Il a plu toute la nuit, autant dire que Becon ressemble ce matin à une serpillière mal essorée. Quand je sors un pied de la maison, quelques gouttes timides tentent de me faire croire qu’un parapluie est indispensable pour rejoindre la gare. Peine perdue, mes petites, vous ne m’aurez pas : j’ai consulté mon app « RainToday » qui me montrait la fuite vers l’Est d’une masse nuageuse importante et un territoire dégagé à l’ouest.
JM accepte mes vœux tout en me faisant comprendre que les « bonne année », il en a marre ; il paraîtrait (c’est lui qui le dit), qu’il y en aurait des hypocrites. Si je ne le connaissais pas, je me draperais dans mon indignité.
Ce matin, on parle tagine de poulet aux dattes et boeuf bourguignon de son côté, lamproie à la bordelaise du mien. On se concentre sur le bourguignon : le secret de JM, c’est de faire dorer à feu vif les morceaux de viande jusqu’à les quasi-cramer (j’ai dit quasi) et puis, servir ce plat avec le même vin qui a servi à faire la sauce dans lequel la viande a braisé. JM a régalé ses invités avec un Givry 1er cru. Mister Bolloré, s’il avait été invité, s’en serait léché les crocs.
JM ignore ce qu’est la lamproie. Même si je ne peux imaginer mon lectorat composé de pareils ignorants, je vais vous toucher 2 mots de ce poisson qui ressemble à une anguille dotée d’une gueule de sangsue et que l’on trouve principalement dans les estuaires. Pourquoi ai-je été amené à la ramener avec ma « lamproie à la bordelaise » : la sauce au vin (du bœuf bourguignon). Cette spécialité de Bordeaux se cuit dans un mélange du sang de la lamproie et de vin rouge ; lequel vin accompagne la dégustation de ce met que, pour ma part, je considère comme l’un des meilleurs qu’il m’ait été donné de manger. J’oubliais deux choses : la lamproie à la bordelaise se cuit avec des poireaux et se conserve ; les amateurs considèrent qu’il faut plusieurs années de conserve pour en obtenir une saveur inégalée.
Avant de rejoindre quelques habitués sur la terrasse, je considère avec amusement mon voisinage (celui d’Abuelo) avec le dernier titre de Marc Levy.
JM, à qui je fait part de ma déception après la lecture du roman « Madelaine, avant l’aube », me montre le post-It d’une lectrice. Elle y est allée d’un commentaire assassin. En bon pro, JM a masqué la couverture au commentaire, par d’autres exemplaires, vierges eux.
Dehors, il y a Paul dont on voit à peine les yeux et qui se les pèle ; René, un grand adepte du vélo qui semble avoir peur de vieillir ; Guy qui nous parlera, avec son accent de Titi parisien, de « Langue de feu » et de « Cacahouète », deux prostituées qui œuvraient, l’une Porte de Vincennes avec de très nombreuses heures de vol si bien qu’elle semblait remisée comme une vieille caravelle dans une caravane aussi décatie qu’elle, l’autre Porte d’Asnieres, assise sur une bite en béton (dixit Guy, mais on pourrait aussi dire : un plot) à grignoter des cacahouètes ; ce qui, métaphoriquement, est d’une puissance rare et immédiatement compréhensible.
Pourquoi en est-on venus sur le sujet des péripatéticiennes pathétiques ? C’est Gilles qui, après avoir évoqué le boudin blanc au foie gras accompagné de pommes-fruits rôties et fleur de sel qu’il s’est tapé au réveillon, nous a parlé d’une de ses traversées, jadis, du Bois de Boulogne (en tout bien tout honneur) à l’occasion de laquelle il fut consterné d’apercevoir sur le bord de la route une jolie jeune femme de peut-être 18 ans, habillée comme une étudiante (et non comme les putes patentées) en train de faire le tapin. Il a failli s’arrêter pour lui demander pourquoi elle était là. Un samaritain, ce Gilles.
J’ai lu, il y a quelques temps, un article sur ce phénomène de la prostitution occasionnelle des étudiantes. Qu’en dire sans paraître « tonton la morale » ? Malgré ce que certaines affirment en banalisant cet acte, le seul fait, précisément, qu’il puisse y avoir banalisation, associé au constat que certaines étudiantes sont dans l’incapacité financière de se payer leurs études sauf à travailler comme semi-esclaves au McDo, en dit long sur notre société.
Sophie est enfin revenue de sa promenade avec Utah et met un terme à nos échanges entre mâles de réforme (échanges qu’il m’est interdit de coucher ici sous peine d’atteinte à la pudeur et aux bonnes mœurs).
Geneviève nous a rejoints en trottinant, un perpétuel sourire sur ses lèvres et un café dans une main.
Tout le monde (sauf moi) s’interroge sur le devenir des dénommés « Tuc » (qui possèdent une résidence à Touque dans le Calvados) auxquels Gilles a adressé un « cul de chèvre » (comprenez : un message Facebook) et qui, à cette heure tardive de la matinée, auraient dû s’être pointés ici-même. Que fait la police ? Que font les « Tucs » ?
Le saurons-nous lors du prochain épisode de cette saga du kiosque de Bécon ? Rien n’est moins certain et je suis saisi - dois-je l’avouer - d’un doute existentiel, voire ontologique.
C’est ainsi que les hommes vivent.
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