Petite ballade parisienne dans une sorte de triangle un peu mou délimité par la rue Jouffroy d'Abbans, la rue de Prony et le boulevard Pereire. Intéressant déjà de savoir qui sont ces augustes personnages. Jouffroy d'Abbans (comme de Prony) a vécu à cheval sur deux siècles : le 18ème et le 19ème. Le premier était marquis, ingénieur, architecte naval et industriel. Il fut l'inventeur de la navigation à vapeur. Il est rapporté que si Louis XVI avait obtenu l'aval de ces jaloux de l'académie des sciences pour financer un bateau du marquis, la France aurait disposé d'une arme fatale contre la perfide Albion et aurait pu éviter la révolution (et Louis XVI de se faire décapiter par la même occasion). La vie ne fut pas de tout repos pour Claude-Dorothée (c'est son prénom) car, outre le fait que l'histoire fut ingrate envers lui (en dehors de cette plaque et d'une statue à Besançon), que les scientifiques de l'époque firent tout pour lui mettre des bâtons dans les roues (à aube),il refusa un pont d'or que lui proposaient les anglais par fidélité envers la France, et il mourut du choléra !
de Prony n'était que baron, mais il disposait d'un prénom encore plus drôle : Gaspard-Clair-François-Marie. Il fut ingénieur (X) et directeur de l'Ecole des Ponts et Chaussées. Il produisit une quantité significative de traités scientifiques de valeur inégale. Son œuvre majeure concerne la théorie des mouvements de l'eau dans les tuyaux et les canaux. Désormais vous saurez qui remercier sous la douche ou en tirant la chasse des WC !...
Les frères Pereire (Emile et Isaac) parcoururent la quasi totalité du 19ème siècle en tant que banquiers et profitèrent à fond des opérations immobilières développées par Haussmann. On peut considérer qu'ils furent des ancêtres du libéralisme à tout crin ; ce qui, en d'autres termes, s'appelle la système spéculatif, adoptant sans états d'âme la formule de Guizot : "Enrichissez-vous !" A noter que leur nom d'origine était Pereira (juif séfarade portugais), francisé par leur père, mathématicien, qui fut le traducteur de Louis XV et l'inventeur d'une langue par signes destinée aux sourds et aux muets !
A ce stade, vous me direz : mais quid du "néo" ? J'y viens.
Il se trouve que ce quartier recèle des petites pépites d'immeubles ou d'hôtels particuliers, où l'imagination des architectes de la fin du 19ème s'est exercée avec un certain talent, puisant gaillardement dans les registres de la renaissance et du gothique. Très peu de "régionalisme" (le 17ème n'est pas une station balnéaire !) ; mais plutôt du sérieux avec des façades peuplées de dragons, de gargouilles et autres chimères, des portes munies de serrures féodales, des baies à vitraux équipées de solides grilles en fer forgé, des colonnes torsadées sculptées de motifs inspirés du monde végétal ou d'un bestiaire fantastique, des voûtes romanes d'autres en arc surbaissé, quelques créneaux, des chapiteaux composites, des appareillages géométriques de briques vernissées, etc.
Parfois, les styles se télescopent et les façades jouent l'anachronisme savant. C'est un vrai régal.
Pour les amateurs, quelques adresses :
- 68, rue Ampère, avec en particulier une sous-face de balcon en pierre ou trois figurines, dont deux moines, sont d'une finesse et d'une expression remarquable
- 53, rue Ampère, également, avec coquilles Saint-Jacques, blason et salamandre (1884)
- 51, rue Ampère, qui incorpore du byzantin et du classique (1885)
- 3, rue Alphonse de Neuville, un petit hôtel particulier avec un dernier étage minuscule doté d'une coupole recouverte de cuivre, et d'un balcon en attique sur lequel sont posées plusieurs petites statues féminines et deux sculptures symétriques représentant un ange portant un personnage
- aux 91,93 et 95, une série de 3 hôtels particuliers très vraisemblablement du même architecte (J. Brisson) et datant de 1883
- au 6, avenue des chasseurs (modeste rue pavée assez grossièrement), une façade avec un appareillage peint, un arc gothique assez banal et deux dragons (sans doute la propriété d'un parvenu pingre)
- angle de la rue Léon Cosnard (!) et de la rue de Tocqueville, un grand ensemble néo-gothique datant de 1880
Qu'il serait bon de pouvoir aller au-delà de ces façades et de connaître l'histoire de ces conceptions !
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