Frais, il fait frais ce matin, mais l’atmosphère est moins détrempé qu’hier ce qui, en langage plus courant, signifie qu’il ne pleut pas. Bien sûr, ce serait mieux si cette introduction météo vous était livrée par une jeune femme à la plastique parfaite devant une carte de France sur laquelle les nuages se déplacent, synchro, comme une sorte de ballet magique.
A la terrasse du kiosque, les dossiers des chaises sont encore appuyés aux tables, ce qui signifie, avec un minimum de perspicacité, qu’aucun client n’a encore poussé le vice jusqu'à s’asseoir dehors.
Jean-Michel met volontairement un peu de temps avant de considérer ma présence, les yeux rivés sur son écran de caisse ; un peu comme un patron qui a choisi la chaise de son bureau - celle réservée à ceux qu’il a convoqués - inconfortable et avec une assise bien basse, quand lui carre son postérieur dans un fauteuil en cuir plus haut et bien épais.
Une cliente qui m’a précédé témoigne d’une indignation face au 10 centimes d’augmentation du prix de son magazine de téloche. Elle trouve ces augmentations insupportables, incrimine la fameuse (et célèbre) mafia des commerçants et jusqu’aux journalistes qui s’en foutent plein les fouilles. C’est un scandale et on le lui fait pas à elle qui me prend à témoin parce que je passais par là (ça peut être dangereux d'être pris à témoin dans de pareils cas, mais, après avoir vérifié que cette dame ne tient pas une batte de baseball à la main ou une kalachnikov en bandoulière, j'ose contester son propos... mais du bout des lèvres, rassurez vous).
Après son départ, Jean-Michel - qui a enfin daigné lever sur moi son regard dubitatif - m’indique qu’elle, c’est son truc : elle est toujours en train de râler.
C’est ensuite le tour d’un homme aux golfes bien encaissés, vêtu comme un catho intégriste (Barbour usagé, chemise unicolore et pull en V défraîchi, pantalon en velours et Paraboots). Eh oui, il y a comme ça des dress-codes selon les communautés. Le pull en V sur les épaules trahit le NAP ; on peut se tromper avec du Fred Perry mais il faut alors considérer la coupe de cheveux : entre le facho et l’antifa, théoriquement, il y a des différences : la « coupe Heichman » caractérise souvent le premier ; il y a le jean troué qui veut jouer une certaine décontraction mais qui n’est pas opposé au port du sac Vuitton, souvent porté par ceux qui rêvent du retour de Sarko, etc.
Jean-Michel a condamné la sortie « théorique » car les sautes d’humeur du vent lui rabattent les feuilles des arbres dans son magasin. « Et après, qui c’est qui doit balayer les feuilles ? c’est bibi ! » Les feuilles qu’on ramasse à la pelle…
Et puis entre une dame qui fait constater à l’entourage (qui se résume à moi-seul) et avec un petit sourire aux lèvres, combien cet homme (Jean-Michel) peut être désagréable. Petite joute matinale taquine.
Bon, j’ai quand même eu droit à mon café (moyennant 1,30€, bien sûr).
Un couple s’approche de la caisse (sans crier gare !). Des retraités (se méfier). De nouveau un échange de blagues sur la mauvaise humeur du passeur (on est rassurés). L’homme, très grand, fait à plusieurs reprises allusion à l’activité sportive, se moquant du peu d’appétence du passeur pour le sport (je l'ignorais). « Vous êtes un ancien sportif de haut niveau ?" Jean-Michel, qui m’a entendu poser cette question faussement naïve, m’interpelle : « du vélo ! tu ne l’as jamais vu déguisé en cycliste avec son short moulant ? » Ça s’appelle élégamment un moule-bite si mes connaissances dans le domaine sont justes. L’homme en question m’avoue (sans aucune torture) qu’il roule régulièrement autour de Longchamp et sur les routes de campagne. Je l’interromps immédiatement : danger ! Je connais au moins 2 personnes qui ont eu de très graves accidents sur des routes de campagne. Et puis, à Longchamp, les gens ne roulent-ils pas comme des fous ? "Oh, des accidents, j’en ai eu", me répond ce monsieur. C’est les risques du métier. Et puis à Longchamp, si on se blesse on va directement (« au Père-Lachaise ! » intervient Jean-Michel), à l’hôpital tout proche rectifie l’amateur de clavicule brisée.
Sur ce, Guy, un autre cycliste impénitent, une sorte de centaure qui aurait troqué son cheval pour un vélo tant on me dit qu’il ne quitte jamais sa « petite reine », a rejoint le couple et ça cause dérailleurs, cadres, pignons et pouces de chambre à air. Trop technique pour moi, même si j’ai fait mes 25 km de vélo ce matin, mais devant ma télé, en regardant le dernier épisode d’une série espagnole sur ARTE plutôt pas mal : La Mesias.
Et à cette heure et par ce temps, il n’y a toujours pas l’ombre d’un-e habitué-e sur la terrasse. Tout fout l’camp !
C’est ainsi que les hommes vivent.
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