lundi 25 novembre 2024

Yes we can ? 5 : Everybody Konws

Avec cette chanson sortie en 1988 - il y a près de 40 ans - Leonard Cohen fait figure d’oracle. 

J’ai tenté ici, non pas une interprétation littérale des paroles (encore que, souvent, les mots résonnent avec beaucoup d’acuité et que la métaphore se fait très réelle), mais un « parcours de pensée ».

Je ne pouvais pas ne pas me remémorer les paroles de Cohen lors d’une interview, quand il dit que « la poésie est un reportage sur la vie réelle ». Ici, il regarde plutôt en avant, mais avec beaucoup de lucidité.


Le titre, « Tout le monde sait », (qui est aussi le nom de mon blog…), nous renvoie au « On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas » qui nous met face à nos responsabilités.


La chanson s’engage sur un constat : Les dés sont pipés et on avance en croisant les doigts ; autant dire : nous ne pouvons rien à la marche du monde, ça nous échappe et le mieux à faire est de croiser les doigts (ou de prier). Combien de fois avons-nous entendu cette résignation face à une marche du monde qui nous dépasse ?

Autre résignation lucide quand Cohen poursuit avec la défaite des types biens et le constat que la « guerre » (ou la lutte) a été truquée, car les pauvres restent pauvres et les riches s’enrichissent encore davantage. N’est-ce pas une image pertinente de notre époque ? « C’est comme ça que ça se passe » et « Tout le monde le sait » (personne n’est dupe).


Dans le second couplet de la chanson, Cohen évoque un navire (notre société) qui prend l’eau, le patron qui a menti (difficile de ne pas penser à Trump, mais à d’autres : Bush, Blair, Macron, Poutine, etc.), un sentiment d’une blessure au plus profond de nous-mêmes, mais que nous ne voulons pas affronter si bien que nous nous réfugions dans le dérisoire (une boîte de chocolats, une tige de rose).


Dans les 3eme et 4eme couplets, on a affaire à du Cohen pur dans son personnage de « lover » désabusé : Tu m’aimes et tu as raison de m’aimer, nous avons eu à nous une ou deux nuits, mais tu en as passées tellement avec d’autres…

Et puis, la noirceur du personnage se fait plus évidente quand il évoque les rails de coke, une époque pourrie dans laquelle l’esclavagisme est encore présent pour servir notre superficialité (« Old Black Joe's still pickin' cotton/For your ribbons and bows »). Comment ne pas penser aux ravages de la drogue, aux cartels et autres mafias, et aux populations pauvres qui produisent des objets de consommation pour les sociétés riches ?


Dans le 5eme couplet, la noirceur de Cohen se fait encore plus profonde puisqu’il annonce la déferlante d’une catastrophe (ici la peste, mais on peut penser aux pandémies ou au dérèglement climatique). Plus personne ne croit en un âge d’or possible, une certaine pureté naïve (celle d’Adam et Ève) qui appartient à un mythe du passé. Nous vivons dans le présentisme et notre « horizon d’historicité » est réduit à l’incrédulité ou la peur (le repli sur soi).


Le 6eme couplet m’apparaît comme moins évident à comprendre. Cohen fait état d’une vérité qui sera découverte à notre mort. Peut-être veut-il évoquer le fait que ceux qui se pencheront dans le futur sur notre époque identifieront parfaitement nos troubles ainsi que le fait que nous ne pouvions ignorer l’état de la situation ?


Dans le dernier couplet, Cohen revient à la dimension mystique des choses. Entre la croix de Jesus et la plage de Malibu, il y a cet espace infini qui couvre le monde et réunit le tragique et le superficiel. Mais, n’est-ce pas la vérité du monde ? Cohen, enfin, nous exhorte à regarder avec lucidité, en étant inspiré par une certaine transcendance, comme un dernier espoir avant que tout « explose ».


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire