présentait l’originalité d’être iconoclaste et académicien, et apologiste de la « fonction oblique ») qui m’avait avoué être un « pétochard ». Et c’est la raison pour laquelle, imaginant qu’un jour futur les beaux quartiers puissent être assaillis et vandalisés par des hordes de migrants, il proposait de réserver pour leurs déplacements les grands axes de circulation - désormais obsolètes car on en aurait alors fini de la civilisation de la voiture. Et c’est pourquoi, une série de ses dessins dystopiques représentaient des autoroutes se déployant dans l’espace comme des volutes de cigare, noires d’une foule d’individus parcourant le monde sur le territoire restreint, bitumineux, des bandes de circulation routières. Tous les 50 km, il était prévu des zones aménagées, réservées à cette population nouvelle de « gens du voyage ». Claude était un personnage étonnant. Une référence pour un certain nombre de « starchitectes » de notre époque ; un théoricien, avec son complice le philosophe Paul Virillio, de « l’esthétique du bunker » ; un architecte non diplômé (sauf erreur) qui était parvenu à convaincre les polytechniciens d’EDF qu’une centrale nucléaire pouvait et devait être une œuvre architecturale ; un dandy qui arborait de magnifiques rouflaquettes grisonnantes au volant d’une Rolls-Royce ou d’une Lamborghini et ce, jusqu’au seuil du bungalow de chantier.


J’ai fait ce matin la connaissance de la fleuriste de la place de la gare que Jean-Michel appelle de son prénom. Il paraît que les fleurs se vendent encore bien. Jadis, quand nous habitions à Boulogne, il m’arrivait presque chaque semaine d’acheter un bouquet de fleurs blanches au « Camélia Blanc », un fleuriste qui ne proposait, précisément, que des fleurs blanches. Je vieillis. 


Le jeune caviste de Mille & Zim est venu boire un petit café. Nous avions échangé ici-même, il y a quelques temps, sur des producteurs et je me souviens à présent que je lui avais vanté le Bourgueil du Domaine de la Chevalerie, sans avoir été foutu alors de me rappeler son nom. Cette fois-ci, la mémoire m’est revenue. Il connaît ce domaine et me confirme la qualité de sa production. Jean-Michel nous confie qu’il a fait rentrer du Givry ; un vin de la Côte châlonnaise précise l’œnologue, dont « le bouquet évoque en général la violette, la fraise, la mûre, avec des variations réglissées, des accents giboyeux, d’épices (clou de girofle) », si j’en crois le site des vins de Bourgogne.


Avant de quitter Jean-Michel, je lui dis que j’ai pu constater qu’il s’agitait de manière satisfaisante à son piano ; je ferai donc un rapport positif à un dénommé Bolloré ; on arrondit ses fins de mois comme on peut…

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