samedi 18 août 2012

Les Thermes de Vals : architecture essentielle, architecture des sens.

On ne vient généralement pas à Vals par hasard. Cette petite ville de la province des Grisons  est en effet située au bout du bout de la Valstrasse, petite route cantonale qui serpente dangereusement à flanc de montagne sur une vingtaine de kilomètres depuis Ilanz, en suivant le cours capricieux de la Valser Rhein, dans un paysage saisissant de précipices et de cascades. En voiture, Vals est à environ 9H00 de Paris. Par les transports en commun, il faudra compter une nuit et une arrivée en fin de matinée (train depuis la gare de l’est, puis autorail de la Rhätische Bhan de Chur à Ilanz, puis enfin le bus jusqu’à Vals).
Et pourtant Vals agit comme un aimant pour tout amateur d’architecture et ce, depuis 1996, date à laquelle furent ouverts au public ses fameux thermes, conçus par  l’architecte suisse Peter Zumthor, né à Bâle en 1943. La qualité extraordinaire de cette œuvre,  suivie de la réalisation de quelques bâtiments également remarquables (Musée des Beaux-arts de Bregenz en 1997, le Pavillon Suisse à Hanovre, la Chapelle Saint-Nicolas de Flue près de Cologne) lui valurent de recevoir en 2009 le prestigieux Pritzker Price (équivalent du Prix Nobel d’architecture).
Zumthor est une figure à part dans le monde des stars de l’architecture : sa production est quantitativement faible ; il ne parcourt pas le monde à la recherche de commandes et de reconnaissances ; ses interventions publiques sont extrêmement rares - comme ses publications - ; son agence est terrée au cœur d’un minuscule village près de Coire, à 1H30 de Zurich.
Son approche de l’architecture est fondée, avant toute chose, sur la relation intime entre un espace et les sensations perçues par la personne qui pratique cet espace.  Ainsi, peut-il écrire : « La qualité architecturale, ce n’est pas d’avoir sa place dans un guide d’architecture ou dans l’histoire de l’architecture ou encore d’être cité ici ou là. Pour moi, il ne peut s’agir de qualité architecturale que si le bâtiment me touche. »  Ou encore : « Il existe une interaction entre nos impressions et les choses qui nous entourent. C’est ce dont je m’occupe comme architecte. Mon travail porte sur les formes, les conceptions formelles (physionomie), les présences matérielles qui constituent notre espace de vie. Par mon travail, je contribue à façonner la réalité, à donner à l’espace construit une atmosphère où nos sensations puissent s’enflammer. »
Vals constitue à cet égard un concentré du travail de Zumthor et peut représenter un certain idéal architectural. Difficile d’imaginer un degré d’intégration (de discrétion ?) au site plus fort : la façade du bâtiment n’est visible que lorsqu’on est à quelques mètres d’elle, et la toiture végétalisée s’inscrit en continuité des surfaces de prairies qui bordent le complexe hôtelier.
Le revêtement de pierre extérieur et intérieur, issu d’une carrière proche, est constitué d’un gneiss gris plus ou moins foncé, alternant dans ses veines les reflets bleus et verts pâles. Le matériau qui a été travaillé en fines bandes de quelques centimètres de hauteur et selon plusieurs longueurs, a subi un polissage précis préservant son aspect naturel et invitant au toucher. Son appareillage, inspiré des strates rocheuses visibles dans les montagnes, a été étudié afin de donner un aspect profondément contemporain aux parements tout en gardant l’authenticité de la matière originelle.
Dans les espaces intérieurs, la lumière – n’est-ce pas le plus beau sujet en architecture ? – s’invite par des fentes astucieusement ménagées entre les dalles de béton de la couverture, vient lécher la surface des murs en y révélant une matérialité somptueuse, et finit par déposer délicatement ses ultimes reflets à la surface de l’eau des bassins.
La relation entre intérieur et extérieur a été pensée afin d’offrir de multiples perceptions : derrière deux immenses baies vitrées, allongés sur de très minimalistes chaises-longues, le visiteur (le curiste ?) peut admirer les sapins tout proches et les crêtes plus lointaines ; une pièce fermée est munie de petites ouvertures au travers desquelles c’est un échantillon de paysage qui se déguste ; enfin, depuis le grand bassin extérieur, la montagne de l’autre côté de la vallée, drapée en été d’une immense étoffe d’un vert malachite sur laquelle se détachent, simples et merveilleusement élémentaires, ses petites granges aux pieds-droits pierreux, bardées de planches grossières et coiffées de lauzes épaisses, apparait sur deux écrans immenses, deux fenêtres que l’architecte à composer comme pour embellir encore davantage la nature. Enfin, c’est dans la diversité des bassins intérieurs, dans leur agencement subtil, dans la variété des textures, des odeurs et des sons que le comble du raffinement est atteint ; on touche alors du doigt l’idée que le temps, quelques instants, peut suspendre son vol…
Vivre les Thermes de Vals correspond à une expérience des sens totale ; et par là, l’esprit, forcément s’en mêle ! C’est une invitation à la rêverie, à la méditation, à la poésie ; une invitation à vivre l’architecture un peu à la manière de son auteur : (…) comme art de l’espace et du temps, entre sérénité et séduction. »
Impossible de ne pas mentionner le fait que les Thermes vivent actuellement un épisode mouvementé puisqu'ils viennent d'être rachetés par un promoteur immobilier "reconnu coupable de gestion déloyale dans le cadre de la faillite de commerces" (La Tribune de Genève 12/06/12). La vente est par ailleurs contestée par un "groupe de citoyens inquiets" qui en réfute la légalité. Peter Zumthor s'était lui-même porté acquéreur de son œuvre, mais l'assemblée communale lui avait préféré le projet du promoteur.

Recommandations :
-    Deux petits ouvrages : « Penser l’architecture » et « Atmosphères » de Peter Zumthor aux éditions Birkhauser
-    Un article « Vals avec Zumthor » sur le site de la Bilbiothèque municipale de Lyon
-    Le très beau livre « Peter Zumthor ; les thermes de Vals » de Sigrid Hauser, photographies : Hélène Binet

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